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Covid : « Rien ne justifie actuellement de fermer les écoles »

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

À l’heure où la question de la fermeture des écoles est sur la table des décideurs politiques, Olga Chatzis, pédiatre à l’UCLouvain et membre de la Task Force pédiatrique, lance un appel pour que les écoles restent ouvertes. Entretien.

Craignez-vous une nouvelle fermeture des écoles ?

Je n’y suis pas favorable. Tout d’abord parce que l’éducation des enfants est primordiale. Ils représentent l’avenir de notre société. Après la fermeture au printemps, une étude de la KULeuven a pu démontrer un retard scolaire en moyenne de six mois chez les enfants de 6e primaire. Ce n’est pas à négliger.

Ensuite, parce que les enfants ont besoin de cours en présentiel et des contacts sociaux qui en découlent. Certains jeunes n’ont pas accroché à l’enseignement à distance. Cela a engendré du stress et une perte de motivation vis-à-vis de l’école pour certains (étude UCLouvain et ULiège). Nos jeunes ne sont pas habitués aux cours à distance et on voit vraiment que leur place est à l’école.

Concernant les adolescents, je pense qu’il vaut mieux qu’ils soient encadrés à l’école et avec des règles claires de port du masque, d’hygiène et de distanciation plutôt que de les laisser seuls à la maison, livrés à eux-mêmes. En effet, les parents doivent travailler (télétravail ou non) et, on le sait, les relations entre les adolescents et les parents peuvent parfois être conflictuelles.

Une fermeture des écoles risque d’augmenter les contacts extrascolaires par des rassemblements de jeunes, notamment dans les centres urbains, avec une application moindre des mesures de distanciation qu’à l’école et avec un effet inverse, à celui recherché, sur les chaines de transmission.

D’autre part, les contacts sociaux qui ont lieu à l’école sont très importants pour les jeunes. Je crains que si l’on ferme les écoles, on creuse à nouveau les inégalités sociales, comme ça a déjà été le cas lors du premier confinement. On sait que les jeunes avec des situations socio-économiques défavorables ou avec des difficultés scolaires seront plus à risque de décrochage scolaire. De plus, ils n’ont pas forcément accès à un ordinateur ou à internet pour pouvoir suivre des cours à distance.

D’un point de vue psychosocial, il y a aussi un risque d’accroitre les conflits familiaux. On ne veut absolument pas revenir vers ça.

En sait-on davantage aujourd’hui sur la transmission du virus dans les écoles ?

Il faut distinguer l’école primaire et l’école secondaire.

En primaire et en maternelle, à ce stade, nous n’avons pas de preuve que le virus se transmet plus au sein de l’école que dans les foyers. D’ailleurs, le taux de contamination pour cette tranche d’âge reste faible. On a l’impression que l’augmentation des infections dans cette catégorie d’âge augmente en parallèle aux contaminations dans la société. En quelque sorte, l’augmentation des infections qu’on observe aujourd’hui déborde sur l’école.

L’augmentation des infections qu’on observe aujourd’hui déborde sur l’école.

Concernant les adolescents, je crains qu’on fasse pire que bien en fermant les écoles pour les raisons que j’ai évoquées, et avec le risque que les transmissions se poursuivent malgré tout.

Rien ne justifie donc la fermeture des écoles primaires et maternelles, selon vous ?

Non. Actuellement, quand on voit les courbes des jeunes enfants, ce n’est pas là que ça explose. Ce ne sont pas eux qui sont à l’origine de la deuxième vague. Et même s’ils s’infectent à un moment donné, ils ne sont pas très malades et n’augmentent donc pas le nombre d’hospitalisations.

Pour le moment, selon moi, il n’y a pas grand-chose qui pourrait justifier la nécessité de fermer les écoles primaires et maternelles.

Par contre, on constate que le virus circule beaucoup chez les adolescents et les jeunes adultes.

Tout à fait. Et c’est là qu’il faut agir, sans pour autant culpabiliser les jeunes, mais plutôt en les responsabilisant et en les rendant acteurs de la situation. Il faut leur expliquer pourquoi on met en place toutes ces mesures.

C’est certain que tout le monde commence à en avoir un peu marre. On aspire tous à retrouver une vie normale. C’est donc de plus en plus difficile de faire respecter les mesures. C’est pourquoi je pense qu’on doit expliquer aux jeunes pourquoi on fait tout ça, que l’objectif est de pouvoir maintenir les écoles ouvertes, dans leur intérêt. Le but est qu’ils se sentent acteurs de cette prise en charge.

Comment peut-on toucher ces jeunes ?

Il faut peut-être passer par les canaux qu’ils utilisent, comme les réseaux sociaux. Il faudrait peut-être aussi désigner des sortes de « coachs » qui pourraient leur réexpliquer l’importance des mesures barrières mises en place, comment le virus se propage. Il faudrait arriver à les motiver encore plus pour qu’ils aient un rôle actif de « superprotecteurs » pour les autres dans cette crise sanitaire.

Vous ne pensez pas que cela a déjà été fait ces derniers mois ?

C’est probable. Mais il y a de la lassitude chez tout le monde et c’est pour ça que c’est important aujourd’hui de renforcer les messages et d’essayer de spécifiquement toucher les jeunes avec des messages positifs.

Il n’est donc pas question de fermer les écoles secondaires non plus ?

Non. Même faire des cours en semi-présentiel, une semaine sur deux, je ne suis pas certaine que cela aura un impact sur la chaine de transmission du virus.

Les semaines où les élèves seront présents, si les mesures de distanciations ne sont pas strictement appliquées, on risque d’avoir des transmissions. Selon moi, ce serait beaucoup plus efficace de renforcer les mesures barrière et de sensibiliser les adolescents et les enfants.

Vu la situation épidémiologique actuelle, les autorités n’auront peut-être pas d’autre choix que de fermer les écoles, peut-être faute d’adulte pour encadrer les élèves.

C’est vrai. On va vers un reconfinement progressif et on ne sait pas de quoi demain sera fait. Mais je pense vraiment qu’on doit être solidaires et essayer de maintenir au maximum les écoles ouvertes. Les enfants et les adolescents doivent être prioritaires dans nos choix de société pendant cette crise sanitaire.

Les enfants et les adolescents doivent être prioritaires dans nos choix de société pendant cette crise sanitaire.

Pour ce faire, il faut probablement renforcer toutes les mesures prises à l’école. Insister à nouveau sur le port du masque, expliquer aux jeunes pourquoi ils doivent le porter et essayer qu’ils respectent les distances le plus souvent possible.

Il faudrait peut-être également suggérer aux enseignants de ne pas manger tous en même temps, mais en décalé, pour éviter les transmissions entre eux.

Qu’en est-il de la transmission entre enfants et entre adolescents ? En sait-on plus aujourd’hui qu’en mars-avril ?

On ne connait pas bien le rôle des enfants asymptomatiques sur la transmission du virus. À ma connaissance, nous n’avons pas beaucoup de données à ce stade, mais des études sont en cours.

Par ailleurs, on sait aujourd’hui que les jeunes enfants (moins de 10 ans) sont moins touchés par le virus pour plusieurs raisons.

Les données montrent qu’ils ont une protection croisée liée aux autres coronavirus hivernaux banaux avec lesquels ils sont régulièrement en contact. Ils sont donc moins sujets à tomber malades du coronavirus. De plus, pour être atteint du coronavirus on a besoin de récepteurs et les enfants en ont moins que les adultes. C’est, entre autres, pour ces raisons qu’ils s’infectent moins que les adultes.

Toutefois quand ils sont malades, ils sécrètent du virus et peuvent quand même le transmettre à d’autres personnes. Mais dans la majorité des cas, les adultes sont plus et plus souvent malades que les jeunes enfants.

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