Nicolas De Decker

La certaine idée de Nicolas De Decker: l’idéologie, c’est les autres (chronique)

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Un président de parti qui taxe ses concurrents d’idéologie, c’est un footballeur qui accuse son adversaire d’avoir contrôlé le ballon du pied.

Il n’est pas neuf que certains considèrent négativement les énoncés idéologiques. C’est une ancienne blagouille, au moins depuis le vieux Karl Popper, un philosophe libéral qui voulait réconcilier les gens avec la science – et en fait avec son idéologie. Et justement, « l’urgence, c’est le climat. Pas l’idéologie », disait l’autre jour, sur Twitter, le président de DéFI, François De Smet, qui fut philosophe et libéral dans la vie civile.

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« Quand la loi est idéologue, on en change », lui a répondu le président du MR, Georges-Louis Bouchez, qui n’a jamais connu de vie civile, mais qui se dit fort philosophe et très libéral, et François De Smet, que des gens embêtaient sur Twitter, précisait que « nous rencontrons une confrontation entre certaines idéologies et la réalité », comme si l’idéologie n’était pas une interprétation, engagée, donc forcément biaisée de cette réalité, et comme si la réalité de la présidence d’un parti politique ne consistait précisément pas en cette interprétation engagée.

Il était question de centrales au gaz et de réacteurs nucléaires, et les deux présidents philosophes libéraux, qui ont changé d’avis sur ces sujets depuis les élections de 2019, profitent du pesant embarras dans lequel se trouvent les écologistes, tenus à des objectifs, sortir du nucléaire et diminuer de 55% d’ici à 2030 les émissions nationales de gaz à effet de serre, paradoxaux à court terme, et de ce fait fort gênants à moyen terme.

Cet embarras écologiste est gros comme un jet privé décollant vers une COP écossaise. Il devrait être suffisamment profitable pour que des présidents adverses, surtout ceux-ci, qui se targuent d’une dilection pour les débats de fond, évitent de retourner vers eux-mêmes une arme rhétorique contondante comme une tonne de CO2. « Aveuglement », « dogmatisme » ou, tant qu’à faire, « bêtise » auraient, comme synonymes dépréciatifs, largement suffi pour disqualifier l’idéologie des autres sans ridiculiser la sienne, et, avec elle, son propre métier. Car en disant que l’idéologie des autres est idéologique, ils sous-entendent que la leur ne le serait pas, et donc qu’ils n’en auraient pas. Ils croient se réfugier sous un bon mot et, en fait, ce bon mot les écrase. La raison d’exister d’un parti politique est l’affrontement idéologique. Chaque programme est une vision du monde, chaque propos présidentiel une bribe d’idéologie, et chaque bulletin de vote posé dans une urne un choix idéologique. L’idéologie est l’oxygène du corps politique et le féculent d’un régime démocratique. Sans elle, aucun parti n’est nécessaire, l’élection est superflue et les présidents de partis inutiles: quelques planificateurs suffisent, et des algorithmes feront même volontiers le boulot.

Si bien qu’un président de parti qui taxe ses concurrents d’idéologie, c’est un footballeur qui accuse son adversaire d’avoir contrôlé le ballon du pied. Et même qu’un législateur, ici un sénateur coopté et un député fédéral, qui traite une loi d’idéologique, c’est un boulanger qui dénonce un concurrent parce qu’il vend du pain.

Et donc que deux philosophes libéraux qui trouvent que l’idéologie, c’est les autres, ce sont des politiques qui auraient oublié que ce que les mécontents reprochent aux politiques, c’est d’avoir renoncé à leurs valeurs. Pas de les défendre.

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