Le leitmotiv de Marie Dupont dans sa future fonction? Etre un trait d’union entre les avocats les plus jeunes et les plus âgés. © roberty sebastien

Marie Dupont, première femme bâtonnier à Bruxelles: «Il y a plus de diversité au barreau qu’on ne le pense»

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

A Bruxelles, on compte aujourd’hui presque autant d’avocates que d’avocats. Il aura pourtant fallu attendre 2022 pour qu’une femme puisse accéder à la tête du plus important barreau de Belgique. Signe que la Justice évolue… lentement.

C’est un petit séisme qui ne devrait pourtant pas en être un. Le 1er septembre prochain, Marie Dupont, 44 ans, accédera à la fonction de vice-bâtonnière de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, avant de succéder deux ans plus tard à l’actuel bâtonnier, Maurice Krings. C’est la première fois qu’une femme accède à cette fonction alors que la gent féminine représente près de la moitié des avocats bruxellois. La première mission de cette avocate au parcours atypique, spécialisée en droit des affaires, consistera à aider les stagiaires à faire leurs premiers pas dans une profession en pleine mutation. A faire en sorte, aussi, que l’avocat soit davantage à l’image des citoyens qu’il défend. Rencontre avec une femme de droit en phase avec son époque.

Je voudrais mettre en place une ligne accessible 24 heures sur 24, sept jours sur sept pour avocats en détresse – que celle-ci soit personnelle ou causée par un confrère ou une structure.

Quelles sont vos priorités pour les prochaines années?

Mon objectif premier est de poursuivre le travail de modernisation de la profession en mettant en place des mesures internes pour faciliter la vie des avocats et alléger ces obligations administratives en tout genre qui polluent leur journée. Il faut qu’ils puissent se concentrer sur l’aide qu’ils apportent à leurs clients. L’ autre impératif est de moderniser l’approche de la carrière d’avocat. Aujourd’hui, il n’y a quasiment qu’une seule façon d’exercer le métier, être indépendant. Du côté francophone – pas du côté néerlandophone –, on peut être avocat salarié, mais c’est un statut qui reste très peu utilisé. Or, on n’a pas forcément envie de jouer à l’entrepreneur lorsqu’on est avocat.

L’insécurité financière dans laquelle le Covid a plongé les professions libérales a-t-elle été un signal?

En tant qu’avocats, nous avons été moins pénalisés que d’autres puisque nous avons été reconnus comme profession essentielle. Mais on a quand même connu un ralentissement de nos activités, qui a relancé le débat sur les statuts. Aujourd’hui, quand on arrive au barreau, on prête serment en tant qu’avocat indépendant, avec les charges que ça représente, alors qu’on a une telle obligation de formations les deux premières années qu’on est finalement très mal payé et qu’on n’a pas l’opportunité de développer sa clientèle. Il y a donc une vraie réflexion à mener sur un panel de statuts plus large, notamment pour éviter une fuite des talents. Beaucoup d’avocats et d’avocates quittent le barreau. Une partie le fait pour des questions de statuts qui ne sont pas adaptés ou de manque de perspectives et de cadre contractuel clairs.

Ça permettrait aussi d’éviter les situations de trop grande dépendance, lorsque l’avocat ne travaille que pour un seul cabinet…

Tous les avocats ne se trouvent pas dans la même situation: être un indépendant entrepreneur qui développe largement sa clientèle ne signifie pas la même chose que travailler pour un seul cabinet. Il est donc impératif que les questions de statuts soient d’office abordées en amont de la collaboration pour sécuriser les deux parties, éviter qu’on puisse être mis dehors du jour au lendemain et devancer certaines questions comme «que fait-on en cas de maladie?, de maternité ou de paternité?». Tous ces changements sont déjà en cours mais un accompagnement est nécessaire pour que le barreau puisse entrer dans le troisième millénaire. Pour cela, il faut développer une approche plus moderne et aller voir ce qui se fait ailleurs, dans d’autres professions, pour s’en inspirer. Cette réflexion a déjà été amorcée par les jeunes qui, à la suite de la crise du Covid, se sont rendu compte qu’ils ne voulaient pas travailler 60 heures par semaine et qu’ils voulaient aussi profiter de la vie. Ça fait partie de mes leitmotivs: être un trait d’union entre les plus jeunes et les plus âgés exerçant le métier.

L'avocat ne peut pas être la variable d'ajustement du manque de moyens de la Justice, estime la future bâtonnière.
L’avocat ne peut pas être la variable d’ajustement du manque de moyens de la Justice, estime la future bâtonnière. © belga image

Réseaux sociaux, agressivité des clients, image de la profession, sous-financement de la Justice… Comment le métier d’avocat évolue-t-il?

L’ avocat d’aujourd’hui n’a plus le même profil que l’avocat du XIXe siècle. C’est une personne de confiance qui donne des conseils juridiques, qui prévient les conflits, qui trouve des solutions, y compris par le biais de tous les autres modes de résolution de conflits que sont la médiation, le droit collaboratif, la conciliation… On peut être un avocat en droit pénal comme un avocat lobbyiste, on peut ne jamais porter la toge ou passer son temps au palais. Ce cœur de la profession, il est important de pouvoir le définir pour mieux en assurer les valeurs, parmi lesquelles le secret professionnel, essentiel à l’Etat de droit mais pas toujours bien compris. Sauvegarder ce secret professionnel fait aussi partie des enjeux futurs, car il est fort tentant de se dire, quand on voit le budget consacré à la Justice: plutôt que de mettre les moyens pour poursuivre les infractions, on va demander aux avocats qui sont en première ligne des confidences de citoyens et de dénoncer leurs clients. C’est déjà le cas pour le blanchiment d’argent. Nous nous sommes battus contre l’assujettissement à cette loi et à certaines obligations imposées. Nous avons en partie obtenu gain de cause. Il faut vraiment qu’on fasse comprendre au politique que l’avocat ne peut pas être la variable d’ajustement du manque de moyens de la Justice. Dans le contrat social, au départ, on dit au citoyen: «Ne faites pas justice vous-même, elle sera rendue par l’Etat.» Mais si celui-ci ne s’en donne pas les moyens? Que ce soit à l’échelon des policiers, des juges ou des prisons, les cadres ne sont pas remplis. Ce sous-financement a pour conséquence que la Justice est rendue beaucoup trop lentement. Les juges font de leur mieux, mais quand on est à bout, on ne rend pas toujours les meilleures décisions. L’ agressivité qu’on ressent de plus en plus de la part des clients découle du fait que la justice n’est plus correctement rendue.

Les juges font de leur mieux, mais quand on est à bout, on ne rend pas toujours les meilleures décisions. L’ agressivité qu’on ressent de plus en plus de la part des clients découle du fait que la Justice n’est plus correctement rendue.

Pour la Défense, notamment, on en trouve des moyens…

Il y a des arbitrages qui sont faits au gouvernement. Poser des choix ne doit certainement pas être simple mais quand on voit la situation dans laquelle se trouvent l’enseignement, les soins de santé ou la mobilité, on constate que la Justice n’est pas le seul secteur sous-financé. Le problème, c’est que ce manque de moyens met la paix sociale en péril.

Le métier d’avocat est en voie de féminisation mais les diversités restent encore peu représentées…

J’ai bien conscience que l’image renvoyée par le métier est encore très poussiéreuse. Quand on imagine un avocat, on pense à quelqu’un de plutôt âgé, blanc, bourgeois, homme, hétérosexuel… Alors qu’il y a plus de diversité au barreau qu’on ne le pense. Cette diversité est grandissante et elle s’exprime aussi dans la confiance que m’ont accordée mes confrères et consœurs en m’élisant bâtonnière, alors que je ne suis ni homme ni sexagénaire.

Vous affichez un parcours atypique puisqu’avant d’être avocate, vous étiez esthéticienne. Comment cela a-t-il été perçu à votre arrivée dans le milieu?

Je n’ai jamais été confrontée à des commentaires ou à des remarques sur ce point. Du moins, si on ne m’a pas prise au sérieux, je ne l’ai pas remarqué ou peut-être n’y ai-je pas prêté attention. Mais je pense que ce n’est pas pareil pour tout le monde. Quand j’ai repris des études, je me suis juste dit que c’était possible. Je ne suis ni fière ni honteuse d’avoir été esthéticienne. C’est mon parcours. Mais je ne me suis jamais dit que parce que j’étais une femme, parce que j’étais esthéticienne, on allait me regarder comme si j’avais moins de valeur. Bien sûr, il y aura toujours des machistes mais je crois que les choses changent, y compris au barreau. Peut-être qu’à l’avenir la minorité à protéger, ce seront justement les hommes blancs hétéros sexagénaires (rires).

L’Ordre recueille tout de même une dizaine de plaintes par an de la part de victimes de harcèlement moral ou sexuel. Comment comptez-vous agir pour mieux protéger les stagiaires contre ces dérives?

Ce qu’on appelle le harcèlement, je préfère l’englober dans quelque chose de plus large, à savoir les risques psychosociaux. Ces dérives ont toujours existé. Seulement, aujourd’hui, la parole se délie et on met des mots sur certains comportements. On ose davantage en parler mais pas toujours porter plainte. Réfléchir collectivement à ce qu’on peut faire pour prévenir ces risques est capital. Je voudrais d’ailleurs mettre en place une ligne accessible 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour avocats en détresse – que cette dernière soit personnelle ou causée par un confrère ou une structure. Attention, on se doit également d’être irréprochables en matière de présomption d’innocence. Une affirmation n’est pas une preuve, et en même temps, pour certains faits, on ne peut pas apporter la preuve. Sur ce point-là aussi, il faut mener une réflexion collective car les comportements inacceptables sont une réalité, et ils doivent être sanctionnés.

Y avez-vous été vous-même confrontée?

Non, pas personnellement. Mais j’ai entendu des choses qui sont arrivées à d’autres. Quoi qu’il en soit, j’aimerais faire en sorte que ce ne soit plus un tabou.

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