David Pestieau

Le « renouveau politique » façon Open VLD et N-VA : renforcer les partis au pouvoir par la hausse du seuil électoral

David Pestieau Vice-président du PTB

Publifin, Publipart, Telenetgate… la vague de scandales a amené le Parlement à la constitution d’un groupe de travail  » renouveau politique « . On aurait pu s’attendre à des mesures radicales contre la culture de la cupidité en politique, les conflits d’intérêts, etc.

Mais c’est une tout autre proposition qui est venue de Vincent Van Quickenborne (Open vld), soutenue par la N-VA : réduire le nombre de députés de 150 à 100. Une mesure qui renforcerait les partis au pouvoir et limiterait l’accès au Parlement aux forces d’opposition nouvelles, en particulier de la gauche authentique.

Le député Vincent Van Quickenborne (Open vld) a plaidé pour une « opération fondamentale de nettoyage du Parlement ». « Le Parlement peut se tenir avec 50 collègues de moins », a-t-il défendu le 22 février. Il a directement été soutenu par la N-VA, qui a insisté sur le fait que l’idée originale venait d’elle. Pour cela, il faudrait changer l’article 63 de la Constitution, ce pour quoi une majorité des deux tiers est nécessaire. « Je ne peux pas m’imaginer qu’un parti soit contre cela », a insisté Van Quickenborne.

Pourtant, beaucoup de partis et de démocrates devraient justement s’y opposer fermement.

Je pourrai arguer que Monsieur Van Quickenborne ne propose aucunement de limite aux cumuls des revenus des mandataires, car il pourrait fâcher ses collègues de parti comme Geert Versnick, l’homme aux 10 000 euros par mois, ou Karel « Arcelor Mittal » De Gucht (294 000 euros par an comme commissaire européen retraité, membre des CA d’Arcelor Mittal et Proximus). Ou encore qu’en lançant la proposition de diminuer le nombre d’élus, il essaie d’empêcher ces réformes radicales indispensables. Mais passons.

Plus de pouvoir encore à l’exécutif

Comme le note l’éditorialiste Bart Eeckhout dans De Morgen du 24 février, diminuer le nombre de parlementaires, c’est donner plus de pouvoir aux gouvernements, au pouvoir exécutif : « L’érosion du contrôle démocratique au sein des Parlements est une conséquence du déplacement du pouvoir vers les quartiers généraux des partis et des organes du pouvoir exécutif (les gouvernements ou comités de direction). Cela s’appelle la particratie. Couper dans le nombre de sièges de parlementaires est compréhensible ; couper aussi drastiquement signifie qu’on laisse le champ libre à ceux qui détiennent le pouvoir exécutif. Ce n’est pas une solution, c’est au contraire le problème. »

Aujourd’hui, plus de 90 % des lois votées au Parlement sont l’initiative du gouvernement et plus de 70 % sont l’exécution simple de directives européennes.

Diminuer le nombre de parlementaires, c’est aussi diminuer le contrôle de députés sur l’exécutif, le nombre d’interventions critiques à l’encontre du gouvernement. Y compris dans les partis traditionnels, où les figures de proue sont souvent plus proches du pouvoir que les voix plus critiques, qui sont repoussés plus bas sur les listes électorales et qui verraient leur élection rendue plus difficile… C’est le cas de Sabien Lahaye-Battheu, deuxième de liste de l’Open vld en Flandre occidentale, qui, si les résultats de 2014 étaient reproduits en 2019 avec une Chambre à 100 sièges, verrait son siège disparaître (L’Open vld passerait de deux à un siège en Flandre occidentale).

Un seuil électoral anti-démocratique plus élevé

La réduction du nombre de députés aurait aussi un impact direct sur la diversité politique et se ferait au détriment des voix les plus critiques du Parlement. Elle entraînerait effectivement à une hausse du seuil électoral de 5 à 7, 10 voire 20 % des voix selon les circonscriptions.

La mise en place du seuil électoral à 5 % en avril 2002, par la coalition arc-en-ciel, avait déjà eu comme résultat dans le passé d’écarter l’émergence de formations politiques de l’accession au Parlement. L’élection des députés PTB Raoul Hedebouw (Liège) et Marco Van Hees (Hainaut) en 2014 a été une des rares exceptions (avec la Lijst De Decker) où un parti non-traditionnel a pu émerger après la mise en place de ce seuil. Un seuil qui avait déjà privé Groen de toute représentation électorale après sa défaite dans les urnes en 2003.

Ce seuil a toutefois bien empêché l’élection dans la circonscription de la province d’Anvers de Peter Mertens, président du PTB, au Parlement en 2014.

Alors que le dernier siège dans cette circonscription a été attribué à 39 926 voix (3,5%), le PTB, qui avait obtenu 51 638 voix (4,5%), en a été privé à cause de ce seuil. Ce qui a d’ailleurs permis au Vlaams Belang d’obtenir un siège supplémentaire…

Or la diminution du nombre de députés a comme résultat mécanique de faire augmenter le seuil réel dans toutes les circonscriptions comme le montre ce tableau.

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© DR

Le seuil de 5 % passe ainsi à 5,1 % à Anvers, à 6,2 % en Flandre orientale et à Bruxelles, 7,5 % à Liège, 8,9 % au Limbourg et à 14 % à Namur pour prendre les plus grandes provinces du pays. Cela rendrait l’émergence d’un parti comme le PTB (au Nord du pays en tout cas) plus difficile.

Une diversité politique limitée

Le dernier sondage en date révèle que le PTB dépasse le seuil électoral en Flandre, avec 5,5 % des voix. Et qu’il obtiendrait deux sièges en Flandre avec une Chambre à 150 députés (un à Anvers et en Flandre orientale). Avec la nouvelle règle, il n’en obtiendrait qu’un, voire pas du tout, ce qui arrangerait particulièrement la N-VA, dont le président a traité le PTB de « déchet du 21e siècle », et l’Open VLD, dont la présidente a appelé à un cordon sanitaire autour du parti de gauche. En réalité la proposition de Van Quickenborne ajouterait au cordon politique une corde antidémocratique pour empêcher l’accès au Parlement de la gauche authentique au Nord du pays.

Rien n’inspire manifestement plus de crainte à ces partis traditionnels qu’un parti qui aide à mettre à jour les scandales politico-financiers et montre qu’il est possible de faire autrement. Avec des députés qui vivent avec un salaire moyen de travailleur et qui n’ont aucun autre mandat rémunéré. Un exemple de ce que pourrait être « le renouveau politique ».

Cette hausse en pratique du seuil électoral menacerait aussi l’élection de députés de formations ayant un score proche du seuil actuel. Nous l’avons vu dans le cas de l’Open vld.

Notons encore que, si l’on fait une projection en sièges à partir des résultats de 2014 pour une Chambre à 100 députés, on remarque que, si beaucoup de partis voient leur nombre de sièges diminuer d’un tiers, Ecolo et le PTB auraient vu leur nombre de députés diminuer de moitié, alors que le PS aurait vu son nombre diminué d’un quart.

Cette « anomalie » est due à notre système « Imperiali » de répartition de sièges, qui n’est pas totalement proportionnel et qui avantage les plus grands partis.

Un danger pour l’émergence de voix critiques comme celle du PTB

Ce projet de l’Open vld et de la N-VA est donc une tentative d’empêcher l’entrée au Parlement de représentants de la gauche authentique venus du Nord du pays, mais aussi d’autres empêcheurs de tourner en rond.

Il s’agit bel et bien de limiter ainsi la diversité démocratique, comme le note aussi Hendrik Vuye dans un interview à Knack (1er mars 2017) : « Je ne pense pas que ce soit un hasard si des voix s’élèvent depuis le camp de la majorité pour réduire le nombre de parlementaires. C’est clair : on vise les petits partis et groupes parlementaires, comme le PTB et nous. Mais imaginez ce qu’aurait été le débat au Parlement sur les intercommunales et la culture de cupidité sans l’apport de Raoul Hedebouw (PTB) et moi ? Sans les petits groupes, il n’y aurait eu aucune question à ce sujet. »

Ce projet est donc dangereux pour la démocratie, pour l’émergence de voix réellement critiques envers le gouvernement. Si on veut commencer par un « renouveau politique » suite aux affaires, on doit commencer par d’autres mesures, comme l’interdiction de cumul entre les mandats politiques et les mandats privés (comme c’est le cas dans le Telenetgate), un cadastre des rémunérations (privées et publiques) et des fortunes des mandataires politiques ainsi qu’un plafond salarial strict, comme l’avons déjà expliqué récemment. http://www.levif.be/actualite/belgique/publipart-publifin-telenet-comment-mettre-fin-a-la-cupidite-dans-le-monde-politique/article-opinion-615725.html

Des alternatives pour rendre le Parlement et le gouvernement moins chers

Cela dit, si la diversité politique et le respect des voix critiques doivent être garantis, on peut imaginer d’autres pistes pour rendre le Parlement et le gouvernement moins dispendieux.

Première piste : pour diminuer le fossé entre le citoyen et la politique, un plafond salarial pour les ministres et hautes fonctions exécutives à trois fois le salaire moyen devrait être une première étape (le Premier ministre a un salaire correspondant à près de six fois le salaire médian). Et on pourrait maintenir une Chambre à 150 députés avec une baisse d’un tiers du salaire des députés, qui correspondrait alors à deux fois le salaire moyen de travailleurs, ce qui donnerait aux députés un salaire au-dessus de 4000 euros net par mois (ce qui continue à les placer dans la tranche des 10 % de Belges qui gagnent le plus).

Deuxième piste : dans le cas d’une diminution du nombre de députés, on pourrait supprimer complètement le seuil électoral, avec une circonscription unique et un modèle totalement proportionnel comme aux Pays-Bas, mettant fin au système Imperiali qui bénéficie aux plus grands partis. Cela permettrait de garantir la diversité politique ainsi que le fait que les voix des petits partis ne soient pas « perdues » à cause d’un seuil anti-démocratique.

Troisième piste : la limitation drastique du nombre de membres des cabinets ministériels, laissant plus de place à l’administration publique.

Ajoutons que le PTB, comme parti unitaire, n’a jamais été en faveur du fédéralisme actuel qui a mené à la création de six gouvernements (et leurs ministres correspondants) et sept Parlements dans ce pays.

Une approche plus rationnelle, avec la refédéralisation d’un certain nombre de compétences (transports, logement, infrastructure routière, recherche scientifique…), permettrait aussi d’économiser.

Pourtant, ce ne sont pas de telles réformes qu’on entend parler l’Open vld et la N-VA, trop occupés dans leur tentative d’étouffer la richesse démocratique de notre pays.

Ce projet de Van Quickenborne ne doit pas voir le jour, car il serait l’exact contraire de ce que veut aujourd’hui la population quand elle parle de « renouveau politique ».

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