Le contrôle technique chez le garagiste : pourquoi la Wallonie ne veut pas embrayer sur la Flandre

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Plus de souplesse, moins de tracasseries :  pas loin du chaos et du KO, le contrôle à la flamande des véhicules pourrait s’ouvrir aux garagistes privés dès 2024. La piste à l’étude en Flandre ne passe pas la rampe en Wallonie où la ministre en charge de la Sécurité routière, Valérie De Bue (MR), ferme la porte à « une source potentielle de dérives ». Et brandit le risque d’un certificat vert obtenu en Flandre mais non reconnu en Wallonie. Fâcheux.

Le contrôle technique au rapport en Flandre, sous un feu prolongé de critiques. La mécanique s’enraie, connaît de gros ratés et les files d’attente kilométriques aux 43 stations de contrôle  – accessibles sans rendez-vous préalable –  durant la crise sanitaire ont eu le don d’exaspérer les automobilistes. Le hic, c’est que même sans coronavirus ambiant, la grogne persiste et la ministre flamande de la Mobilité, Lydia Peeters (Open VLD), s’y associe, excédée d’être toujours inondée de plaintes qu’elle juge justifiées.

Trop is te veel. Lydia Peeters promet sans plus tarder l’avènement d’un contrôle technique à la flamande enfin « orienté client », dépoussiéré, délesté de tâches ou de formalités jugées énergivores en temps ou inutilement tracassières. Pas question de transiger sur l’impératif de sécurité routière, cela va de soi, mais bien d’injecter plus de souplesse et de fluidité dans les rouages du système, d’occasionner ainsi moins de stress et de frustration lors de l’examen de passage annuel imposé à des milliers d’automobilistes. Une série de pistes sont avancées, à l’état d’annonce mais déjà à l’étude.

Au programme à court terme : en finir avec l’obligation de représenter le véhicule dans les quinze jours en cas de manquement mineur jugé sans danger pour la sécurité routière et fixer l’échéance au prochain contrôle annuel pour, par exemple, réajuster un phare mal réglé, changer des essuie-glaces plus en très bon état ou remplacer une lampe défectueuse au tableau de bord ; arrêter aussi d’enquiquiner l’automobiliste qui n’est pas en mesure de produire l’attestation de conformité du véhicule, la preuve de la couverture assurance du véhicule ou la simple convocation à la visite. Au menu à moyen terme : faciliter la vie des usagers en étendant aux voitures particulières le système, jusqu’ici réservé aux véhicules utilitaires, des inspections mobiles menées dans des lignes de contrôle technique extérieures aux stations.

Mais la mesure-phare projetée, de loin la plus audacieuse, reviendrait à associer dès 2024 le monde des garagistes privés au contrôle technique en y autorisant, moyennant une agréation, des (ré)inspections. « Ainsi les gens pourront-ils se rendre chez leur garagiste de confiance et n’auront plus besoin de se rendre dans une station de contrôle technique », se réjouit à l’avance Lydia Peeters qui se demande bien pourquoi ce qui se pratique aux Pays-Bas ou en Allemagne ne pourrait pas l’être en Flandre.

Inutile pour l’automobiliste d’espérer faire une bonne affaire en court-circuitant la station au profit du garagiste,  » le coût pour l’utilisateur comme pour les pouvoirs publics risque d’exploser  » prévient encore une ministre wallonne décidément remontée contre la filière du garage. S’équiper en instrument de contrôle technique aux normes requises sera forcément répercuté par le garagiste sur le client, tandis qu’assurer l’agréation et le suivi des activités de contrôle d’une foule de réparateurs nécessitera des moyens publics de surveillance renforcés. « Le système du contrôle technique néerlandais a montré des problèmes d’indépendance et met en évidence des coûts jusqu’à deux fois plus élevés pour le client par rapport à la Belgique ».

 » La reconnaissance des certificats de contrôle technique émis en Flandre risque de ne plus être effective en Wallonie »

Valérie De Bue (MR), ministre wallonne de la Sécurité routière

Au fait, tout ce qu’accouchera le chantier ouvert en Flandre sera-t-il bien compatible « avec la réglementation européenne qui mise sur une harmonisation des règles et des pratiques de contrôle » ? Il se pourrait que le nord du pays aille au-devant de quelques ennuis en se mettant à pratiquer le hors-piste, appuie Valérie De Bue :  » La reconnaissance des certificats de contrôle technique émis en Flandre risque de ne plus être effective en Wallonie ou dans les autres pays européens. Si une réparation effectuée par un garage en Flandre ne donne pas lieu à un certificat de contrôle technique valable, le contrôle ne sera pas reconnu en Wallonie. « 

On n’en est pas encore là. Mais la perspective de passer à un contrôle technique à géométrie variable selon les régions, ce qui semble bien parti, n’enchante pas le monde de l’automobile dans toutes ses composantes. La ministre flamande de la Mobilité peut compter sur l’entier soutien de la Fédération belge de l’Automobile (FEBIAC), la ministre wallonne de la Sécurité routière sur l’incompréhension de Traxio, la Fédération du secteur de la mobilité, quant à sa charge contre les garagistes jugée « fort peu à propos pour ne pas dire stupide et qui témoigne d’une méconnaissance du problème. Il ne s’agit évidemment pas de prendre le job des stations de contrôle technique mais d’offrir la possibilité de repasser chez un garagiste un contrôle pour des manquements mineurs. Quand on sait que 70% des revisites sont liées à une ampoule défectueuse ou à un problème de pneus et qu’un garagiste qui se charge de faire passer une voiture au contrôle technique peut facturer la visite 70 euros au client en raison du temps d’attente à la station, on se dit que cette alternative a du sens. Ce qui serait gravissime, c’est que la Flandre et la Wallonie soient incapables de s’entendre sur un contrôle technique commun ». Un risque d’inconfort  » à ne certainement pas encourager « , dit-on chez Touring sous réserve d’inventaire,  » pas idéal quoique sans impact négatif sur la sécurité routière « , abonde-t-on chez VIAS où l’on n’exclut pas un tourisme du contrôle technique par-delà la frontière linguistique, rançon d’une régionalisation des matières qui échappe parfois à la logique du bon sens et  » touche aussi la formation à la conduite.  » 

 » Un garagiste qui à la fois contrôle et répare ? Je ne privilégierais pas ce business model  »

Olivier Goies, président du Comité de direction du groupe Autosécurité

Tout ça pour quoi ? C’est bien ce que se plaît à souligner le secteur des actuels contrôleurs. Olivier Goies, président du Comité de direction du groupe Autosécurité, 25 stations de contrôle technique au compteur, premier groupe wallon, retiré du marché flamand depuis 2017, peine à déceler les ressorts de cette volonté de réforme.  » On peut y voir une façon de faire marche arrière en reconvertissant en défectuosités mineures un certain nombre de manquements classés comme majeurs par la Flandre qui se montre ainsi plus sévère que la réglementation européenne. Un garagiste qui à la fois contrôle et répare ? Je ne privilégierais pas ce business model. Et je vois mal l’administration flamande, qui n’est déjà pas en mesure de contrôler les stations de contrôle technique, disposer des effectifs nécessaires pour assurer en plus la surveillance des garages agréés. A moins de se mettre en porte-à-faux avec la réglementation européenne, je ne vois pas trop en quoi les mesures projetées pourront résoudre le problème numéro un qui est le temps d’attente aux stations flamandes « . Ni, selon lui, inciter vraiment les automobilistes wallons à un détour par un contrôle technique flamand qui se voudrait plus accommodant envers le client.

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