Nicolas Baygert

La forme sans le fond

Nicolas Baygert Chargé de cours à l'IHECS et maître de conférences à l'ULB

Le marketing territorial a le vent en poupe. Tant en Wallonie qu’à Bruxelles, rebranding superficiel et festivisme apparaissent aujourd’hui comme les deux mamelles de la communication politique de nos instances fédérées.

A défaut de Plan B tenant la route, la « WalloBruxie » continue sa révolution graphique. Après une Communauté française rebaptisée Fédération Wallonie-Bruxelles et l’Iris bruxellois devenu « be.brussels » – une « marque invitation » selon son concepteur (1) -, la Wallonie a elle aussi entrepris sa mue pixélisée. « Feel inspired » (sentez-vous inspiré), le slogan lié à la nouvelle identité visuelle wallonne sonne tel un voeu pieux au regard des couacs entourant le lancement (le nom de domaine Wallonia.be est la propriété d’un citoyen flamand jusqu’en 2015). Des erreurs de débutant admises par l’Awex (2) : « Nous savions que ce n’était pas fini mais le gouvernement a décidé de communiquer le logo avant la fin du processus. » (3) Un empressement qui prouverait surtout ce désir absolu émanant de la Région wallonne et des équipes gouvernementales de se « démarquer ».

Un « j’existe ! », une exhortation à l’auto-affirmation sonnant d’autant plus creux qu’en l’absence de référent territorial clair, les logos abscons se suivent sans susciter l’adhésion. Pis, ils irritent l’opinion, compte tenu des sommes dépensées (près de 500 000 euros pour l’étude McKinsey sur la « marque Wallonie », 60 000 pour ce nouveau logo). Or la valse des sigles et l’incessant ravalement de façade institutionnel témoignent avant tout d’une crise identitaire profonde.

Et que dire de « Bruxelles je t’aime », l’initiative de la ministre de la Culture, Fadila Laanan (PS), lancée à grand renfort de soutiens (la Stib, la DH, Télé Bruxelles, la RTBF via ses chaînes radios), réduisant ainsi considérablement le champ critique ? Le projet se veut un « appel aux citoyens actuels, culturels ou amateurs, à déclarer leur flamme pour Bruxelles ! » La capitale, perçue comme « chaos formidable, un joyeux bordel ». Le tout accompagné de son chapelet de poncifs en mode Couleur Café. Bruxelles « est chaleureuse, formidable. Et belle aussi : ceux qui la font vivre, la font rayonner. Dans sa multiculturalité. » « Bruxelles je t’aime » ou le recours aux crayons de couleur pour farder l’apathie gestionnaire. La charte graphique elle-même interpelle par son infantilisme assumé.

Tel un bambin rechignant à ranger sa chambre et prenant plaisir au tohu-bohu ambiant, la ministre de la (puéri)culture offre ici une réponse festiviste à l’interpellation – certes hargneuse, mais fondée – du correspondant de Libération, Jean Quatremer, témoignant de l’incapacité d’une certaine classe politique à (se) prendre au sérieux. Reste le pied-de-nez au journaliste français, perçu comme trouble-fête pisse-froid par la ministre du culte festif.

Le festivisme est un concept du regretté Philippe Muray (1945-2006) qui décrivait notre époque comme celle de la « festivisation généralisée » (4). « Le festif comme dernière manière de faire tout court. » Aussi, le réflexe au festivisme subventionné de Fadila Laanan est symptomatique de ce type de « névrose collective qui dispense chacun (ainsi que, jadis, Freud le reprochait à la religion) de se faire une névrose personnelle » évoqué par Muray.

Ces Laananneries seraient distrayantes si elles ne creusaient pas davantage encore le fossé entre Bisounoursisme politique et priorités citoyennes. Car par-delà les questions de propreté, ce qui plombe aussi l’image de Bruxelles n’est autre qu’une certaine insalubrité communicationnelle.

Réactions passionnelles et stériles, le réflexe au branding et autres ersatz festifs sont autant de parades défensives, de remèdes palliatifs à l’encontre des constats posés. Des répliques à mille lieues des réponses politiques attendues.

(1) Thierry Brunfaut de l’agence Base Design spécialisée dans le rebranding. (2) L’Agence wallone à l’Exportation et aux Investissements étrangers. (3) Lire aussi Le Vif/L’Express du 5 juillet, p. 14. (4) Philippe Muray, Après l’Histoire, Paris : Gallimard (Collection Tel, n° 348), 2007.

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