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Koen Geens: « Les Belges se rendent trop vite devant le tribunal »

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

Pratiquement tout le monde s’accorde à dire que Koen Geens a le sens de l’initiative. Dans les milieux judiciaires, on lui reproche même de faire passer les réformes trop rapidement. « Ma mère me disait qu’il faut travailler et vivre comme si on pouvait mourir demain » confie-t-il à notre confrère de Knack.

Récemment, le ministre de la Justice a traversé une période difficile. Les magistrats et les avocats lui reprochaient de ne pas avoir respecté la séparation des pouvoirs dans une affaire de moeurs où le coupable a bénéficié d’un sursis, bien qu’il ait avoué un viol. Or, la violation de l’indépendance de la magistrature est l’une des erreurs déontologiques les plus graves que peut commettre un ministre de la Justice.

Vous êtes souvent confronté au populisme. Beaucoup de gens ne comprennent pas par exemple qu’on relâche un suspect à cause de quelques légères erreurs de procédure.

Koen Geens: Je comprends cette indignation, mais nous essayons d’éviter un maximum les conséquences négatives d’erreurs de procédure. Si un juge d’instruction met le téléphone d’un suspect sur écoute sans motivation valable, par exemple, on n’annule toute l’enquête. Cependant, l’opinion publique doit comprendre aussi que la vie privée et les droits de la défense sont importants. On ne peut permettre que tout le monde soit mis sur écoute. Même les trafiquants de drogue méritent une protection judiciaire.

Certains magistrats trouvent que vous faites trop d’économies et que vous n’investissez pas suffisamment. Pourtant, les comparaisons internationales nous apprennent que la Justice belge dispose de plus de moyens et certainement de plus de personnel que la moyenne européenne. La Belgique consacre un peu moins de 90 euros par habitant à son système judiciaire. C’est nettement plus que la moyenne européenne. En plus, ces dernières années, le budget de la Justice est passé de 1,274 milliard d’euros en 2004 à presque 2 milliards d’euros dix ans plus tard, une hausse de 51%.

Nous investissons relativement peu dans notre régime pénitentiaire et relativement beaucoup dans la magistrature et l’ordre judiciaire. Mais on prouve ce qu’on veut avec des chiffres. Avec mon budget, je dois faire fonctionner 350 tribunaux, aux Pays-Bas il n’y en a que 35. On peut faire preuve de plus d’efficacité et de rationalité. Les coûts du personnel représentent 75% de notre budget. C’est plus que dans les pays voisins. Pour cette raison, je ne pense pas qu’il y ait trop peu de personnel, mais il est possible que les membres du personnel n’aient pas toujours le bon profil.

Le travail est mal réparti: les juges de police ont le temps de jouer au golf en semaine, alors que dans certains services, les magistrats de parquet se tuent au travail, et ne prennent pas de vacances.

C’est vous qui le dites. Je travaille à une proposition qui vise à donner plus d’autonomie de gestion aux tribunaux. Il faut plus de solidarité et de mobilité entre les magistrats au sein de grandes juridictions, afin qu’ils puissent mieux répartir le travail. L’année dernière, j’ai eu 240 millions d’euros en plus pour le budget de 2015 : 175 millions pour les factures impayées, 37 millions pour le personnel et 32 millions pour les investissements. C’est énorme.

Peut-être qu’il faudrait que moins d’affaires passent devant les tribunaux pour diminuer la charge de travail ?

Le Belge doit certainement ne pas se rendre aussi rapidement devant un tribunal. Nous avons trop de prisonniers, mais aussi trop de litiges.

N’y a-t-il pas trop de règles et de lois?

Nous faisons trop peu confiance au juge, de sorte que nous essayons d’avoir prise sur la réalité à coup de règles. J’ai foi en une bonne législation de base et une jurisprudence qui prend forme progressivement.

Vous avez déjà mis beaucoup de modifications de lois et de réformes sur les rails. Il est très important de réécrire les codes pénaux.

Nous nous en occupons, mais nous devons d’abord résoudre quelques points difficiles. J’espère soumettre ce projet le plus vite possible au gouvernement et au parlement. Ainsi, nous devons fixer l’échelle des peines. Comment comparer la gravité de délits entre eux ? Elles sont en grande partie basées sur des textes du 19e siècle.

C’est très intéressant de réévaluer l’échelle des peines

Beaucoup de tarifs de peine sont dépassés. En principe, les faux en écriture par exemple sont sanctionnés de peines de cinq à dix ans, même s’il s’agit d’une forme légère, alors que beaucoup de délits de violence sont moins lourdement punis. Autre exemple : même après plusieurs délits de fuite, il est difficile d’infliger une peine de plus de deux ans au chauffeur. Cela ne correspond pas à la position de la société sur ce sujet.

Vous avez besoin de toute la législation pour appliquer tous vos projets de réforme à la Justice. Réussirez-vous, étant donné que votre parti et la N-VA se volent régulièrement dans les plumes ?

Ces chamailleries ne menacent pas la stabilité du gouvernement, mais comme je le disais lors de mon cours ce matin: un ministre de la Justice doit vivre comme s’il pouvait mourir demain.

Vous vous dites flamingant. Seriez-vous à votre place dans un parti comme la N-VA?

Je suis flamingant, mais je ne souhaite pas l’indépendance de la Flandre et donc je n’ai pas ma place à la N-VA. Et je ne crois pas non plus que le nationalisme soit la solution. La ville magnifique qu’est Bruxelles ne me pose pas de problème. Le français non plus ne me pose pas de problème, car c’est une belle langue. Les Wallons ne me posent pas de problème, car ils sont sympathiques. Cependant, je ne supporte pas qu’on trouve que la langue et la culture néerlandaises soient inférieures. Je suis trop fier pour ça.

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