Yves Desmet

En route vers le chaos?

Par Yves DESMET, éditorialiste au Morgen

Imaginez un entraîneur de première division qui dit qu’il peut mener son équipe au titre, sans le moindre problème, puisque cinq minutes suffisent à marquer les buts décisifs lors des rencontres capitales. Puis, match après match, c’est la débandade. Après la cinquième défaite consécutive, et toujours sans avoir marqué de but, il déclare: « Oui mais, ce n’est pas de ma faute, c’est l’équipe adverse qui m’a empêché de jouer comme je l’entendais ».

Voilà, en résumé, l’histoire des gouvernements Leterme de ces dernières années. L’homme qui a su recueillir un score électoral monstre sur la base de promesses dénuées de tout sens de la réalité (ce qu’il savait pertinemment bien) a été incapable d’y donner suite. Il ne fut même pas en mesure de fonctionner sans être tenu par la main, successivement, par Guy Verhofstadt, Herman Van Rompuy, Wilfried Martens et Jean-Luc Dehaene, réquisitionnés, à chaque fois, pour assurer sa survie politique. Tandis que Monsieur 800.000 voix s’amusait à mettre des messages sur Twitter.

Ce gouvernement n’a jamais été un gouvernement, n’a jamais été une équipe soudée, n’a jamais conçu aucun projet digne de ce nom. Cet attelage bringuebalant fut constamment l’otage de la suspicion interne qui n’a fait que croître avec le temps, à l’exception de l’interlude d’Herman Van Rompuy, quand le pays se réjouissait déjà à la simple idée qu’il ne se passait rien. Puisque, à tout prendre, cela valait mieux que de devoir subir les impérities du gouvernement Leterme.

Leterme, toutefois, ne doit pas porter le chapeau tout seul: ses adversaires de l’autre côté de la frontière linguistique ne lui ont rien accordé. Derrière la façade enchanteresse de la meilleure volonté du monde, ils ont joué, des années durant, tout en cultivant les lieux communs, le catenaccio le plus virulent: garder le ballon dans l’équipe, verrouiller et ralentir le jeu et, au besoin, effectuer un méchant tacle. Cela n’avait rien à voir avec le sens de l’Etat et l’exercice courageux de la responsabilité politique, seules comptaient des considérations purement électorales.

C’est surtout Didier Reynders qui s’en est rendu coupable: le président du MR avait le plus à perdre si BHV avait été scindé. Faire des concessions aux Flamands, en payer le prix électoral sans être sûr de retrouver sa place au gouvernement fédéral, c’était trop demander au pauvre homme. Au demeurant, son raisonnement tenait la route. Témoin: la tentative désespérée du PS et du CDH pour ériger l’olivier en gouvernement de secours.

La question de savoir qui assume encore ses responsabilités politiques est devenue tout à fait accessoire. Avec pour conséquence que l’opinion publique, sûrement en Flandre, n’a jamais été aussi dégoûtée par la classe politique, dans son ensemble. Au-delà des inévitables aigris habituels, l’exaspération touche maintenant de larges couches de la population.

Je crains sincèrement que les résultats des prochaines élections ne nous réservent de grandes surprises. Le paysage politique s’en trouvera encore plus émietté, la formation de coalitions en sera rendue encore plus difficile, les voix radicales se feront encore plus fortes. Peut-être les francophones auraient-ils dû en prendre conscience avant de chasser Jean-Luc Dehaene, lui aussi dégoûté, de la table des négociations.

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