Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens: la chienne et la chatte (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Dindes, grues, truies, poules, thons… Les hommes étaient-ils si paresseux, lexicalement parlant, que pour puiser toutes leurs insultes dans le répertoire animalier ? D’autant que, hormis les porcs, la réciproque est moins vraies. Comparer sans cesse les femmes à des animaux n’est pas un hasard du dictionnaire: c’est une infériorisation voulue.

Ahahahahah. Hilarante, vraiment, cette vanne du petit malin qui, sur Facebook, le 25 novembre dernier, a posté: « Thanksgiving: journée internationale de lutte contre les violences faites aux dindes », alors que ce jour-là était aussi consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes. Le calendrier est parfois mal fait. Mais bon, les unes comme les autres se font massacrer sans que ça n’émeuve personne.

Les dindes. Etrange: lire ce mot ne fait pas apparaître une image mentale de volaille. C’est comme les chiennes, les grues, les thons, les pouliches, les poules, les juments, les truies, les bécasses, les cougars. Les levrettes ou leurs opposées, les étoiles de mer. Et les chattes, comment les oublier, les chattes? Puis les morues. Ainsi que les vaches (souvent grosses, d’ailleurs). Les hommes étaient-ils si paresseux, lexicalement parlant, pour puiser toutes leurs insultes dans le répertoire animalier?

Autant d’occurrences, cela ne peut relever de la coïncidence. Pour Serge Garcet, professeur au département de criminologie de l’ULiège, ce vocabulaire a une signification claire: c’est un beau gros stéréotype de genre. De ceux qu’il est si difficile de déconstruire. « Les femmes sont reléguées au même rang que les animaux, donc elles ne font pas vraiment partie de l’humanité avec un grand H, donc elles sont inférieures aux hommes. » Donc elles peuvent être chassées, pêchées, traquées, violentées. Tuées. Quoique (petite parenthèse), un chaton torturé provoque souvent plus d’émotion collective qu’une meuf qui en a pris plein la gueule. Il suffit d’être un brin cinéphile: le viol, les coups, le sang débordent à l’écran, mais un oiseau écrasé serait considéré de mauvais goût (fin de la digression).

Il est frappant de constater que derrière quasi tous ces vocables transparaît une allusion sexuelle évidente. Ou une évocation blessante à un physique jugé disgracieux (c’est-à-dire n’inspirant pas le désir sexuel). Ou un sous-entendu cinglant quant aux capacités intellectuelles de ces idiotes. Connes, moches, putes: le triptyque habituel des insultes faites aux femmes. Car les ramener inlassablement à leur apparence, leur corps, leur sexualité – qui sera toujours trop forte ou trop faible, jamais adéquate -, c’est leur refuser l’accès à l’espèce pensante, une taxinomie uniquement réservée aux hommes.

Tout au plus sont-ils traités de porcs, eux. Parfois de chiens, ce qui n’a rien de sexuel. Ou de requin, qui n’a pas de nom pour sa femelle, et de toute façon, personne n’attend d’elles qu’elles soient « ambitieuses et sans pitié ». Les comparaisons animales que leur réserve la langue française sont même plutôt avantageuses. Un (bel) étalon. Un coq (et sa basse-cour). Un lion. Un chaud lapin. Fier comme un paon. Malin comme un singe. Doux comme un agneau. Fort comme un boeuf. N’en jetez plus! Le mâle est flatté et l’ours mal léché pèsera peu dans la balance. Rusée comme une renarde, bizarrement, ça sonne beaucoup moins bien.

Ce ne sont que des mots. Pourtant, ils façonnent la société, ils accentuent les inégalités de genre, ils charpentent l’infériorisation de la moitié de la planète. D’ailleurs, s’il ne s’agissait que de lettres assemblées sans aucun pouvoir symbolique, « iel » serait passé totalement inaperçu quand il a fait son entrée, parmi 30 000 autres, dans Le Robert (en ligne, faut pas exagérer), début novembre. Et personne ne s’étranglerait en avalant un point médian de travers.

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Le nouveau langage du sexe

Du très poétique « Je l’ai démontée » au complimenteur « C’est un bon coup », le vocabulaire décrivant l’acte sexuel est très souvent associé à la violence. Or, les mots sont vecteurs d’une vision de la société (bis repetita). C’est pourquoi l’ONG International Planned Parenthood vient de lancer un sondage, sur le site Newsexslang.com et sur les réseaux sociaux, pour trouver de nouvelles expressions, non dégradantes, pour désigner une femme qui aime le sexe, une personne géniale au lit et deux partenaires faisant l’amour de manière égalitaire. A vos idées!

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mesures font partie du Plan d’action national de lutte contre les violences de genre, porté par la secrétaire d’Etat à Egalité des genres, des chances et à la Diversité Sarah Schlitz (Ecolo) et voté le 26 novembre par tous les gouvernements du pays. Ces mesures porteront notamment sur des actions de sensibilisation et d’éducation, d’accompagnement des victimes, d’adaptation de la politique criminelle et de prise en compte de la question du genre dans les politiques d’asile et de migration. Un budget annuel de 2,5 millions d’euros a été débloqué pour leur mise en place.

Première égérie transgenre

Elle s’appelle Nora Monsecour, elle est danseuse et, depuis peu, elle est la nouvelle égérie de la marque de shampoings Pantene. Ce qui n’aurait rien de particulièrement notable si elle n’était pas devenue, par conséquent, la première personnalité transgenre à représenter une grande marque en Belgique. Signe, sans doute, d’une (légère) évolution des mentalités… En 2018, cette jeune Flamande avait par ailleurs inspiré le film Girl du Belge Lukas Dhont.

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