Saisie des fonds libyens: un enjeu crucial pour Euroclear Bank, basée à Bruxelles. © Hatim Kaghat

Les 15 milliards libyens chez Euroclear restent bien saisis !

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le géant de la finance Euroclear Bank s’opposait à la saisie réalisée en 2017 par le juge Michel Claise dans le dossier des fonds libyens gelés, et demandait que cette saisie soit levée. La cour d’appel de Bruxelles vient de débouter la banque. Les 15 milliards restent bel et bien saisis. Une bonne nouvelle pour la justice et un coup de tonnerre pour le monde financier.

Incroyable, il aura fallu attendre près de deux ans et demi pour être fixé sur cette saisie judiciaire plutôt extraordinaire. En octobre 2017, suite à la plainte des avocats de l’ex-asbl GSDT du Prince Laurent, le juge d’instruction bruxellois Michel Claise procédait à la saisie des quinze milliards d’euros libyens gelés par l’ONU qui se trouvent sur les comptes d’Euroclear Bank, à Bruxelles, et qu’il suspecte de blanchiment car ils proviennent d’un régime corrompu, celui de feu le Colonel Kadhafi. Pour rappel, en 2011, suite à la chute du régime autoritaire dans cet Etat pétrolier, l’ONU avait décrété le gel de tous les avoirs libyens dans le monde.

Euroclear, qui pèse 28 000 milliards d’euros d’actifs pour le compte de 2 000 institutions financières, s’était opposée à la saisie du magistrat, en brandissant une loi belge votée sur mesure il y a vingt ans rendant la chambre de compensation soi-disant inviolable, et avait demandé que la saisie soit levée. Le 2 février 2018, le magistrat instructeur avait déclaré cette demande irrecevable. Euroclear avait alors rapidement interjeté appel de cette décision, laissant à la chambre des mises en accusation (au niveau de la cour d’appel) le soin de trancher ce litige qui concerne un acte d’instruction. Le 23 avril dernier, la dite chambre avait déclaré, dans un arrêt intermédiaire, que le géant de la finance, dont le siège social se trouve à Bruxelles, n’est pas insaisissable. Une décision de principe très importante montrant que la banque Euroclear n’est pas au-dessus des lois, quoiqu’elle prétende.

Il restait à trancher la demande de levée de la saisie au motif qu’Euroclear serait « lésée » par celle-ci. Voilà qui est fait. La chambre des mises a décidé, ce 11 juin, qu’Euroclear ne pouvait tout simplement pas demander de lever la saisie car la banque n’est pas une personne lésée, vu qu’elle n’est pas elle-même propriétaire des biens (les 15 milliards d’euros) qui se trouvent en dépôt sur ses comptes. La saisie demeure donc bel et bien. Elle concerne « l’intégralité du solde créditeur des comptes des avoirs déposés ou s’ajoutant aux avoirs actuellement détenus », y compris donc les intérêts échus depuis la saisie et ceux à venir.

Cela dit, les milliards restent chez Euroclear, ils ne seront pas transférés à l’Organe central pour la saisie et la confiscation (OCSC), ce que craignait le plus la banque. De toute façon, la petite équipe de cette administration émanant du ministère public serait probablement incompétente pour gérer un tel montant. Cela signifie néanmoins que, même si l’ONU levait les sanctions sur fonds gelés, ceux qui se trouvent chez Euroclear et qui appartiennent à des fonds souverains libyens (LIA et Lafico), resteront saisis le temps de l’enquête judiciaire. On ne pourra donc pas y toucher et la justice pourra à tout moment demander à Euroclear de produire ses livres de comptes pour le vérifier. En outre, comme ces fonds génèrent des intérêts, leur usage perdure et l’incrimination de blanchiment ne peut être frappée de prescription. C’est un atout pour l’enquête qui pourrait encore durer.

Le 26 février dernier, le juge Claise a mené des perquisitions au cabinet du ministre des Affaires étrangères car celui-ci, du temps où Didier Reynders (MR) en occupait le fauteuil, aurait joué un rôle essentiel dans le dégel d’intérêts liés aux fonds libyens en Belgique. Un dégel d’environ 2 milliards d’euros qu’un groupe d’experts de l’ONU avait dénoncé, après enquête. Reste à voir ce que Michel Claise pourra encore engranger dans son instruction judiciaire. Une instruction difficile tant les bénéficiaires (LIA et Lafico) des fonds gelés et saisis chez Euroclear sont difficiles à cerner dans un pays toujours en proie à une guerre civile. Pour l’heure, la double décision de la chambre des mises sonne comme une victoire indéniable pour la justice belge. Dans les couloirs du palais, certains disent qu’il y allait de son honneur…

Pour le monde la finance, par contre, cela résonne comme un coup de semonce qui laissera des traces. Il est d’ailleurs révélateur qu’Euroclear ait tout fait, avec ses avocats, pour s’opposer à la saisie, ce qui explique en partie la longueur de la procédure devant la chambre des mises. L’enjeu était de taille pour ce coffre-fort international, qui n’est donc pas inviolable.

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