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Insécurité à Molenbeek, fantasme ou réalité ?

Pour Philippe Moureaux, sa commune n’est pas le Bronx. Si les chiffres de la criminalité lui donnent raison, les habitants, eux, sont toujours inquiets.

Des bâtiments à bout de souffle, des coins de rues transformés en décharge, une voiture privée de roues qui rouille sur une place de stationnement : ici, la rénovation urbaine peine. « C’est un quartier de voyous. On vous brutalise pour 5 euros », lâche Karim. Pas content ce commerçant. Il raconte comment il a récemment chassé un adolescent couteau à la main qui « avait piqué des clopes ». La scène a eu lieu à deux pas de la station de métro Ribaucourt. « La rue Piers, à cette heure, ce n’est pas très rassurant », confirme cette jeune femme qui, après 18 heures, se fait raccompagner jusque chez elle ou s’offre un taxi. Depuis trois ans, elle loue avec des amis un appartement dans le quartier. Grand, pas trop cher. « Mais je reste sur mes gardes », précise-t-elle. Surtout lorsqu’elle porte une jupe. « Insultes, crachats, contacts physiques : j’ai connu ça. » D’autres riverains décident de partir. « Ma maison a été visitée deux fois en l’espace d’un an », explique un témoin. « Maintenant, pour aller chez l’épicier du coin, c’est double tour et alarme. » Il cherche un bien ailleurs. Les propos récents du bourgmestre, qui a affirmé lors d’une conférence de presse qu’ « il n’y a pas de problème de vivre ensemble », que « la commune ne compte plus que trois ou quatre mini-quartiers où les affaires sont plus délicates », ne l’ont pas convaincu.

Pour autant, Philippe Moureaux n’en démord pas. Devant les journalistes, il s’est dit ulcéré qu’on remette en question son bilan sur la sécurité : « C’est plus facile de prendre des petits points ponctuels et de mentir autant qu’on peut sur ceux-ci. » La spécialité de cet ex-prof d’université, c’est la pédagogie. Aux accusations il a répondu point par point, preuves à l’appui. Les chiffres plaident en sa faveur : non, Molenbeek, ce n’est pas le Bronx. La criminalité y est stable en 2010 par rapport à 2009, bien que les vols dans les véhicules (1 233 en 2009, 1 271 en 2010), les vols avec violence (203 en 2009, 247 en 2010) et les délits contre l’intégrité physique (741 en 2009, 762 en 2010) augmentent légèrement. Y compris dans le quartier Maritime, ce secteur tant vilipendé, situé entre le canal, Tour & Taxis, le boulevard Léopold II et le chemin de fer. S’il concentre 17 % des faits établis sur l’ensemble de la commune, la criminalité, en diminution de 9,4 % par rapport à 2004, n’y a pas progressé non plus en 2010. En revanche, entre 2009 et 2010, les vols ont grimpé de 12,6 %, notamment les sac-jackings et arrachages de bijoux. Ces statistiques reprennent les délits collectés par la zone de police Bruxelles-Ouest. Elles sont donc sous-estimées. Car certains faits ne seraient pas signalés (parfois par peur de représailles), de « petites incivilités » ne seraient pas enregistrées ou dans des zones extérieures à la zone Ouest.

Explosion démographique

Jan Hertogen, un sociologue retraité de la KUL, spécialiste des phénomènes de migrations a, lui, consulté les statistiques trimestrielles officielles de la police fédérale, en ligne depuis un an et demi. Dans sa dernière recherche, il a comparé le taux de criminalité de Molenbeek avec trois communes flamandes (Malines, Hasselt et Louvain) ayant plus ou moins pratiquement le même nombre d’habitants. Résultat : entre 2001 et 2003, avec une moyenne de 13,5 délits par an pour 100 habitants, Molenbeek affichait le plus haut taux de criminalité des quatre communes. Mais dès 2006, ce taux a baissé à 9,7 délits par an pour 100 habitants, contre 10,7 pour Hasselt, 13,2 pour Malines et 14,6 pour Louvain. Il n’empêche. « Il n’y a pas de police de proximité », dénonce l’Ecolo Sarah Turine. En cause, notamment, la norme KUL, qui fixe le nombre théorique d’agents affectés aux 196 zones de polices locales belges. « En ce qui concerne Bruxelles-Ouest, le cadre calculé en 2002 pour fonctionner idéalement était de 851 personnes. Nous sommes en 2011, le tableau théorique est toujours de 851 personnes », explique Johan De Becker, chef de corps de la zone. Or, depuis 2002, Molenbeek connaît une véritable explosion démographique (la plus élevée de la Région + 24% en dix ans). Pis : Bruxelles-Ouest, comme la plupart des zones bruxelloises, ne parvient pas à remplir l’effectif théorique. « On a recruté, mais il me manque toujours 150 hommes », précise Johan De Becker.

De fait, la plupart des recrues ne vivent pas dans le lieu où elles opèrent. Mutées en début de carrière à Bruxelles, qu’elles n’apprécient guère, et dont elles ne connaissent pas bien le terrain, elles ne s’investissent pas à long terme. Ce qui a évidemment des conséquences sur le travail de terrain. Quand le moral des troupes n’est pas atteint. Cible de leur ranc£ur : les carences de la justice qui, après avoir prononcé des mesures éducatives, laisse en liberté les mineurs délinquants. Une absence de sanction vécue comme une mansuétude par les policiers qui considèrent leurs efforts comme vains. « La semaine dernière, nous avons rencontré le procureur du roi. Il a été décidé de mettre en place des réunions de coordination pour améliorer la collaboration entre le parquet et la police », argumente Philippe Moureaux.

Le déficit de policiers sur le terrain a provoqué un appel d’air pour des gardiens de la paix, placés sous l’autorité du bourgmestre et que l’on croise au coin de la rue, dans les parcs ou à la sortie des écoles. Objectif de leur mission : veiller au maintien de l’ordre local et constater les incivilités. « Ils font trembler les petits caïds autant que la fée Carabosse, affirme un policier. Le bourgmestre propose ce job aux sans-emploi. Mais ces gardiens ne sont pas efficaces. A Molenbeek, beaucoup disent qu’ils sont payés à ne rien faire. »

L’exemple de Schaerbeek

« Molenbeek est un symbole, que certains veulent détruire. Mais il faudra me passer sur le corps pour y arriver », prévient Philippe Moureaux. Mais que dire alors de Schaerbeek, une autre commune bruxelloise au profil socio-économique plutôt identique. Un autre symbole qui a connu, aussi, des heures difficiles. Mais c’est du passé. « La zone Nord totalise 10 000 habitants de moins, chapeaute trois districts [ NDLR : Schaerbeek, Saint-Josse, Evere], moi j’en ai cinq. Elle compte 900 membres, moi j’en ai 700 tout compris, sans tenir compte des malades de longue durée », rétorque Johan De Becker.

Reste que, depuis 2001, la zone Nord a été réorganisée. Les autorités se sont inspirées d’une vieille institution japonaise : le koban, un commissariat de quartier, auquel chacun peut accéder à pied en moins de dix minutes. Les agents s’occupent de tout ce qui concerne leur « petit » secteur et ils connaissent extrêmement bien leur territoire. On y a également créé des commissariats intercommunaux ouverts 24 heures sur 24, renforcé les patrouilles de nuit, multiplié les agents de quartier. Surtout, on a doté la police de plus de moyens financiers. « Quand les autres communes consacrent 250 euros par an par habitant, nous investissons 320 euros par an par habitant », explique Bernard Clerfayt, bourgmestre FDF de Schaerbeek. Résultat : la zone Nord fait le plein, dispose de matériel de pointe, possède le taux de criminalité le moins élevé de la Région. Et le fameux sentiment d’insécurité y a reculé… Un symbole de réussite. Et un choix politique.

SORAYA GHALI

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