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Je me suis fait (volontairement) pigeonner devant ma webcam

Les arnaques fleurissent et évoluent sur internet. On connaissait l’héritage bidon d’un vieil oncle en Côte d’Ivoire ou les fausses promesses de gain d’une hypothétique loterie. Le nouveau piège à la mode est encore plus mesquin. Et meurtrier : le chantage à la web cam.

A Marseille, le 7 janvier 2011, Cédric, 17 ans, s’est pendu dans sa chambre quatre mois après s’être fait piéger sur un site de chat. A Brest, le 10 octobre dernier, Gauthier, 18 ans, qui s’était dénudé devant sa webcam après une discussion sur Facebook, s’est pendu dans l’abri de jardin familial quelques minutes après. Au Canada, Amanda, 15 ans, s’est suicidée après la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo où elle apparaissait nue. Nous avons donc testé le chantage à la webcam, pour mieux mettre en garde.

Lundi matin, huit heures. A peine sorti de la chaleur des draps du lit, je décide de m’atteler à ma mission : chercher, appâter, charmer et enfin m’exhiber devant un brouteur (arnaqueur) tranquillement installé à plusieurs kilomètres du plat pays. Nul besoin de se presser, ma tenue de combat, un vieux short de foot et tee-shirt démodé, est rapidement enfilée. La première chose à faire pour remplir à bien mon objectif est de me créer plusieurs faux profils. Tout d’abord, sur Facebook, puis MSN et enfin sur un site de rencontre lambda. Un nom français, une photo bling-bling avec une berline en guise d’avatar et un message de présentation de gendre idéal feront l’affaire. Ma chasse peut enfin commencer. Après avoir envoyé plusieurs messages à des diverses proies potentielles toutes installées en Côte d’Ivoire, une blonde pulpeuse de 27 ans, tout droit débarquée d’un film X, la bouche en coeur, me répond enfin. « Je suis de Rouen. Viens vite sur MSN pour dialoguer. » Rapidement quelques détails me chagrinent. Sur son profil, Estelle est Capverdienne, vendeuse d’objet d’art mais se connecte de Côte d’Ivoire… Son message de présentation est pourtant claire. Estelle recherche l’amour et le mariage. La discussion se poursuit donc en messagerie instantanée.

Très vite, après cinq minutes, la belle me tutoie et me couvre de mots doux. Les « bébé », « chéri » ou autre « mon amour » reviennent toutes les cinq lignes. Evidemment, je joue le jeu arguant que je la trouve très belle et que je suis prêt à la rencontrer. En effet, Estelle veut tout savoir de moi et me propose même son aide pour me trouver un travail à Reims lorsque nous serons installés. « Combien gagnes-tu ? », demande-t-elle alors innocemment. Tout d’un coup Estelle prétexte un coup de fil d’une amie avant de revenir à la charge. « J’ai vraiment de la chance de t’avoir. Ma copine est jalouse », m’explique-t-elle après deux heures de conversation. « Tu mets ta cam ? »

Nous y voilà. Le moment tant attendu (et redouté) arrive donc. Evidemment, je suis le seul à montrer mon minois. La webcam de ma promise est malheureusement cassée, c’est ballot. Après m’avoir complimenté, Estelle me demande de lui montrer mes mains, je m’exécute. « Elles sont magnifiques ». Mes dents, j’esquisse un large sourire. « Elles sont superbes ». Elle décide ensuite de pimenter un peu la discussion en me posant des questions de plus en plus axées sur le sexe. Soudain, ma nouvelle copine me somme de me dénuder. Malheureusement, ses « hum », « ah » et autres onomatopées en tous genres n’y font rien, j’ai énormément de mal à me détendre sachant que tout un cybercafé d’Abidjan est peut-être en train de me scruter. La paranoïa m’envahit. Et s’il arrivait, malgré ma fausse identité, à me retrouver ? Après un moment de doute, je me présente pourtant (pour le bien de l’enquête) nu comme un ver l’espace de cinq secondes avant de couper la caméra à la va-vite. Pour me remercier, Estelle m’envoie par e-mail une photo d’elle avec un maillot de bain transparent agenouillée sur le rivage d’une plage. Charmant. « Tu sais que je n’aime pas quand mon homme me refuse des choses ? »

Tiens, sa soi-disant amie est justement malade. Pour payer ses soins, Estelle a donc besoin d’une petite aide financière malgré le fait qu’elle m’assure gagner plus de 4000 euros par mois. « Envoie-moi 1500 euros via Western Union bébé. Je te rembourserai », m’assure-t-elle. Devant mon refus, mes suspicions et mon envie de la voir avant un éventuel versement, Estelle s’énerve, se disant « déçue » mais me donne néanmoins rendez-vous le soir-même à 20 heures.

« Je vais balancer ta vidéo et te créer de sérieux problèmes »

Lorsque je la retrouve à la nuit tombée, Estelle change radicalement la donne. Le ton enjoué de l’après-midi est remplacé d’emblée par des propos agressifs. Irrité par la discussion précédente, le brouteur menace de publier ma vidéo sur YouTube et de l’envoyer à tous mes contacts via Facebook et MSN. « Tu m’a traité de menteuse, je vais te créer de sérieux problèmes. J’ai une amie qui travaille au journal télévisé de TF1, je vais contacter Interpol aussi. Ta vie est finie, tu n’auras plus jamais de boulot. Envoie 1500 euros à ma copine et j’efface ta vidéo. » Estelle me donne alors le nom de son amie, qui est exactement le même que son pseudonyme, le pays de transfert (la Côte-d’Ivoire) et une date butoir : le lendemain à 10 heures. « Sans erreur mon très cher ou tu iras directement où tu sais. Tu es très bien connu en plus sur ton campus… »

Quelques jours plus tard et malgré plusieurs mails menaçants, Estelle a finalement laissé en paix mon avatar sans doute lassée par mes refus de lui verser la dite somme. A moins que le brouteur n’ait trouvé un autre pigeon à faire chanter. Chaque jour, en effet, une centaine de personnes contactent l’association des victimes d’arnaques à la nigériane (AVEN) pour supprimer une vidéo compromettante sur YouTube.* Quant à la mienne, j’ai eu beau chercher, elle reste introuvable, sans doute perdue dans les bas fonds de la toile. Enfin j’espère…

Par JACQUES BESNARD

*En cas d’arnaque, il faut réagir très vite en moins de 24 heures pour signaler la vidéo. Pour plus d’informations vous pouvez contacter AVEN Belgique.

« Une victime a perdu 65 000 euros »

Interview d’Olivier Bogaert, commissaire à la Computer Crime Unit de la police fédérale.

Qui sont ces arnaqueurs ?

A la base, les premières arnaques viennent du Nigéria. Par la suite, les autorités ont réagi et ces arnaqueurs ont émigré dans les pays voisins (Côte D’ivoire, Bénin…). De nouveaux arnaqueurs, cette fois-ci francophones, ont ensuite pris leur technique, d’où le nom de brouteurs. L’arnaqué est lui appelé Mugu l’équivalent du pigeon.

Comment détecter ces faux profils ?

Ils utilisent souvent des photos de personnalité ou de mannequin. Une personne s’est rendu compte de la supercherie en tombant sur la photo utilisée par son correspondant. C’était celle de Marc Lévy. Dans la tournure des phrases aussi, il est possible de voir que quelque chose ne tourne pas rond. Ils se présentent souvent comme Français mais font des fautes et ont un style bien particulier. Enfin, ils demandent très vite de continuer la discussion vers un service de messagerie ou sur Facebook pour avoir la liste des contacts. Les personnes qui se font avoir ont en général très peu d’expérience sur internet.

Est-il possible de récupérer son argent ?

Les victimes ne portent pas forcément plainte. Il y a bien sûr une honte de s’être fait avoir… De même, une fois l’argent versé via Western Union, on peut interrompre le processus mais pas une fois l’argent parti. Ce n’est pas une banque mais un service de transfert d’argent. Je connais certaines personnes qui ont perdu 65 000 euros. Les autorités ivoiriennes essayent de bouger car cela porte préjudice à leur image.

« Je me suis laissé entraîner »

Jean-Pierre*, 55 ans et père de trois enfants s’est fait arnaquer par un brouteur sur un site de rencontres. Ce dernier l’a menacé d’envoyer la vidéo à toute sa famille.
« J’étais sur site de rencontres classique. J’avais été contacté une bonne dizaine de fois par des femmes. J’ai fait la rencontre d’une fille qui m’a très vite demandé de basculer sur MSN. Rapidement, on a continué la discussion via la webcam. La fille est apparue à l’écran et elle s’est déshabillée. J’ai voulu voir ce qu’il y avait derrière, c’était un défi. Je savais qu’il y avait un piège mais je me suis laissé entraîner. Avec du recul, c’était ridicule, mais je n’y peux rien j’adore les femmes. D’un coup, ma vidéo est apparue à l’écran. L’arnaqueur m’a menacé de la donner à tous mes contacts sur Facebook si je ne lui transférais pas de l’argent. Il m’a envoyé un mail avec la liste de mes contacts et notamment la photos de mes enfants, me demandant si cela me plairait qu’ils la voient. Cela vous retourne. Ce sont des crapules. J’ai reçu aussi trois faux mails de la part de YouTube. Ils jouent sur cette terreur, menacent de détruire votre vie et deviennent très autoritaires. C’est une sensation horrible, je n’en ai pas dormi pendant dix jours. Il ne faut pas répondre. J’ai hésité à payer mais ils auraient de toute façon continué. Il faut absolument gagner du temps. J’en ai parlé à mon épouse qui m’a évidemment fait de grands yeux quand elle l’a appris mais elle m’a soutenu. J’ai eu de la chance. J’ai aussi pris le contrôle des comptes Facebook de mes trois enfants afin de vérifier les éventuelles dérives. On ne s’attend pas à cela, c’est donc une bonne leçon pour moi car je n’étais pas averti de ces risques. Le plus important, c’est d’en parler car on reste une victime. »
*Nom d’emprunt

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