La Défense belge est en crise du recrutement. © Getty Images

Défense belge en crise du recrutement: «Nous voulons adapter les critères physiques, élargir les tranches d’âges et assouplir les restrictions médicales»

Avec des objectifs ambitieux à l’horizon 2029, la Défense belge doit élargir son vivier de recrutement pour faire face à une équation complexe: plus de budget, mais toujours autant de départs. L’armée peine à séduire et à fidéliser.

Chaque année, environ 2.800 nouvelles têtes délaissent la casquette civile pour enfiler le casque militaire. Ces recrues complètent un effectif constant de 24.600 soldats et 6.600 réservistes. Mais l’ambition de Théo Francken (N-VA), ministre de la Défense, est plus grande. Pour l’horizon 2029, il veut atteindre une armée de 29.000 soldats, 5.700 civils et 20.000 réservistes. Petit problème, si le budget de la Défense a augmenté, le nombre de volontaires n’a pas suivi la même dynamique. Le nombre d’arrivées peine à combler celui des départs. Le challenge est donc de taille. D’ici quatre ans, il veut trouver plus de 6.000 soldats et civils. Sans compter les départs.

Pour s’en donner les moyens, Théo Francken et sa Défense veulent ouvrir les portes de l’armée à des profils «plus diversifiés» et réviser les critères d’entrée. L’Amiral Botman explique à La Libre: «Nous sommes en train d’adapter certaines exigences physiques, d’élargir les tranches d’âge, et nous avons revu des critères médicaux. Tout cela permet d’élargir le vivier. On veut que la Défense soit un reflet de la société, sans baisser le niveau d’exigence opérationnelle.»

L’état-major de la Défense plaide donc pour une réforme en profondeur de la législation encadrant le recrutement. «La loi actuelle sur le statut militaire date d’un autre temps, explique le général Thierry Esser, directeur général des ressources humaines à la Défense. Elle ne correspond plus du tout ni aux menaces actuelles, ni au marché de l’emploi.» Pour élargir le vivier, la Défense prévoit non seulement de relever l’âge limite d’entrée, aujourd’hui fixé à 34 ans, mais aussi d’assouplir les critères physiques et médicaux, jugés trop rigides. «L’objectif est d’attirer davantage de trentenaires, de profils techniques en reconversion ou de personnes en quête de sens, sans pour autant baisser les standards opérationnels», précise le général.

Freins au recrutement

En 2024, la Défense belge a enregistré 7.319 candidatures de jeunes pour des postes militaires, soit une augmentation de 13,4 % par rapport à 2022. Parmi ces candidats, 1.250 ont été recrutés en tant que volontaires (soldats et matelots), 950 en tant que sous-officiers et 300 en tant qu’officiers, totalisant ainsi 2.500 nouvelles recrues militaires pour l’année. La majorité de ces recrues sont de jeunes adultes âgés de 18 à 25 ans, bien que la Défense ne publie pas de répartition détaillée par âge. Les profils recherchés incluent des techniciens, des opérateurs, des ingénieurs et des spécialistes en cybersécurité, en réponse aux besoins croissants dans ces domaines.

Mais dans ce vivier, beaucoup abandonnent au cours de leur formation ou dans les trois premières années de carrière. Le problème se situe donc à la fois au niveau du recrutement, de l’attractivité et de la sécurisation des postes. En 2024, quatre candidats sur dix ont abandonné en cours de formation. Selon le général Esse, «ces abandons se concentrent dans les 18 premiers mois, une phase de transition parfois difficile pour les jeunes qui quittent le monde civil pour rejoindre l’institution militaire».

Sébastien, 28 ans, a expérimenté ce problème d’attractivité dans les carrières de la Défense. Après trois années de loyaux services à la Marine, il a quitté son poste. «Je me souviens que quand j’avais 20 ans, j’étais très excité à l’idée de rejoindre l’armée. J’y suis resté jusqu’à mes 23 ans. Au début, c’était confortable. J’avais un salaire qui me convenait vu que je n’avais rien à payer à l’époque. Je vivais chez mes parents. Puis quand j’ai voulu prendre un peu plus mon indépendance, j’ai réalisé que mon salaire n’était plus aussi conséquent que je le pensais. Je voyais des amis qui commençaient leur carrière dans le privé et qui gagnaient plus que moi, même si j’avais trois ans d’ancienneté. Puis, comme je n’avais pas de diplôme, je ne pouvais pas facilement monter en grade. Mes perspectives d’évolution étaient faibles comparées au travail exigeant que je devais fournir. J’ai donc décidé de tout quitter. Recommencer à zéro dans le privé.»

Mais si l’armée attire peu, ce n’est pas seulement à cause de ses critères d’entrée. Le problème est aussi salarial pour certains jeunes. Le 15 février 2023 à la Chambre, l’ex-ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), expliquait aux parlementaires qu’un soldat célibataire sans enfants perçoit environ 2.000 euros net par mois à l’entrée. Ce salaire peut être augmenté via des primes de mission ou d’ancienneté, ainsi que divers avantages.

Sébastien, lui, n’a pas vu la couleur de cette somme: «Pour être transparent, c’était plus autour des 1.600 euros net. Si je voulais gagner plus, je devais m’inscrire pour des missions ou des gardes et maintenances de nuit. Mon salaire évoluait d’année en année mais pas assez à mon goût. Et puis, c’était un travail très particulier et difficile. Pour travailler à la Défense, il vaut suivre et prendre la mentalité de l’armée. Je me suis adapté, mais je voyais beaucoup de nouveaux qui abandonnaient, dégoûtés. Il y a le fantasme, puis la réalité.»

Le service militaire comme solution?

La Défense mise aussi sur le service militaire volontaire, attendu pour 2026. Le principe imaginé par Théo Francken est d’envoyer des lettres à 120.000 jeunes Belges âgés de 18 ans pour les inviter à rejoindre les rangs de la réserve. Ce programme, inspiré du modèle néerlandais, prévoit une mission d’un an, rémunérée environ 2.000 euros net par mois. Les jeunes formés viendraient combler le contingent en vue d’atteindre les 20.000 réservistes souhaités d’ici 2029.

Mais dans un premier temps, cette initiative ne sera pas déployée à grande échelle. Seuls 500 postes seraient proposés lors de la première vague, faute de moyens humains et logistiques. Le nombre de places pourrait augmenter par la suite, si la capacité de formation de l’armée suit le rythme. Ces dernières années, les formateurs expérimentés commençent à manquer. La Défense belge a fait face à une importante vague de départs à la retraite entre 2021 et 2025 en raison du vieillissement du personnel et du changement de régime de pensions.

Si le projet permet donc d’attirer temporairement de nouveaux profils et de rajeunir les effectifs, il ne règle pas le problème plus structurel de la fidélisation. Car même bien formés, ces jeunes volontaires ne seront pas tenus de rester dans la Défense après leur année de mission.

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