La ministre de l'Education Caroline Désir (PS)

Désinformation, extrémisme, « panique morale » : pourquoi tant d’opposition aux cours d’éducation sexuelle ?

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La Fédération Wallonie-Bruxelles vote ce jeudi le décret rendant obligatoire l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) à l’école. Le projet rencontre une vive opposition de la part de certains groupuscules. Quelques centaines de manifestants ont défilé dans les rues de Bruxelles pour exprimer leur mécontentement en amont de la séance plénière. Qui sont-ils ?

Un vote historique ». Ce jeudi, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles doit avaliser le décret garantissant l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) dans les établissements scolaires. Concrètement, l’accord de coopération soumis à l’approbation des députés prévoit deux animations obligatoires au cours de la scolarité, respectivement en sixième primaire et en quatrième secondaire. Alors que l’Evras est déjà dispensée depuis près de 50 ans dans certaines écoles, l’objectif est de généraliser l’accès à une information fiable et complète à tous, via un personnel qualifié.

Mais, depuis plusieurs mois, le projet porté par la ministre de l’Education Caroline Désir (PS) est dans le viseur de plusieurs associations. A coups de tracts, pétitions, lettres ouvertes et courriers adressés aux députés, des groupuscules s’opposent farouchement à ces animations, y voyant une menace pour leurs enfants. En point d’orgue de la contestation, un rassemblement a même été organisé ce jeudi à 13h devant le parlement francophone, auquel quelques centaines de manifestants ont participé.

Parmi les voix qui s’élèvent contre le décret, certaines institutions islamiques dénoncent la « violation » des droits des enfants et des libres choix éducationnels. « Il est crucial de trouver un équilibre entre la promotion de la santé sexuelle des jeunes et le respect des valeurs et des droits fondamentaux de chaque individu », écrivent-elles dans un communiqué, s’inquiétant par ailleurs de certains messages transmis par l’EVRAS.

Des risques « d’intrusion psychique »

Outre certaines organisations représentatives du culte islamique, d’autres associations comme « Sauvons nos enfants » mènent également une véritable croisade contre le programme qui serait, selon leurs termes, « imprégné d’une idéologie dangereuse ». Pour Verlaine Urbain, responsable de « Innocence en danger », certaines notions de l’Evras sont abordées trop prématurément. « Si les élèves n’ont pas la maturité psychique, psychosociale ou sexuelle pour intégrer des informations qui ne sont pas de leur âge, cela peut engendrer des comportements déviants », alerte-t-il, en exposant différents témoignages recueillis par des parents ou le corps enseignant. Verlaine Urbain s’inquiète également de la généralisation du questionnement d’un seul élève à l’ensemble de sa classe. « Si un enfant de neuf ans s’interroge sur la pornographie, la thématique va être abordée avec tout le groupe. Cela entraîne des risques élevés d’intrusion psychique pour les élèves non concernés et peut se traduire par des conséquences traumatiques, d’une intensité plus ou moins grande ». Tout en évoquant une « rupture de confiance » des parents en l’Evras, Verlaine Urbain appelle à une redéfinition du programme. « Je pense qu’il peut y avoir une Evras bienveillante, transparente et adaptée aux enfants mais, en l’état, elle loupe son objectif et entraîne des situations regrettables. »

« Il n’est pas question d’enseigner des pratiques sexuelles aux enfants »
Coraline Pissens, chargée de mission Evras à la Fédération laïque de centres de planning familial

De son côté, Coraline Pissens, chargée de mission Evras à la Fédération laïque de centres de planning familial, rappelle que le programme n’est pas centré uniquement sur la sexualité et aborde bien plus largement la vie relationnelle et affective, comme la thématique des émotions. « Il n’est pas question d’enseigner des pratiques sexuelles aux enfants, comme on a pu eronnément l’entendre », insiste-t-elle. Un discours réitéré par Caroline Désir sur les ondes de La Première, jeudi matin. « Nos intentions sont nobles. On ne va évidemment pas encourager une hypersexualisation chez les jeunes, on ne va pas susciter une orientation sexuelle ou une identité de genre, on ne va pas donner de cours de pratiques sexuelles. C’est inadmissible de faire peur aux parents sur ce sujet. »

Un complément à l’éducation familiale

Coraline Pissens rappelle d’ailleurs que dans les pays où l’Evras est généralisée, l’âge de la première relation sexuelle est plus tardif et l’utilisation de contraceptifs bien plus répandue. En outre, l’Evras permet également de prévenir le harcèlement et les situations de violence sexuelle. « Au vu des chiffres dramatiques en la matière en Belgique, il est clair que la politique actuelle n’est pas suffisante, tranche Lionel Rubin, chargé d’études au Centre d’action laïque (CAL). L’Evras doit donc mieux outiller les élèves pour leur permettre de faire des choix éclairés. » Et Lionel Rubin d’insister : les animations dispensées à l’école n’ont pas vocation à se substituer à l’éducation familiale, mais bien à la compléter pour permettre une uniformisation de l’information et lutter contre les inégalités entre élèves.

Alors que 90% des enfants ont déjà visualisé du contenu pornographique à l’âge de onze ans, la volonté de l’Evras est également de jouer un rôle de prévention. « Les associations contestataires citent souvent l’âge de 15 ou 16 ans pour répondre aux questionnements sur la sexualité. Mais en réalité, les enfants y sont confrontés bien plus tôt, observe Lionel Rubin. Donc si vous n’abordez ces questions-là qu’à partir de l’adolescence, vous ratez tout un pan de leur vie affective, relationnelle et sexuelle. »

Une « mission de santé publique »

Le Centre d’action laïque déplore les campagnes de désinformation orchestrées par « certains groupuscules extrémistes » ces derniers mois. « Ces campagnes attisent une forme de panique morale sur base de mensonges concernant le contenu des animations, regrette Lionel Rubin. Face à cette désinformation, on ne peut que comprendre la crainte des parents. Notre rôle est donc de les rassurer et de leur expliquer en quoi l’Evras constitue vraiment une mission de santé publique et de prévention à l’égard des enfants. »

Ces derniers jours, de nombreuses institutions ont réaffirmé leur positionnement clair en faveur de l’Evras, à l’instar du Délégué général aux droits de l’enfant. « Ces animations répondent aux prescrits de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant en termes de santé, de développement, d’information, de sensibilisation, de protection, de la vie privée notamment ». De son côté, le Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique (SeGEC) rappelle que l’Evras est « hautement souhaitable » : « Il n’y a aucune ambiguïté à ce sujet : nous sommes plus que demandeurs de ces animations, afin que chaque jeune puisse se construire en tant qu’individu. »

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