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La Belgique en faillite ? « C’est préoccupant, mais on a déjà connu pire »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Face à la dette et au déficit publics, il faut être vigilant. Mais rien ne sert de s’inquiéter trop vite, estime l’économiste Paul De Grauwe, professeur à la London School of Economics et ancien sénateur. Le spectre des années 1970 est loin…

En faillite, la Belgique, comme le dit Bart De Wever?

Non, c’est tout à fait exagéré. Il y a un problème, c’est clair, mais quand on regarde en Europe, d’autres pays ont des dettes bien plus élevées que la nôtre. Dire que notre pays va droit dans le mur, comme le fait De Wever, c’est de la stratégie politique pour tenter de convaincre que la Belgique fédérale ne fonctionne pas.

La situation du déficit public n’est-elle pas préoccupante?

Si, bien sûr. Mais la dette elle-même ne constitue pas un problème existentiel, d’autant qu’elle a été émise à un moment où les taux d’intérêt étaient nuls voire négatifs. Dès lors, les charges actuelles liées à cette dette sont faibles. Pour le moment, ce n’est pas un fardeau. Evidemment, si on ne parvient pas à réduire le déficit, la nature de cette dette changera, car un déficit suppose l’émission d’une nouvelle dette au taux d’intérêt plus élevé d’aujourd’hui. On est à 2,5%. Historiquement, cela reste encore assez bas. Dans les années 1970, on a connu des taux à 10 ou 12%. C’était alors un vrai fardeau.

N’y a-t-il pas un risque d’effet boule de neige?

Pas pour l’instant. L’ effet boule de neige se déclenche quand les taux d’intérêt sur la dette sont plus élevés que le taux de croissance nominal du PIB, qui tient compte de l’inflation. Or, pour l’instant, le PIB augmente plus vite que la dette. Evidemment, si l’inflation diminue et retrouve son niveau de 2% d’il y a deux ou trois ans, le risque d’effet boule de neige sera réel, avec les taux d’intérêt actuels. Ces derniers sont encore faibles, comme on l’a dit, mais ce sont des taux à long terme, faits pour durer. En outre, je ne pense pas que la Banque centrale européenne renouera avec des taux à 0%.

Paul De Grauwe, professeur émérite à la KULeuven et spécialiste de l’Union monétaire. © photo news

Il faut donc réduire le déficit. La réforme fiscale annoncée par De Croo peut-elle y aider?

Face aux engagements à prendre pour l’avenir – le vieillissement, la lutte contre le réchauffement, les soins de santé, etc. –, je ne crois pas que la réforme fiscale sera déterminante. Je n’ai pas vu les calculs ni le détail, mais les changements prévus ne semblent pas annoncer de révolution. En Belgique comme ailleurs, il est difficile de faire autrement que des petits pas dans le domaine fiscal. Chacun veut préserver ses privilèges et chaque parti son électorat.

Outre les dépenses structurelles qui ont augmenté, la Belgique a fait face à beaucoup de dépenses conjoncturelles avec le Covid et la crise du gaz pour aider les ménages et les entreprises. A-t-elle été trop généreuse?

Pas trop généreuse, mais généreuse quand même. Pour la crise de l’énergie, on a sans doute exagéré les aides car les Belges ont vu leur salaire indexé, ce qui, pour une majorité d’entre eux, a compensé la hausse des prix. Ce n’est pas le cas pour les plus bas salaires ou même pour ceux qui se situent au-dessus du seuil de pauvreté et en dessous de la moyenne salariale. Certains ont donc reçu trop de compensations et d’autre pas assez. Il n’y a pas eu suffisamment de ciblage.

Diminuer le taux de TVA sur l’énergie n’était pas une bonne idée?

Cela n’avait pas de sens pour la plupart des gens. Et cela représente un coût énorme pour le budget de l’Etat qui, par ailleurs, subit également les conséquences de l’indexation, pour les pensions, les emplois publics, les allocations sociales, etc. N’oublions pas qu’il y aura une nouvelle augmentation des salaires en janvier, qui gonflera encore les dépenses publiques. En matière d’énergie, le gouvernement aurait mieux fait d’appliquer, dès le début, ce qu’il s’apprête à faire avec les accises qui seront imposées aux gros consommateurs.

Devra-t-on se serrer la ceinture? Cela annonce-t-il une nouvelle cure d’austérité?

Cela dépendra si récession il y a ou pas. L’évolution des prix de l’énergie sera déterminante. Si la récession arrive, l’Etat aura moins de recettes et les dépenses augmenteront s’il y a du chômage en plus. L’ austérité est envisageable lorsque l’ économie fonctionne bien, pas quand on est en récession, sinon cela aggrave la récession et grève encore davantage les recettes budgétaires. Il y a là aussi le risque d’un effet de boule de neige. La Commission européenne semble avoir compris cette leçon.

Faut-il nécessairement tout rembourser? N’est-il pas concevable d’annuler une partie de la dette, comme cela a été évoqué par certains économistes durant le Covid?

Je ne crois pas que cela soit nécessaire. Il ne faut pas oublier qu’environ 20% de la dette est détenue par la Banque nationale de Belgique (BNB) qui a acheté de la dette belge. Les intérêts que le Trésor belge lui verse pour les obligations qu’elle détient sont retransférées au Trésor via les profits de la BNB… Dès lors, aussi longtemps que cela persiste, c’est comme si cette dette avait été annulée économiquement.

Pour réduire le déficit, ne faut-il pas envisager un impôt progressif sur la fortune (ISF) tel que vous l’avez déjà préconisé?

Un tel impôt peut rapporter quelques milliards, mais il ne réglerait pas notre problème budgétaire. Pour moi, la justification principale d’un ISF est démocratique. Le problème est que les grandes fortunes augmentent plus vite que le PIB. Ces personnes fortunées, qui représentent 1% de la population, ont une influence politique bien plus grande que le reste de la population. Leur lobbying fonctionne bien auprès des politiques. Il faut limiter cette influence, au risque, sinon, de revenir à l’ Ancien régime.

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