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« Le compromis à la belge ? Une formule où chacun est perdant »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le compromis à la belge ? Une formule où chacun est perdant. Dans un ouvrage consacré à la psychologie de la négociation, la professeure Stéphanie Demoulin démonte quelques clichés. Et dissèque les ressorts de la négociation.

Le Vif/L’Express : A vous lire, une bonne négociation se déroule dans un climat constructif, en cherchant une solution qui permette à tous d’atteindre au moins quelques-uns de leurs objectifs, avec une certaine confiance. Le milieu politique ne donne guère cette image-là…

Stéphanie Demoulin : La négociation politique est de plus en plus complexe, entre autres en raison du profil des personnalités qui négocient et du passé qui laisse des traces dans les relations entre certains présidents de parti. Mais on n’a pas le choix. Compliqué ne veut pas dire impossible, à condition de travailler pour cela. On a vu ailleurs se conclure des accords autrement plus difficiles, par exemple entre Palestiniens et Israéliens. C’est donc possible en Belgique, mais cela nécessite, avant de négocier sur le fond, d’instaurer la confiance et d’expliciter les enjeux pour chacune des parties. Cela prend du temps. Mais vouloir conclure rapidement n’est pas une solution. Le traumatisme de 2010 ne doit pas conduire les interlocuteurs à vouloir aller vite à tout prix.

Une négociation ne peut réussir que si les interlocuteurs se font un minimum confiance. Or on sait que les uns et les autres se sont parfois trahis par le passé…

S’il n’y a pas de confiance, on ne peut pas former de gouvernement. Le problème, c’est qu’à chaque élection, on remet les compteurs à zéro et qu’à l’approche des scrutins, les comportements entre ex-alliés se modifient, vu l’enjeu. Il faut aussi distinguer ce qui se passe devant et hors caméras, à cause du jeu médiatique.

Dans la situation actuelle, un accord vous semble-t-il possible ?

On transmet l’idée que rien n’est possible avec la NVA. Or ce n’est pas forcément vrai, sauf peut-être avec le PS. Chacun des interlocuteurs peut avoir des positions fortes et des limites claires sur des enjeux qui lui paraissent essentiels tout en faisant des concessions sur d’autres points qui sont moins majeurs pour lui. C’est ce que j’appelle la ferme-flexibilité. Aux interlocuteurs à travailler entre ces deux extrêmes. La difficulté, c’est que souvent, les négociateurs adoptent une attitude de fermeté à tous les enjeux de la discussion, ce qui ne laisse aucune marge de manoeuvre.

Le compromis, que vous définissez comme une stratégie dans laquelle tout le monde est perdant, n’est donc pas un but à poursuivre ?

Non. Dans un compromis, on coupe la poire en deux sur tous les enjeux, sans distinguer ceux qui sont essentiels pour les uns ou les autres, et personne n’est satisfait. Cela génère des frustrations qui ne font que se reporter sur la négociation suivante. La technique dite de l’échange des bons procédés, en revanche, consiste à travailler sur tous les enjeux en même temps en acceptant de ne rien gagner du tout sur un enjeu que l’on ne juge pas capital pour tout gagner sur un point essentiel.

Le compromis est pourtant généralement présenté comme une vertu…

Parce que qu’il est culturellement transmis comme étant une solution positive, qui ne fait ni gagnant ni perdant. Le compromis donne l’impression d’une solution juste. Et les gens veulent vivre dans un monde juste…

Stéphanie Demoulin, professeure de psychologie sociale à l’UCL, auteure de l’ouvrage Psychologie de la négociation – Du contrat de travail au choix des vacances, Ed. Mardaga. L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine .

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