Les terres agricoles disparaîtront du Brabant wallon, prophétisent certains. Dans les cinquante ans à venir. © belgaimage

Didier Paquot : «Le Brabant wallon sert de cache-misère à la Wallonie»

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

La réussite du Brabant wallon serait due essentiellement à des facteurs concomitants, selon Didier Paquot, chief economist à l’Institut Jules Destrée.

Jusqu’à l’année dernière, Didier Paquot, directeur de recherche au Wallonia Policy Lab, était l’auteur d’une chronique hebdomadaire dédiée à l’économie wallonne. Plusieurs d’entre elles furent consacrées au Brabant wallon.

La province du Brabant wallon est devenue riche au fur et à mesure de ses bientôt 30 ans d’existence ou son territoire l’était déjà lors de la scission?

Elle l’est devenue, mais elle avait tous les atouts. Comme le Brabant flamand, elle était proche d’une grande métropole, Bruxelles. De plus, elle était ce que les économistes appellent un green field, c’est-à-dire qu’il n’y avait rien, pas d’anciennes industries, pas de chancres industriels, juste des champs agricoles. Tout était possible. Il y avait suffisamment de terrains pour construire des habitations, de l’économie, des structures… On est donc parti d’une feuille vierge. Troisième avantage: une population relativement aisée et instruite. Bref, elle avait d’emblée des atouts que n’avaient pas d’autres provinces, wallonnes notamment, embourbées dans de l’industrie lourde qui fermait, où il fallait passer à la reconversion, avec des chancres industriels, des gens formés pour ce genre d’industrie mais pas pour le reste, etc.

Concrètement, comment le Brabant wallon s’y est-il pris pour devenir la province belge la plus riche?

Il a profité de plusieurs facteurs, déterminants et concomitants. Le premier est la création de l’université, à Louvain-la-Neuve. Une bonne université, internationale, avec de bons chercheurs, qui pouvait donc, autour d’elle, développer un tissu industriel de jeunes industries, des spin off, pendant que d’autres arrivaient, attirées par le fait qu’il y avait des terrains et qu’ils étaient proches d’une source de savoirs et de compétences intéressantes. La deuxième grande chance fut le développement, à Wavre, de SmithKline Beecham, devenu GSK en 2000. Au début, dans les années 1950, c’était une spin off de l’université de Louvain, alors encore unie. Elle est venue dans le Brabant wallon, y a grandi, a été absorbée par l’un puis par l’autre pour devenir le géant pharmaceutique qu’on connaît et dont la branche «vaccins» est toujours implantée à Wavre, ayant acquis énormément de terrains, au point que ses installations ressemblent à une ville! En outre, elle a pu trouver à l’université des ressources dont elle avait besoin. La proximité de Bruxelles lui permet aussi de bénéficier de services de la capitale, de pouvoir attirer des spécialistes étrangers qui peuvent y habiter. GSK est ainsi devenue une entreprise énorme, de neuf mille personnes, qui en a attiré d’autres, parce que les entreprises travaillent beaucoup en cluster. Par ailleurs, la création de Louvain-la-Neuve a permis de développer toute une ville, attirant des habitants qui n’étaient pas directement liés à l’université. S’y sont créées des activités commerciales et de services. A côté de cela, il y a l’effet de débordement de Bruxelles: Bruxelles étant limité dans ses dix-neuf communes et un îlot en Flandre, il était assez naturel que les entreprises francophones s’y trouvant trop à l’étroit s’installent dans le Brabant wallon, où on a créé des zones d’activité économique modernes, puisqu’il n’y avait rien avant. Et ces zones ont accueilli beaucoup d’entreprises bruxelloises, ce qui a amené évidemment énormément d’activités.

Didier Paquot, chief economist à l’Institut Jules Destrée.
Didier Paquot, chief economist à l’Institut Jules Destrée. © National

La prospérité rapide et exceptionnelle du Brabant wallon résulte donc plus d’un alignement des planètes favorable que d’une stratégie?

C’est certain. Il n’y a, derrière cette expansion économique, aucune stratégie volontaire. C’est une succession de coups de chance, de conditions positives ou favorables: le coup de malchance de la scission de l’université de Louvain est devenu un coup de chance, puis il y eut celui de GSK, le coup de chance de l’institutionnel qui fait que Bruxelles est limitée et que les prix y augmentent, à cause des institutions internationales notamment. Aujourd’hui, environ cent mille personnes font tous les jours la navette vers le Brabant wallon.

Il n’y avait rien ici, juste des champs agricoles. Tout était possible.» Didier Paquot, chief economist à l’Institut Jules Destrée.

C’est ce qui explique qu’il est une exception en Wallonie?

Absolument. Economiquement, le Brabant wallon n’appartient pas à la Wallonie. Toutes les études économiques internationales, comme celles d’Eurostat, par exemple, lorsqu’elles abordent les régions d’Europe, regroupent Bruxelles, le Brabant flamand et le Brabant wallon. Parce qu’elles considèrent que c’est un hinterland cohérent. On voit bien que s’il n’y avait pas eu la limite institutionnelle, le Brabant wallon, le Brabant flamand et Bruxelles constitueraient une grande agglomération. Une ville, qui serait Brussels. Pour les autres provinces wallonnes, la réalité est totalement différente. D’abord parce que, à partir de Namur ou de Charleroi, on est quand même plus loin de Bruxelles. Donc l’effet de débordement s’affadit. Et puis, le Hainaut et Liège, par exemple, n’avaient pas les mêmes atouts que le Brabant. Il y existait des terrains, mais beaucoup de friches industrielles. Les villes n’étaient pas très agréables à vivre. La population était différente. Beaucoup d’habitants d’autres provinces wallonnes viennent travailler en Brabant wallon mais c’est le seul effet de contagion de production important – à part, un tout petit peu, autour de Charleroi, avec le Biopôle. Le Brabant wallon a une dynamique de développement qui n’appartient qu’à lui. Il sert en réalité de cache-misère au reste de la Wallonie.

Pour autant, c’est une province très disparate. Les réalités, socioculturelles comme économiques, sont très différentes selon qu’on se situe à Tubize, Wavre, Jodoigne, Louvain-la-Neuve ou Nivelles…

Oui, mais les vraies différences se marquent avec la région de Tubize, parce qu’elle est plus proche du Hainaut et a connu une autre industrialisation puis son déclin, comme on l’a vu avec les forges de Clabecq, par exemple. Pour le reste, ce n’est qu’une question de temps pour avancer et se développer de plus en plus vers Jodoigne et Namur. Jacques Thisse, professeur d’économie à l’UCLouvain, me disait voici trois ou quatre ans que dans les cinquante à soixante années à venir, il n’y aura plus de terres agricoles dans le Brabant wallon ; ce ne sera qu’une ville et des entreprises. On voit déjà que Louvain-la-Neuve et Ottignies deviennent relativement ingérables d’un point de vue communal, qu’elles débordent toujours plus sur d’autres communes. Je crois d’ailleurs que le grand danger pour le Brabant wallon, c’est que les structures institutionnelles et les infrastructures ne se développent pas au même rythme que le développement économique. A un moment, il va falloir organiser institutionnellement tout ce grand ensemble comme une grande ville, que la province soit adaptée en matière de transports en commun, de routes, d’infrastructures, d’écoles, etc. Une intercommunalité doit voir le jour en Brabant wallon si on ne veut que ça se finisse dans un chaos complet.

Le Brabant wallon sert de cache-misère au reste de la Wallonie.

Quel effet pourrait avoir la fédéralisation croissante du pays sur la province, et donc l’augmentation de l’importance de Namur comme capitale wallonne?

Minime, je pense. Namur restera une ville administrative, qui ne connaît pas un grand dynamisme économique. Comme Washington D.C. ou La Haye. Effectivement, il y aura sans doute de plus en plus d’institutions et de fonctionnaires mais sans autre conséquence pour le Brabant wallon que l’arrivée de gens qui ne pourront plus se loger à Namur. Donc on assistera peut-être à un développement immobilier résidentiel dans l’est de la province.

On a vu ces derniers temps des campagnes vantant les intérêts touristiques du Brabant wallon et les centres sportifs d’excellence et les infrastructures sportives y essaiment. Autant de nouveaux réels atouts?

Le tourisme restera accessoire, parce que le Brabant wallon est surtout voué à une activité économique industrielle ou postindustrielle. Les centres d’excellence sportifs ajouteront à sa qualité de vie, à son attractivité, sa réputation: ce peut être un atout pour des entreprises, pour attirer du personnel étranger, par exemple. Mais à mes yeux, l’enjeu culturel est plus important: le Brabant wallon doit sortir de la sphère bruxelloise et avoir plus de salles de spectacle. Surtout, il doit créer des services aux entreprises, informatiques, juridiques, de consulting, etc., proches de leur clientèle. On voit déjà des chasseurs de têtes, des grands consultants et des private bankers ouvrir des succursales. Parce que le développement industriel ou postindustriel a besoin d’un développement des services aux entreprises. Et que la congestion de Bruxelles ne s’améliorera pas. L’arrivée du RER jouera, surtout dans le sens Bruxelles vers le Brabant wallon, parce que des gens viendront encore y habiter, tout en travaillant dans la capitale, mais aussi parce qu’on ne peut pas avoir de développement économique à long terme sans une métropole, ou quelque chose qui y ressemble. Louvain-la-Neuve est en train de se constituer en métropole. Ça prendra encore du temps, mais c’est l’un des enjeux cruciaux pour le Brabant wallon: arriver à y ériger une métropole pour que la province se suffise à elle-même et dépende un peu moins de Bruxelles. Le RER peut y aider.

Les réalités ne sont pas les mêmes partout dans la province: le déclin des forges de Clabecq en est un exemple.
Les réalités ne sont pas les mêmes partout dans la province: le déclin des forges de Clabecq en est un exemple. © belgaimage
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