Alors qu’il voit son budget exploser plus qu’il n’osait l’espérer, le ministre de la Défense Théo Francken a développé sa stratégie face au Parlement. Avec beaucoup d’idées, et peu de chiffres.
Le budget de la Défense sera scruté, et chaque boulette sera relevée et même moquée, tout au long de la législature au vu de l’explosion du budget décidée au regard du contexte international. La Cour des comptes a déjà épinglé fin avril dernier, la multiplication par dix du prix d’achat des blindés français (actée par le gouvernement Michel). Ce mercredi, c’était au tour de la Commission Défense de poser au ministre, Théo Francken (N-VA), sa question préférée: que va-t-il faire de tous ces deniers?
Les députés (de la majorité comme de l’opposition) n’ont que très rarement remis en question la nécessité d’augmenter le budget de la Défense alors que Théo Francken lui-même a concédé, très satisfait, qu’il «n’imaginait pas qu’on parvienne à consacrer 2% du PIB au budget de la Défense dès cette année». De surcroît, le ministre semble pour l’heure jouir d’une sacrée liberté avec les quatre milliards d’euros supplémentaires (portant le total des dépenses de la Défense à 12,5 milliards par an) dont il dispose pour son budget 2025, soulignait le député écologiste flamand, Staf Aerts. «Vous demandez un chèque en blanc de 3,7 milliards de crédits provisionnels. Cela veut dire qu’on n’a pas de vue sur comment le budget sera réparti.» Lundi, en commission Finances, la Cour des comptes rappelait d’ailleurs que plus les crédits provisionnels étaient élevés, plus le contrôle parlementaire reculait.
Des drones armés, un missile de croisière, et la conquête de l’IA
On ne saura donc pas très bien, à l’issue de la commission de ce mercredi, quels montants seront alloués à quels postes. Cependant, Théo Francken a laissé quelques indices sur ses priorités au fil de ses réponses, bien qu’il ait conditionné celles-ci aux cadres de l’Europe et de l’Otan, presque systématiquement. Ainsi, le ministre a maintes fois convoqué le NDPP, un processus de planification de défense établi par l’Otan qui liste les ressources nécessaires et disponibles en fonction de plusieurs scénarios menaçant l’intégrité territoriale européenne. «C’est la première fois que l’on va acheter un missile de croisière», glissait en conclusion de cette séquence le nationaliste, qui précisait que les besoins du NDPP sont définis notamment par les services de renseignement européens. «Théo Francken s’est pourtant rendu récemment aux Etats-Unis, rappelle Christophe Wasinski, professeurs de relations internationales à l’ULB. Là-bas, il était fier de dire que la Belgique allait augmenter massivement son budget défense. Aujourd’hui, il semble beaucoup moins l’assumer. Il faut tout de même rappeler que le NDPP n’a pas force de loi en Belgique.»
Autre nouveauté made in Francken: l’armement des drones MQ9B, «le processus de certification est en cours, a affirmé le ministre. On s’attend à avoir une capacité robuste en 2027.» Achetés (159 millions pour quatre pièces) en 2018 par le dernier ministre N-VA de la Défense, Steven Vandeput, et livrés en septembre 2024, Théo Francken clôt ainsi un projet de longue date de la N-VA qui a toujours voulu acheter ces drones américains armés d’équipements canadiens. «Ce sont des équipements conçus surtout pour faire la guerre contre le terrorisme, il convient de s’interroger sur le bien-fondé de cet armement», souffle Christophe Wasinski.
Et puis, Le Vif l’avait déjà annoncé, mais Théo Francken l’a confirmé, et précisé: dès 2026, l’armée belge va assouplir ses critères physiques et psychologiques pour s’engager. «L’efficacité de la Défense dépendra de sa capacité à intégrer l’IA, qui devient un concept clé de notre organisation future, annonce Francken. Imaginons que le meilleur des cyberwarriors ne puisse pas s’engager dans la Défense parce qu’il pèse un peu trop lourd. Cela me dépasserait.» Une rencontre entre Francken et les syndicats devrait avoir lieu ce samedi matin concernant les conditions des militaires.
Au rayon de ce que Théo Francken ne fera pas, on peut noter que la nouvelle frégate n’arrivera pas cette année. La Belgique en compte pour l’instant deux, livrées en 2023, ce qui avait coûté environ deux milliards d’euros. Les piliers de recrutement, de formation et de collaboration avec les entreprises ne seront pas non plus au point pour 2025. Théo Francken a également assuré que jamais la Belgique n’investira dans des robots tueurs ou des mines, «ces armes ne faisant pas la distinction entre des soldats et des civils.»
5% du PIB consacrés au budget de la Défense? «On se doit d’être fiable»
Si le ministre de la Défense a déçu les parlementaires par son manque de données chiffrées, ce mercredi, il n’a en revanche pas eu peur de remettre sur la table un autre chiffre. Celui de 5% du PIB national consacrés à la Défense. «La paix est en danger pour l’instant. Ces 5% ne sont pas pour les beaux yeux de Donald Trump. En termes d’armement, la Russie a produit en trois mois ce que l’occident a produit en un an. Il y a une crise dans le mariage transatlantique, en ce moment, et je suis persuadé qu’on la surmontera en reprenant la main sur nos infrastructures de sécurité.» Ce ne sera pas avant 2034 a-t-il assuré, «mais si l’Otan l’exige, sortirions-nous de l’alliance pour ça? Ce ne serait pas intelligent».