Les justices de paix contrôleraient insuffisamment les administrateurs. © GETTY IMAGES

Justice: recadrage en vue pour l’administration de biens

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Vincent Van Quickenborne, le ministre de la Justice, compte remettre de l’ordre dans l’encadrement légal des administrateurs de biens et de personnes. Histoire d’éviter d’éventuels abus de faiblesse et détournements de fonds. Le point ne figure toutefois pas dans ses priorités.

« Ils ont vendu la maison de ma mère lorsque j’étais en déplacement professionnel. Je n’ai même pas pu signer l’acte. » « Mon père ne recevait que 150 euros d’argent de poche par mois alors qu’il ne manquait pas de moyens. » « Il n’est jamais possible d’avoir un contact téléphonique ni même un accusé de réception à nos courriers. » A entendre les témoignages récoltés, les administrateurs de biens et de personnes n’ont pas toutes les qualités que l’on serait en droit d’attendre d’eux: chargés par un juge de paix de prendre en main la gestion des biens ou de la vie de contribuables qui ne peuvent plus le faire eux-mêmes, ils devraient être irréprochables de professionnalisme. C’est le cas de la majorité d’entre eux, rétribués, comme le prévoit la loi, à hauteur de 3% maximum des revenus de leurs clients. La presse n’en relaie pas moins de temps à autre l’histoire d’un avocat – ou d’une avocate – qui a confondu le compte en banque de ses clients avec le sien ou a facturé plusieurs fois la même prestation. Jusqu’à la condamnation en justice.

Les plaintes des familles ne sont pas toujours entendues et le milieu n’est pas prompt à dénoncer l’un des siens.

Rares abus de faiblesse? Difficile à dire: les plaintes des familles ne sont pas toujours entendues et le milieu n’est pas prompt à dénoncer l’un des siens. Les administrateurs de biens et de personnes doivent pourtant rendre des comptes à un juge de paix, une fois par an au moins. Ils ne peuvent vendre de biens immobiliers appartenant à leurs clients sans leur accord. Selon les témoignages recueillis, ce n’est pas toujours le cas. Les juges de paix ne seraient pas tous des anges. Ou ils manquent de temps et d’outils informatiques performants pour suivre chaque dossier de près. Ceux qui dénoncent le manque de sérieux de certains administrateurs les soupçonnent souvent de collusion avec « leur » juge de paix, dans le cadre de petits arrangements entre amis qui échappent à tout contrôle, surtout de la famille concernée.

Un recadrage de la profession, visant notamment à imposer des formations agréées aux administrateurs, à limiter le nombre de dossiers qu’ils suivent et à définir les critères pour les choisir serait donc bienvenu. La commission d’avis et d’enquête réunie du Conseil supérieur de la Justice (CSJ) s’en réjouit: l’audit qu’elle avait mené entre juin 2017 et juin 2019 avait conclu que les juges de paix contrôlaient insuffisamment les administrateurs, avec tous les risques que cela comporte. « Il n’y a pas d’approche préventive et réactive organisée devant le risque de fraude et de conflits d’intérêts « , s’inquiétait alors le CSJ. Or, à la fin de 2018, 113 000 citoyens étaient suivis par un administrateur de biens ou de personnes en Belgique. Cela fait du monde. Parmi les points à améliorer, le CSJ avait notamment épinglé:

1. La priorité largement accordée aux administrateurs professionnels

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La loi prévoit pourtant que la préférence soit accordée à des administrateurs familiaux proches, s’il en est qui se proposent et disposent des compétences nécessaires. Les juges de paix jugeraient plus facile de travailler avec des avocats, au fait des procédures et a priori dignes de confiance. Ils éviteraient aussi, ainsi, de s’embourber dans des histoires de familles complexes. Enfin, ils choisiraient « à l’intuition », et non selon des critères précis, les avocats à qui ils confient des dossiers de gestion. « Le risque est réel que l’option retenue par la justice de paix privilégie dans la réalité l’impact moindre pour son propre fonctionnement, au détriment de l’intérêt de la personne à protéger et de la volonté du législateur », flingue le CSJ. L’attribution de dossiers est financièrement intéressante pour les administrateurs. Dès lors, comment s’assurer qu’un juge de paix n’en favorise pas un ou quelques-uns en particulier?

2. Le nombre de dossiers gérés par un même administrateur.

Selon le CSJ, il ne devrait pas dépasser la centaine, si l’on veut que le travail de suivi soit personnalisé et de qualité. « Il serait totalement contre-productif, voire risqué, qu’un même administrateur soit en charge de la quasi totalité des dossiers d’administration d’une justice de paix, insiste Vanessa de Francquen, présidente du CSJ. La loi ne prévoit pourtant pas d’imposer de seuil maximal. La possibilité en est prévue mais l’arrêté royal qui devrait la mettre en oeuvre n’a pas encore été pris. Actuellement, personne ne peut dire de combien de dossiers, en moyenne, un administrateur s’occupe. Pour le savoir, il faudrait disposer d’un outil de recensement ad hoc. Or, le programme informatique dont disposent les justices de paix est obsolète et non centralisé », regrette la présidente du CSJ. Un tel décompte est d’autant plus difficile à tenir qu’un administrateur peut être désigné dans un autre canton sans que son juge de paix n’en soit informé. En outre, lorsqu’une personne protégée déménage, son administrateur la suit avec le dossier, ce qui rend plus complexe encore ce jeu de pistes.

3. La fixation des rémunérations des quelque 61 000 administrateurs du pays.

Un arrêté royal est attendu à ce sujet. Il revient aux juges de paix d’être attentifs à la gestion des comptes bancaires des personnes protégées et aux plaintes éventuelles de leur famille. Là encore, c’est une question de temps et de moyens. « Une disproportion entre les honoraires et les frais ou des prestations exceptionnelles particulièrement importantes doivent attirer l’attention des juges », rappelle Vanessa de Francquen. Selon l’audit du CSJ, 88 % des justices de paix sondées reconnaissaient avoir déjà reçu des plaintes. Mais aucun suivi structurel n’est assuré.

4. Le non-cumul de fonctions.

Le CSJ considère que des administrateurs ne devraient pas être également juges suppléants, comme c’est pourtant souvent le cas, en particulier dans de petits cantons. La pratique peut en effet déboucher sur une inquiétante proximité entre le juge de paix et l’avocat qui est aussi son confrère, qu’il devra ensuite contrôler.

L’actuel cabinet de la Justice compte bien donner suite au travail qu’avait accompli le précédent ministre, Koen Geens. Un avant-projet avait été déposé sous la législature passée, qu’il faudrait peaufiner. « Nous allons le faire mais ce n’est pas dans les priorités immédiates du ministre », dit-on à son cabinet. La création d’un registre central de la protection des personnes et des administrateurs agréés, prévue par une loi de décembre 2018, a été postposée au 1er juin 2021. A moins que le coronavirus ne s’en mêle.

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