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Les communes et l’emploi: «L’intérêt des pouvoirs locaux est moins d’attirer des entreprises que des résidents»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

En Belgique, les communes entretiennent une forme de concurrence. Pour attirer des contribuables au rendement fiscal élévé, plutôt que pour créer de l’activité et de l’emploi sur leur territoire.

«En Région wallonne, il existe 262 situations différentes», expose Damien Piron, chargé de cours en sciences administratives à l’ULiège, où il enseigne, entre autres, le droit des politiques locales, et où il anime, notamment, un séminaire d’actualité des finances publiques, y compris locales.

Il n’exclut pas que, face aux difficultés financières traversées par ce niveau de pouvoir, un mouvement d’harmonisation porté par les Régions ne s’enclenche. «Elles pourraient accepter de davantage se faire encadrer, et donc de donner davantage de leviers à leur tutelle régionale, en échange de moyens supplémentaires. La Flandre le fait, par exemple en reprenant une série de dettes des communes qui fusionnent, Bruxelles et la Wallonie pourraient aussi s’y engager», suggère-t-il.

Le taux d’emploi est souvent utilisé pour caractériser le dynamisme d’une politique économique communale…

Clairement. Sans surprise, c’est dans les grands centres urbains que sont exercés les emplois. L’enjeu, c’est que ces gens qui travaillent habitent aussi dans les communes données, mais, en raison du phénomène de périurbanisation, c’est très peu le cas. En fonction du type d’emplois à pourvoir, également: les personnes habitant dans un centre-ville ne sont pas nécessairement les plus habilitées à répondre à des offres d’emploi très qualifiés… Beaucoup de mes collègues au sein de l’université, s’ils en ont les moyens, et s’ils ont envie d’un peu d’espace, choisissent d’habiter en périphérie plutôt que dans le centre historique de Liège.

Or, le système fiscal et le financement des communes favorisent celles où les travailleurs sont domiciliés, pas où ils travaillent. Peut-on dire qu’il pénalise les communes créatrices d’emploi?

C’est une autre remarque que je me suis faite à la lecture de vos infographies (lire par ailleurs). Mais tout dépend de quel emploi on parle. Si on parle de la Ville de Liège, par exemple, elle a un levier direct sur ses employés communaux…

Mais elle ne peut pas accorder la préférence à ses habitants…

Non, bien sûr, et il y a des questions à poser à ce sujet. Par ailleurs, notre système fiscal est très fragmenté, avec des compétences régionales et fédérales. Les communes peuvent créer, hausser ou baisser certaines taxes sur les entreprises, mais, concrètement, elles ont peu de leviers.

Et puis, si on considère que le taux d’emploi est tributaire de choix politiques à l’échelon local, la décision de supprimer du logement social, par exemple, est plus efficace quant à ses répercussions sur le taux d’emploi que d’attirer des entreprises…

Oui, voilà. Attention, il faut voir aussi comment sont récoltées ces statistiques, parce qu’un emploi n’est pas l’autre. Tous ne sont pas également rémunérateurs, y compris pour les communes: un travailleur APE (aide à la promotion de l’emploi), ce n’est pas la même chose qu’un cadre de multinationale. Donc il faut vraiment s’interroger sur la pertinence de considérer ce taux d’emploi, surtout à l’échelon communal, comme un indicateur sur lequel indexer l’ensemble de nos politiques publiques, en matière de fiscalité mais aussi au-delà.

Dans le bassin industriel wallon, les villes qui créent le plus d’emploi sont souvent celles où les additionnels à l’IPP sont les plus élevés. Peut-on parler de concurrence fiscale?

L’intérêt des communes, en ce qui concerne leurs recettes et leurs dépenses, est moins d’attirer des entreprises, qui rapportent peu directement, et même indirectement, que d’attirer des résidents, qui les renflouent à travers le précompte immobilier (PRI) et l’impôt sur les personnes physiques (IPP). Ces deux derniers postes représentent, en moyenne, 35% des recettes des communes wallonnes. Donc, oui, on peut jouer sur cette concurrence en diminuant les taux pour attirer ces résidents, même si je ne suis pas certain que tous les travailleurs ou tous les résidents se renseignent sur le taux des additionnels à l’IPP de leur commune de résidence, ou avant d’y emménager. Mais n’oublions pas qu’à côté de ça, 40% des recettes communales, en moyenne, dépendent de subsides et de financements régionaux, notamment du Fonds des communes. Et là, il y a un intérêt, depuis la dernière réforme, à hausser les additionnels, parce que les règles de répartition du fonds aident davantage les communes où ces taux sont plus hauts, justement pour compenser cette forme de concurrence sur les additionnels à l’IPP. Donc, il y a un arbitrage à faire individuellement, presque par chaque échevin des finances, pour jouer sur une marge plutôt que sur une autre. Les grandes villes comme Liège ou Charleroi ont plutôt intérêt à compter sur le fonds des communes et les financements régionaux, d’autant plus que le rendement des additionnels, vu le plus faible revenu moyen, est plus bas que là où les revenus sont plus élevés… Mais pour une plus petite entité, dans une périphérie, comme Thimister-Clermont, que je connais bien, il y a sans doute plus de marge fiscale à aller chercher en diminuant les additionnels pour attirer des travailleurs qui gagnent bien leur vie qu’en espérant se faire mieux financer par le Fonds des communes.

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Comment peut-on limiter cette concurrence, alors?

Eh bien, c’est difficile. La fiscalité belge est un millefeuille. La Région a la tutelle sur les communes, qui disposent de l’autonomie communale, mais le fédéral reste compétent pour limiter le champ fiscal des pouvoirs locaux, c’est lui qui autorise à prélever sur l’IPP, et on ne peut pas taxer deux fois une même ressource. On envisage difficilement que les Régions, par exemple, puissent décider de limiter la capacité fiscale des pouvoirs locaux… Ce décalage entre la compétence de tutelle et la compétence de déterminer le champ de la fiscalité a des impacts sur la possibilité ou l’impossibilité de mener des politiques plus concertées, qui atténueraient ces effets de concurrence.

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