L’audace de Sabine Weiss (oeuvre de la semaine)

Guy Gilsoul Journaliste

1950, quelque part dans le Paris populaire entre les Portes d’Auteuil et de Saint-Cloud, vit et travaille Sabine Weiss. Le jour, elle travaille dans un atelier spécialisé dans le portrait, la mode et la pub. Le soir et le week-end, avec son mari peintre, elle fait le tour de son quartier, parfois jusqu’au bois de Boulogne et se laisse porter par le hasard des belles rencontres.

Elle aime ces lieux quand, la nuit venue s’allument les lampadaires, que le brouillard déréalise les rues et que la pluie voile les surfaces. A l’affût, elle retient aussi le rêve d’une porte usée, d’une serrure mais aussi et surtout de ces instants où, dans la vie des gens simples, tout se dit, à leur insu, dans une attitude, un geste, un regard : « Je ne photographie que ce qui me touche ». Cela peut-être un joueur d’accordéon, une vendeuse de frites, une balayeuse de rue, un sans-abri sur un banc public. Mais surtout des enfants. Des « titis » dévalant sur une planche à roulettes, d’autres, agglutinés au sommet d’un arbre mort ou encore des gamines de bateliers enchaînées sur le pont d’une péniche.

Elle ne mitraille pas mais s’approche jouant davantage sur l’empathie que sur l’effet de surprise. Ce jour-là, dans un terrain vague, elle voit ce couple d’adolescents. Elle est attirée par ce moment d’audace qui pourrait être violent mais qui relève du jeu amoureux dans lequel chacun garde son rôle.

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null© Sabine Weiss

Elle, en « victime », lui en « conquérant. Simone de Beauvoir n’est pas du quartier. Sabine Weiss, si. Elle n’est pas révoltée mais plutôt attendrie. En un instant, elle voit les sentiments qu’expriment la gestuelle défensive de la fille et de même le regard victorieux adressé par le séducteur à un de ses « potes » posté non loin : « Il s’agit, explique-t-elle, d’apprendre à voir les détails les plus simples mais qui expriment tout et éclairent l’essentiel ». En 1946, quand, à 22 ans, Sabine Weiss quitte la région de Genève pour rejoindre sans le sou, la capitale française, elle ignore tout de la photographie « humaniste ». Sauf que Robert Doisneau la remarque et après lui Edward Steichen qui expose trois de ses images dans la célébrissime exposition « The Familiy of man » au Moma de New-York en 1953. Comme Izis, Edouard Boubat ou encore Brassaï, elle fait partie de ces regards nés aux beau temps des Trente glorieuses mais les petits bonheurs des quartiers pauvres qu’elle recherche sans tomber dans le document, elle le trouve aussi de par le monde, en Inde, en Roumanie, au Portugal, aux Etats-Unis ou encore en Bretagne qui l’accueille en ce moment pour une vaste exposition rétrospective construite autour de sept thématiques. Parmi elles, les portraits de créateurs, plasticiens, acteurs, musiciens ou écrivains comme Giacometti, Kees Van Dongen, Dado, André Breton, Samuel Beckett, Charlie Chaplin, Françoise Sagan ou encore Yves Montand et Jeanne Moreau.

Vannes, Le Kiosque. Quai Eric Tabarly. Jusqu’au 6 septembre. Tous les jours sauf lundi de 9h30 à 19h. www.marie-vannes.fr

Légende : L’audace, Paris 1950. C Sabine Weiss

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