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La femme au foyer, pourquoi tant de préjugés?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Les tâches domestiques et le bénévolat représentent un apport à la société trop injustement sous-estimé et dévalorisé. Entretien avec Philippe Defeyt, économiste (Institut pour un développement durable).

«Les femmes sont libres de rester à la maison mais pas aux frais de la société»: y aurait-il du vrai dans le jugement porté par Vincent Van Quickenborne?

Est-ce vraiment le problème le plus grave auquel la Belgique doit faire face en ce moment? Faut-il aggraver une crise sociétale et écologique, qui survient plus vite que prévu, en continuant de doper la croissance, et alors que des gens manifestent un refus de s’inscrire dans une logique productiviste en ralentissant le rythme fou d’activité exigé de nos sociétés? Ce genre de propos idéologiques et électoralistes relèvent d’une culture de l’activation à tous crins, surtout présente en Flandre où le travail à temps plein devient l’unique objectif à atteindre.

La présence de la femme à la maison serait-elle devenue une tare, économiquement parlant?

On est en train de changer de monde, après s’être tant battu pour ménager des possibilités d’accommodement des carrières professionnelles par des incitants financiers. Le procédé est facile: on pointe un manque de main-d’œuvre, on se concentre sur un aspect de la question, on vise les femmes au foyer et les dispositifs sociaux qui y sont liés. Tous ces filtres réduisent finalement le débat à peu de chose, si ce n’est à la manifestation d’une forme d’impérialisme économique.

Vincent Van Quickenborne pointe les allocations de chômage majorées que touche le partenaire dont la femme refuse de travailler. Y aurait-il de l’abus?

Le problème, en Belgique, est qu’on raisonne en noir et blanc: soit on est mère au foyer à temps plein et jusqu’à la fin de ses jours, soit on travaille. La réalité est évidemment bien plus complexe. Toutes les femmes à la maison ne sont pas nécessairement des mamans, beaucoup d’entre elles ne touchent aucune allocation et n’en demandent pas, d’autres travaillent à temps partiel. Que Vincent Van Quickenborne, s’il plaide pour la suppression de l’allocation majorée octroyée pour personne à charge, ait alors aussi le courage de poser la question de l’accompagnement des personnes âgées.

Pour un peu, la femme à la maison passerait pour une vilaine profiteuse du régime. Et la cible est toute désignée: les mères au foyer d’origine immigrée…

Le «modèle familial méditerranéen» ne concerne pas que des mamans. Les personnes d’origine étrangère sont victimes de formes de discrimination dans l’accès au marché de l’emploi ou au logement. Il faut éviter à tout prix d’en faire un débat sur l’origine des personnes concernées, de réfléchir en noir et blanc alors que des tas de situations intermédiaires existent et rendent le sujet beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Il y a sans doute quelque chose de vrai dans les propos de Vincent Van Quickenborne et de Conner Rousseau, c’est le constat qu’en milieu socialement précaire, les revenus du ménage diminueront si la femme à la maison, qui perçoit une petite allocation de chômage ou d’insertion, allait travailler. Mais faut-il aller jusqu’à priver la femme ou l’homme au foyer de l’accès aux soins, de l’usage de nos routes, sous le prétexte qu’elle ou il ne contribuerait pas au financement du système? On est en train d’importer, de manière insidieuse, des combats culturels, au travers d’expressions de rejet de moins en moins bridées, envers les étrangers malvenus, ou des profiteurs du hamac social.

Si ce n’est pas par intention de vivre aux dépens de la société, qu’est-ce qui motive quelqu’un en âge de travailler à choisir la vie au foyer?

On peut estimer que 300 000 Belges de moins de 65 ans sont «femme ou homme au foyer», sans statut. C’est un monde multiple, brouillé par l’image qu’on véhicule à son sujet. Ce choix peut être guidé par diverses raisons, par insatisfaction ou par dégoût du marché du travail notamment, comme c’est le cas d’infirmiers et infirmières. Mais j’ai aussi l’intuition que les mentalités sont en train de changer parmi les jeunes générations. Je crois percevoir une volonté de vivre autrement la jeunesse de leurs enfants, une envie moins présente de s’inscrire dans un monde de compétition et de productivisme. Vivre mieux les premières années de ses enfants ne signifie pas néces- sairement rester à 100% derrière eux.

On raisonne en noir et blanc: soit on est mère au foyer jusqu’à la fin de ses jours, soit on travaille. La réalité est plus complexe.

Peut-on en conclure que l’apport de ces personnes au foyer à la richesse du pays est vraiment nul?

On néglige trop souvent, dans l’évolution de la croissance économique depuis la Seconde Guerre mondiale, l’apport important fourni par les tâches assumées de manière domestique, non monétaire, dans un cadre non marchand. La valeur économique n’aurait-elle de valeur que dans un système monétaire? Dans ce cas, la question du bénévolat, largement pratiqué par les femmes, doit être posée. Mais qu’est-ce qui permet de dire que les mères qui travaillent à temps plein et mettent leurs enfants à la crèche dégagent plus de valeur que les mamans qui gardent leurs gosses à la maison? Le statut de la femme au foyer, qui consent un sacrifice financier pour cela, ne devrait-il être accessible qu’aux personnes dont le conjoint perçoit suffisamment de revenus, à la femme de médecin qui a cinq enfants, par exemple? Ce débat contient aussi une dimension inégalitaire.

L’allocation universelle que vous prônez serait-elle un moyen de briser la dépendance financière de la femme au foyer?

Le revenu de base, individualisé, devrait permettre à tout le monde, et pas uniquement aux femmes qui sont à la maison, de poser plus facilement des choix de vie en donnant l’opportunité de consacrer une partie de son temps à des activités utiles pour la société. Mais ces femmes au foyer, qui ne seront plus tributaires de droits sociaux, seront plus libres par l’octroi d’un minimum de ressources, y compris pour le ménage.

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