Claude Demelenne

La Belgique a encore de beaux jours devant elle (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Agonisant, l’Etat belge ? Pas si sûr. Mal foutue, rapiécée, chaotique parfois, la Belgique pourrait, une nouvelle fois, ressusciter. Malgré le Vlaams Belang.

A chaque crise gouvernementale, bon nombre d’analystes politiques jouent à se faire peur en annonçant la disparition prochaine de la Belgique. Mea culpa, j’en fais partie. Moi aussi, j’ai écrit que la fin est proche pour ce pays longtemps ingouvernable. Dans mes articles et mes livres, j’ai esquissé quelques pistes d’avenir pour la Wallonie : essentiellement la cohabitation avec la Flandre dans une Belgique confédérale ou, solution plus radicale, en cas d’implosion de l’Etat belge, une association avec la France. Comme beaucoup d’autres, j’ai souvent disserté sur l’après-Belgique. Mais la Belgique est toujours là. Il est temps d’arrêter de fantasmer. La chute finale n’aura pas lieu. En tout cas, pas de sitôt. Même si ce ne sera pas un long fleuve tranquille, la Belgique a encore de beaux jours devant elle.

En finir avec le catastrophisme

Je ne me fais aucune illusion. Ce titre provocateur – « La Belgique a encore de beaux jours devant elle » – me vaudra quelques solides sarcasmes de la part des anti belgicains dogmatiques. Je serai traité de naïf, nostalgique de la Belgique de papa, et bien sûr de girouette, puisqu’il y a moins de neuf mois, j’ai écrit dans ces colonnes que « mieux vaut un bon divorce que le chaos belge « Mieux vaut un bon divorce que le chaos belge. Je ne suis pas en train de brûler mes précédents écrits. Je ne suis pas devenu le chantre d’une Belgique toujours grande et belle. Simplement, je ne veux pas pratiquer le déni du réel et répéter en boucle les mêmes prédictions sur la fin imminente de la Belgique. Depuis plusieurs décennies, ces prédictions sont de plus en plus nombreuses. Mais elles ne se réalisent jamais. Il est temps de tourner le dos à un certain catastrophisme infantilisant. Et de regarder la réalité en face : la Belgique n’est pas ce cadavre ambulant que le moindre coup de vent suffira, un jour prochain, à précipiter dans la tombe.

La vie en rose ?

L’optimisme béât n’est évidemment toujours pas de mise. Le nationalisme flamand ne va pas s’évaporer par un coup de baguette magique. Tout restera compliqué dans ce curieux pays où coexistent de plus en plus – sur ce point, Bart De Wever a raison – deux démocraties. Les prochaines élections de 2024 seront à très haut risque, avec un Vlaams Belang en embuscade. Quelques évolutions, dans le paysage politique, permettent pourtant d’envisager un scénario plus soft pour l’avenir de la Belgique. Au moins dix faits politiques récents devraient nous inciter non pas à voir la vie en rose, mais à envisager des lendemains moins gris pour la Belgique.

1.Le CD&V a – enfin ! – lâché la N-VA de Bart De Wever. C’est, de loin, le fait politique majeur de la décennie En se déscotchant de la N-VA, Joachim Coens et les principaux dirigeants du CD&V, pratiquement unanimes, ont non seulement permis la formation du gouvernement Vivaldi. Ils ont surtout montré que la N-VA restait le seul parti démocratique partisan d’un dépeçage potentiellement mortel de l’Etat fédéral. La preuve est faite que, lorsqu’il est au pied du mur, le CD&V conserve des réflexes « belges ».

2.Le retour des familles politiques. C’est l’autre fait politique majeur. Pendant l’interminable période de négociations pour former un gouvernement, dans le camp libéral, le MR et l’Open VLD ont quasiment travaillé ensemble comme s’ ils constituaient un parti fédéral. Dans le camp socialiste, le PS et le SP.A ont fait de même. A partir du printemps prochain, les socialistes du Nord et du Sud partageront les mêmes bureaux, au centre de Bruxelles. «  Et ce ne sont pas que des bureaux que nous allons partager », a déclaré Paul Magnette. «  Il y a une très bonne dynamique qui s’est créée entre nos deux partis, qu’on doit renforcer « , a surenchérit Conner Rousseau. De longue date, les Verts du Nord et du Sud fonctionnent au parlement fédéral comme s’ils formaient un seul parti. Le retour des familles politiques devrait renforcer le camp des ‘pro Belgique’.

3.Le soutien de Magnette à Vandenbroucke. A gauche, le tandem Paul Magnette-Conner Rousseau a été un pas plus loin dans la collaboration Nord-Sud. Premier parti de la coalition Vivaldi, le PS aurait pu revendiquer le gros portefeuille fédéral des Affaires sociales et de la Santé. Il a choisi de soutenir celui qui est apparu comme ‘l’homme de la situation’, le Flamand Frank Vandenbroucke. « Nous avons raisonné en termes de famille politique « , a commenté Paul Magnette. Une « première », inimaginable il y a à peine quelques semaines.

4.La N-VA a atteint un pic. La formation de Bart De Wever a perdu de sa superbe. On est loin de la dream team de 2014, que rien ne semblait pouvoir arrêter. « Je crois que les nationalistes n’atteindront plus jamais leur niveau record d’autrefois », a déclaré dans la ‘Libre Belgique’ l’un des intellectuels les plus écoutés de Flandre, le philosophe Maarten Boudry (Université de Gand).

5.Bart De Wever fait de moins en moins rêver. Il a été réélu à la tête de son parti avec un score stalinien, mais Bart De Wever ne trône plus en tête des hit parade de popularité, en Flandre. Il paraît déjà usé par le pouvoir. Le nationalisme flamand démocratique n’a plus d’homme providentiel. Une bonne nouvelle pour les partisans de la continuité belge.

6.Le Vlaams Belang number one mais impuissant. Il est possible qu’à l’échéance 2024, le Vlaams Belang soit le premier parti de Flandre. Mais il sera sans doute isolé et impuissant. On voit mal en effet une N-VA en déclin former une coalition – disposant d’une très courte majorité en Flandre – avec un Belang dominateur et arrogant. Une partie au moins de la N-VA s’y opposera.

7.Le trio De Croo-Vandenbroucke-Rousseau cartonne. Ces trois là, résolument anti-nationalistes, sont les personnalités actuellement les plus populaires en Flandre. Ils devancent Bart De Wever, Jan Jambon et Théo Francken. La Flandre est loin d’être condamnée au nationalisme obtus.

8.L’électeur flamand est un pragmatique. Le gouvernement pourrait réussir et freiner le Belang. C’est l’hypothèse du philosophe Maarten Boudry qui, toujours dans la ‘Libre’, explique que « le Vlaams Belang va essayer de profiter du recul de la N-VA. Mais l’électeur flamand est un pragmatique. Récompenser l’équipe fédérale actuelle, si elle réussit à atteindre ses objectifs d’ici à 2024 n’est pas impossible ».

9.La scission de la Belgique n’est pas populaire en Flandre. Un Flamand sur quatre, au maximum, veut en finir avec l’Etat belge. C’est peu, et le fait que le nouveau gouvernement fédéral soit minoritaire en Flandre n’a pas suscité un raz de marée indépendantiste au Nord du pays.

10.Il n’existe toujours pas de nationalisme flamand de gauche ou du centre. Pour avoir une chance d’arriver à ses fins – en devenant franchement majoritaire – l’indépendantisme flamand devrait réussir à jeter des passerelles entre la droite et la gauche. C’est loin d’être le cas. Le SP.A, Groen et le PVDA (le PTB flamand) sont farouchement anti nationalistes. Les thèses nationalistes touchent également fort peu le CD&V et l’Open VLD.

Une autre Belgique

La Belgique a encore de beaux jours devant elle. Mais ce sera une autre Belgique. Probablement confédérale. Ce ne sera pas la fin du monde. A court et moyen terme, le nationalisme du Nord ne réussira pas à imposer sa « ligne » car ses porte-drapeaux représentent des repoussoirs pour une majorité de Flamands, plutôt pragmatiques. Voilà pourquoi il est temps d’en finir, parmi les francophones, avec les discours catastrophistes sur l’avenir nécessairement dantesque de la Belgique.

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