Carte blanche

« Devenir enseignant en 28 jours chrono, une pratique dangereuse et totalement inadaptée »

Suite à un reportage de la RTBF consacré à Teach for Belgium, une ASBL qui forme « des personnes à devenir des enseignants dans les écoles secondaires les plus défavorisées du pays », Anne Marion, enseignante primaire, ne cache pas son indignation.

Devenir enseignant en 28 jours chrono: mais voyons où allons-nous donc ?

Que cherche vraiment la FWB en acceptant ce genre de formations ? La FWB cherche-t-elle à éradiquer l’école publique au profit du secteur privé ?

D’un côté, elle augmente la formation d’un an pour devenir instituteur, de l’autre elle autorise une entreprise privée à former des profs en quatre semaines. Cela tient de la supercherie ou de l’inconscience et ne va pas permettre d’endiguer la pénurie.

Une telle formation leurre tout le monde : les parents, les « Teach From Belgium », les enseignants, l’opinion publique.

Une petite démonstration s’impose et du haut de mes 71 ans, et d’une vie dédiée aux enfants soit 45 ans de mission au sein de l’Ecole, et 20 ans avec des enfants en décrochage, je me permets de vous décrire, ci-après, les compétences nécessaires pour devenir un enseignant capable de s’adapter à tous les enfants.

Il faut : (liste non exhaustive)

  • Une très grande connaissance de l’histoire de la pédagogie et des grands courants des siècles derniers
  • Une connaissance approfondie de l’enfant, de son développement naturel physique et psychologique
  • Une faculté aiguisée de l’observation des mécanismes des apprentissages chez l’enfant
  • Un fort désir de transmission
  • Le sens de la communication et de la différenciation
  • Une expression langagière parfaite aussi bien à l’oral qu’à l’écrit
  • Une attitude et une présentation irréprochables
  • Une très grosse dose de patience, de don de soi, d’écoute et de bienveillance
  • Une formation didactique pointue
  • Une formation nouvelle en neurosciences

Mais BINGO ! Un organisme réalisera, avec sa baguette magique, tout cela, en quatre semaines, avec un petit suivi ! Quel suivi ? Par quels superviseurs ? Pour quelle formation ?  Ah oui j’oubliais : du vrai formatage à l’image des référentiels !

Le métier d’enseignant est avant tout un métier de vocation et non une roue de secours. Nous, les enseignants, nous nous devons d’être des chercheurs tout au long de notre mission et même arrivés au terme de celle-ci, nous nous remettrons encore et encore en question.

Il y a naturellement des exceptions qui confirment la règle mais en général, oser former des enseignants en quatre semaines est une pratique dangereuse et totalement inadaptée.

C’est une énorme tromperie qui risque d’avoir des conséquences sur la pénurie, les autres enseignants, les futurs enseignants qui ont déjà fait trois années et aussi sur ces « nouveaux enseignants minute ». A long terme, ce sera dramatique pour les générations à venir.

Avant tout, ce seront les enfants qui n’auront d’autres choix que de rester dans l’école publique et dont les parents ne pourront pas, à coup de cours privés les aider.  Si ceci n’est pas une inégalité.  Je ne comprends plus rien aux motivations du Pacte d’Excellence qui défend, à corps perdu, l’égalité pour tous.  Il y a là une énorme contradiction.

Voici donc qu’en fonction de la pénurie (voulue, vu que la formation prolongée d’un an, sans y affecter l’augmentation salariale nécessaire), le privé se met à former des enseignants !

C’est une situation révoltante que de jeter dans la fosse aux lions, des jeunes ou moins jeunes sans une véritable formation.

C’est démontrer une fois de plus que le sort des jeunes enfants ou adolescents pèse pour très peu dans la course effrénée libérale, économique et in fine dans l’idée que se font les politiques du profit.

Si tel est le choix de la FWB, allons-y supprimons donc les écoles normales et supérieures ! Ce sera un profit immédiat. Que d’économies réalisées pour le système ! Et que de temps gagné pour les étudiants qui devront se farcir quatre longues années.

Depuis plus de trente ans, j’observe la désintégration de l’Ecole mais cette fois nous sommes arrivés au paroxysme de l’illusion.

Anne Marion, enseignante primaire (45 ans de travail de terrain) dont les 20 dernières années avec des enfants en grande difficulté

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