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La criminologue qui chuchote à l’oreille de la droite flamande

Bart De Wever a fait appel à Marion Van San pour élaborer sa lutte contre le radicalisme. Spécialité de cette Hollandaise : des recherches « sans tabou » sur la délinquance des allochtones. Une « raciste scientifique » pour certains, une « mercenaire » pour d’autres.

« Madame, votre travail ne nous apprend rien. Et au fond c’est un soulagement. » En 2001, les députés Vincent Decroly (Ecolo) et Pieter De Crem (CD&V) tombent à bras raccourcis sur la criminologue hollandaise Marion Van San. La scène se passe en Commission de la Justice : quinze députés de tous bords scalpent méticuleusement la criminologue. En cause, son rapport sur la criminalité des « jeunes allochtones en Belgique », commandité par le ministre de la Justice d’alors, Marc Verwilghen (VLD).

Manque de rigueur scientifique, soupçon d’orientation idéologique : les reproches pleuvent. « Si j’ai deux Turcs dans mon village et que l’un d’eux commet un délit, dois-je en conclure comme vous que 50 % des Turcs sont des criminels ? », entend-on.

Amère, Marion Van San retourne aux Pays-Bas, où elle explore inlassablement la délinquance des minorités en menant des enquêtes de terrain qui recueillent un certain succès médiatique. Dans la presse hollandaise, elle raconte son expérience belge : « La Belgique est la championne de l’hypocrisie en matière de criminalité des allochtones », déclare-t-elle au magazine Elsevier. Son nom réapparaît en 2007 à la faveur d’une étude réalisée avec deux collègues de l’Université de Rotterdam pour le compte du ministre flamand Marino Keulen (Intégration) et du ministre fédéral Patrick Dewael (Intérieur). Encore deux VLD. Son sujet : la situation des étrangers en séjour illégal, ainsi que le lien entre clandestinité et criminalité.

L’annonce de cette étude provoque à nouveau l’émoi. La Crer (Coordination pour la régularisation) dit craindre le « racisme scientifique » de Marion Van San. Du côté du monde académique, c’est la stupéfaction. Quatre universités travaillent depuis plus d’un an sur le même sujet… à la demande de l’administration fédérale. Pourquoi cette enquête parallèle ?

En 2008, le rapport de Van San & co sort dans une discrétion médiatique remarquable. Ses auteurs avertissent le lecteur que leur recherche n’offre « aucune garantie de représentativité » (une vraie curiosité de la part d’une étude universitaire), mais n’en concluent pas moins que les étrangers en situation illégale ont une criminalité deux fois plus élevée que les étrangers régularisés. Marion Van San conseille aux autorités belges « d’ouvrir les métiers en pénurie aux migrants extra-européens puis de renvoyer ceux-ci dans leur pays une fois le travail fini ». Est-elle encore dans son rôle de criminologue ? Ses propos n’offusquent plus personne, en tout cas. Pas de doute, le pays est sorti de « l’hypocrisie » qu’elle dénonçait six ans plus tôt.

Voilà Marion Van San désormais en mesure d’afficher un profil « respectable » pour le monde politique : des recherches disons décomplexées sur des sujets sensibles, une capacité à éviter la polémique, une légitimité universitaire. De plus elle n’est pas belge, elle est donc valorisable comme « experte internationale ». Pour un élu de droite, elle est l’arme parfaite.

Des qualités qui n’ont pas pu échapper à Bart De Wever quand il l’a recrutée comme experte dans son « sommet radicalisme ». La thèse du bourgmestre d’Anvers est connue : « Il faut arrêter de penser que le radicalisme s’enracine uniquement dans la discrimination et le fait d’être défavorisé. » Il lui reste à trouver une caution scientifique. Ce n’est pas en Belgique qu’il va la trouver. D’où Marion Van San ? Son porte-parole, Philippe Beinaerts, s’en défend : « Vous relayez des accusations contre une experte pour donner une image fausse de Bart De Wever. On a invité Marion Van San en raison de sa grande expérience et de ses compétences, point. »

« Elle n’est absolument pas reconnue comme experte internationale du radicalisme, rétorque Marco Martiniello (Ulg). Je range Marion Van San dans la catégorie des consultants, et non des chercheurs scientifiques : ceux-là ont pour mission de démontrer des résultats convenus avant l’étude. Or je ne croirai jamais que Bart De Wever n’a pas d’agenda caché en s’emparant de cette problématique. Je ne suis donc pas surpris de retrouver Marion Van San auprès de lui : elle travaille souvent pour des élus de droite. »

Marion Van San, elle, très évasive sur sa collaboration avec Bart De Wever, nous précise qu’elle mène depuis quatre ans une étude sur le radicalisme pour le compte du Coordinateur National de la Lutte contre le Terrorisme à La Haye et de l’Institut pour les questions multiculturelles à Utrecht. « Heureusement ils savent que je suis une scientifique intègre qui connaît son sujet. »

Le monde scientifique suivra très attentivement l’expérience anversoise.

Diederick Legrain

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