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Faut-il abaisser l’âge de la majorité sexuelle? (débat)

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Damien Vandermeersch est l’un des experts ayant planché sur l’avant-projet de réforme de la majorité sexuelle, examiné par le Parlement le 14 septembre. Avocat général à la Cour de cassation, professeur, il estime que les changements mettront fin à l’hypocrisie actuelle tout en protégeant les mineurs.

Dans quel contexte s’inscrit cette volonté de réforme de l’âge de la majorité sexuelle?

Il s’agit d’un avant-projet de loi porté par le ministre de la Justice (NDLR: Vincent Van Quickenborne, Open VLD), qui s’inscrit dans un avant-projet plus large de réforme du code pénal. En résumé, on va réécrire un peu tout le code pénal, ce qui est évidement un gros chantier. Le code date de 1867! Si vous le lisez, vous n’allez rien comprendre. Des peines y sont prévues mais, dans les faits, elles ne sont jamais appliquées. A mes étudiants, en début d’année, je commence toujours par dire « ce code pénal est du bricolage, c’est illisible. » La réforme est une nécessité, attendue depuis longtemps. Il était devenu nécessaire de disposer d’un outil maniable et lisible.

Je n’aurais pas souhaité que la police vienne chercher mon enfant par le col s’il avait eu des relations sexuelles avant 16 ans.

Avant la réforme complète du code pénal, le gouvernement a décidé de commencer par le chapitre portant sur les infractions sexuelles.

L’ensemble du code pénal doit être actualisé. Mais, effectivement, le choix du ministre est de d’abord commencer par les infractions sexuelles. C’est une question de timing, surtout au nord du pays, en lien avec l’affaire Julie Van Espen, qui avait suscité beaucoup d’émoi (NDLR: une étudiante de 23 ans tuée à Anvers, en mai 2019, alors qu’elle rejoignait des amis à vélo. Son meurtrier, qui sera jugé aux assises à une date encore non déterminée, était un violeur multirécidiviste en attente de jugement pour une affaire de viol, l’analyse de son dossier ayant pris du retard). Nous nous sommes donc prioritairement penchés, dans le livre 2 du code pénal, qui a été modernisé, sur les atteintes à l’ordre des familles. Les peines ont aussi été revues ; il y a dans l’avant-projet de loi un tableau comparatif et on constate une plus grande sévérité. Mais la réforme du reste du code pénal nous paraît tout aussi essentielle.

Cette partie sur les atteintes à l’ordre des familles comprenait, entre autres, la question de l’âge de la majorité sexuelle. Qui reste fixée à 16 ans.

Mais aujourd’hui, en dessous de 16 ans, tout flirt constitue une infraction. Pour les enfants de moins de 14 ans, c’est un viol. Et entre 14 et 16 ans, c’est considéré comme un attentat à la pudeur. L’avant-projet de loi cherche à redéfinir tout ça. C’est une question qui est débattue depuis vingt ans. Il y a eu, par le passé, beaucoup de discussions autour de l’abaissement de l’âge à 14 ans, ou son maintien à 16 ans. Nous avons proposé que la majorité sexuelle reste établie à 16 ans. En dessous de 14 ans, cela restera un viol. Entre 14 et 16 ans, nous avons proposé un changement en introduisant la notion de différence d’âge. Concrètement, entre 14 et 16 ans, si l’un des deux partenaires a plus de deux ans d’écart, ce serait considéré comme un viol.

Damien Vandermeersch, avocat général à la Cour de cassation, professeur à l'UCLouvain et à Saint-Louis.
Damien Vandermeersch, avocat général à la Cour de cassation, professeur à l’UCLouvain et à Saint-Louis.© BELGA

Pourquoi deux ans?

Si la différence d’âge entre les jeunes est trop importante, alors on estime que la possibilité d’influencer, de déséquilibrer la relation est réelle. Certains avaient proposé trois ans, d’autres quatre… C’est évidemment un choix politique, qui sera peut-être discuté au parlement. Et il s’agit de deux ans pile. Un jeune de 15 ans avec un autre de 17 ans et demi, cela sera considéré comme un viol.

L’avant-projet de loi stipule que « les mineurs d’âge de moins de 16 ans ne peuvent consentir librement. C’est une présomption irréfragable. » Vous avez voulu replacer, dites-vous, le consentement comme élément central.

Effectivement. Dès lors que le rapport sexuel est non consenti, il y a une atteinte à l’intégrité sexuelle. Nous avons proposé une définition générale du consentement, qui vaut aussi pour les adultes. Car, parfois, on entend dire qu’il n’y a pas eu de violence ni de menace et que la personne n’a rien dit. Mais elle peut être en état de stupéfaction. Donc, en dessous de 14 ans, nous considérons qu’il n’y a jamais de consentement. Le danger d’être influençable est trop important. Entre 14 et 16 ans, s’il y a consentement et que les partenaires n’ont pas plus de deux ans d’écart, c’est autorisé. Donc, deux jeunes du même âge qui entretiennent des relations sexuelles consenties ne tomberont plus sous le coup du code pénal, il ne s’agira plus d’un attentat à la pudeur.

Vous n’aimez pas l’expression « majorité sexuelle ». Pourquoi?

Le terme est très mauvais. La vraie question est: quand le code pénal doit-il intervenir? Quand les rapports sexuels deviennent-ils une infraction passible d’une peine de prison? On entend souvent: « Oui, mais, de toute façon, le parquet ne va pas poursuivre. » D’abord, arrêtons de faire un droit pénal qu’on n’applique pas! Des peines qu’on n’exécute pas, ça ne va pas. Aujourd’hui, si des parents se constituent partie civile parce qu’ils n’aiment pas le petit copain de leur enfant du même âge, le juge de la jeunesse ne peut pas dire qu’il ne s’agit pas d’une infraction. Or, dans les écoles, des jeunes de 15 ans qui s’aiment, il y en a plein.

Il s’agit d’être plus cohérent par rapport à la réalité?

Il faut stopper l’hypocrisie. Sinon, ça veut dire qu’on interdit légalement toute vie sexuelle avant 16 ans. Mais cette réforme ne veut pas dire non plus: « 14 ans, allez-y, faites l’amour! ». Ça établit simplement le champ d’intervention du droit pénal. Il s’agit d’une réflexion très intéressante sur nos sociétés, où on en est… Mais il ne faut pas devenir trop puritain non plus. La loi pénale doit être l’outil dont on a besoin pour rencontrer cette thématique-là. Je n’aurais peut-être pas souhaité que mon enfant ait des relations sexuelles avant 16 ans, mais je n’aurais pas souhaité non plus que la police vienne le chercher par le col si cela avait été le cas! Or, le droit pénal, c’est ça. Aujourd’hui, une amourette avant 16 ans, c’est considéré comme un attentat à la pudeur. Si on l’appliquait réellement, j’ai bien l’impression qu’on devrait poursuivre la moitié des jeunes. Il s’agit, finalement, d’un débat intéressant sur la place du pénal pour instaurer des règles au sein de la société. L’adolescent qui obtient de mauvais résultats à l’école, par exemple, ne reçoit pas une peine de prison en guise de punition, il y a d’autres mesures plus adaptées… C’est sans doute aussi le cas pour l’apprentissage de la vie sexuelle.

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