Euroclear a perdu la première manche face au juge Claise. © BELGAIMAGE

Non, Euroclear n’est pas insaisissable: voici l’arrêt qui le confirme

Le Vif

Le géant de la finance Euroclear n’est pas le coffre-fort insaisissable qu’il prétend être. Un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles vient de le rappeler dans le dossier des fonds libyens gelés. Pourquoi cet arrêt est-il si important ?

L’arrêt rendu le 23 avril par la chambre des mises en accusation de Bruxelles sort du lot. Cette chambre, qui dépend de la Cour d’appel et se réunit à huis clos, est chargée de contrôler les actes de procédures dont ceux de l’instruction. Les acteurs : Euroclear Bank, un des principaux carrefours de la finance mondialisée, qui abrite à Bruxelles 28 000 milliards d’euros d’actifs pour le compte de 2 000 institutions financières. Et le célèbre juge Michel Claise qui a procédé à la saisie, le 23 octobre 2017, de 15 milliards d’euros libyens gelés sur des comptes d’Euroclear, qu’il suspecte de blanchiment, dans le cadre d’une instruction ouverte deux ans plus tôt suite à une plainte déposée par le liquidateur de GSDT, une ex-asbl du prince Laurent qui était active en Libye. Euroclear a toujours claironné qu’elle était insaisissable en vertu d’un arrêté royal de 1967 et, surtout, d’une loi de 1999 transposant une directive européenne. Elle a donc demandé de lever la saisie.

Le Vif/L’ Express avait déjà révélé en février 2018 que, dans cette loi de 1999, l’article 9 instaurant l’insaisissabilité d’Euroclear n’était pas une transposition de la directive 98/26/CE, mais qu’il avait été ajouté à l’époque. Par qui ? Comment ? Mystère. Jean-Jacques Viseur (CDH), alors ministre des Finances, bottait en touche :  » C’est l’administration qui a préparé et rédigé l’avant-projet et le texte du projet de loi.  » Le 28 avril 1999, la loi Finalité – rebaptisée  » loi Euroclear  » par certains – était votée en urgence à la demande du gouvernement Dehaene II, protégeant bien Euroclear.

Match pas fini

Deux ans après l’enquête du Vif/L’Express et à l’issue d’une procédure interminable, la chambre des mises le confirme noir sur blanc :  » La Directive 98/26/CE ne prévoit pas d’insaisissabilité des comptes des intermédiaires financiers et l’article 9 de la loi Finalité n’est donc pas une transposition d’une disposition de cette Directive.  » La chambre poursuit :  » Le but de la loi n’est pas d’édicter une insaisissabilité généralisée des comptes des intermédiaires financiers mais d’éviter que des saisies intem- pestives, voire abusives, ne viennent com- plètement paralyser le règlement d’un système de paiement ou de règlement- titres.  » Ainsi, l’article 9 vise à  » assurer le bon règlement final du système dans l’intérêt de l’ensemble des participants, mais non dans l’intérêt de l’ensemble de la société […]. Il n’a pas une force contraignante supérieure à celle des autres lois belges, dont le Code d’instruction criminelle  » qui, lui, vise  » l’intérêt de la société dans son ensemble « .

Il en va de même pour l’article 11 de l’arrêté royal du 10 novembre 1967, qui interdit  » de pratiquer une saisie-arrêt sur les comptes-titres ouverts auprès d’un dépositaire central de titres « , comme Euroclear.  » Une telle saisie-arrêt n’a pas la même finalité qu’une saisie pénale qui ne fait pas de l’Etat le créancier du saisi mais qui constitue une mesure de contrainte provisoire […] « , justifie l’arrêt du 23 avril.

Si le match Euroclear-Claise n’est pas fini – la chambre des mises doit encore se prononcer le 28 mai sur la demande d’Euroclear de lever la saisie au motif qu’elle serait  » lésée  » par cet acte d’instruction – l’arrêt intermédiaire qui déclare la saisie légale est déjà historique, car il signifie qu’en principe Euroclear n’est pas au-dessus de la justice.

Par David Leloup et Thierry Denoël.

Un arrêt historique… à huis clos

Voici, dans son intégralité, l’arrêt historique rendu le 23 avril 2020 par la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bruxelles. Afin de protéger la source qui nous a transmis cet arrêt, nous publions une reproduction du texte original sans les signatures et autres détails qui permettraient de faciliter l’identification de la source. En effet, malgré son indéniable intérêt public, cet arrêt n’est officiellement pas public. D’une manière générale, la justice belge est souvent trop opaque, ce qui ne facilite pas le travail des journalistes. Outre les arrêts rendus par les chambres des mises en accusation du royaume (cours d’appel), les jugements des chambres du conseil (tribunaux de première instance) ou encore les montants des transactions pénales négociées avec les parquets dans de nombreux dossiers de criminalité en col blanc (contrairement à nos voisins français) ne font l’objet d’aucune publicité.

Voici les documents de l’arrêt anonymisé

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