Zouzou Ben Chikha et Daniël Termont © Saskia Vanderstichele et Belga

Contrôles abusifs de la police: nous avons testé l’expérience (en training et pull à capuche)

Lorsque dimanche dernier, l’acteur flamand Zouzou Ben Chikha a subi un contrôle brutal de la police gantoise, les protestations ont fusé de partout. Cependant, la police et le bourgmestre de Gand ont réagi fermement : il ne s’était rien passé d’irrégulier, et il n’y avait aucun rapport avec la couleur de peau de l’acteur.

Désireux de vérifier cette affirmation, notre confrère de Knack Jeroen Zuallaert a mis un capuchon et s’est comporté de manière suspecte à Ledeberg, le quartier de Gand où Zouzou Ben Chikha a été fouillé. Suite à cette expérience, il a écrit une lettre au bourgmestre de Gand, Daniel Termont.

Cher monsieur Termont,

Je vous écris parce que je suis profondément inquiet de la sécurité de la ville où j’habite et dont vous êtes le bourgmestre. Qui plus est, je dois admettre à contrecoeur que j’ai même un peu peur. Le climat est doux, mais les temps sont durs.

Comme beaucoup de concitoyens, j’étais indigné de ce qu’a vécu l’acteur Zouzou Ben Chikha dimanche dernier. Brutalement et sans aucune explication, on l’a obligé à retirer ses chaussures et ses chaussettes. Quand il s’est avéré que Ben Chikha était innocent, on lui a sommé d’un ton peu aimable de dégager. J’avoue : mon coeur saignait. Je trouvais que la police exagérait et que Ben Chikha méritait des excuses.

Manifestement, je me suis trompé, car d’après la police gantoise Ben Chikha a adopté un comportement suspect. Apparemment, il se promenait avec un capuchon sur la tête et il observait l’intérieur de quelques voitures. Sur le coup, je n’y ai vu rien de suspect – en fin de compte il pleuvait – mais heureusement, les sceptiques ont eu une réponse claire dans le quotidien De Morgen de mardi . « C’est très dommage qu’il ait vécu cela comme une humiliation » avez-vous dit. « Mais cela n’a absolument rien à voir avec l’origine ou la couleur de peau. » La police avait – comme d’habitude – fait son boulot.

J’étais tout à fait rassuré. Apparemment, la police n’avait pas du tout été grossière. Heureusement, il n’était pas question non plus de délit de faciès. Manifestement, tous ceux qui se promènent avec un pull à capuche et qui observent les voitures se comportent de manière suspecte.

Vêtu d’un training noir et d’un pull à capuche, je suis parti me promener à Gand. Je dois dire que j’ai été déçu par la fermeté de la police

Je dois dire que pour moi ce dernier élément est une nouveauté. Mais comme je suis un brave citoyen, j’imagine qu’ils ont leurs raisons. Comme j’aime participer de façon constructive à la politique de sécurité de ma ville, j’ai décidé de vérifier. Vêtu d’un pantalon de training noir et d’un pull à capuche, je suis parti me promener à Gand, en épiant les voitures. Je dois dire que j’ai été déçu par leur fermeté.

J’ai commencé par le Bloemekenswijk, le quartier où j’habite. Capuche sur la tête, j’ai traîné le long de l’avenue Francisco Ferrer et Frans van Ryhove. Sur la place Van Beveren, j’ai même vérifié chaque voiture deux fois, pour être doublement suspect. Personne n’a réagi. Même la voiture de police qui est passée avec une lenteur exaspérante n’a pas eu l’air de me remarquer. Ensuite, j’ai déplacé mon champ d’action vers le Brugse Poort et le Rabot, deux quartiers adjacents. Ici, aussi j’ai essayé de longer les voitures de manière aussi suspecte que possible. Sans aucune conséquence.

Mais bon, l’incident de Zouzou Ben Chikha s’est produit à Ledeberg. Et à Ledeberg (surnommé parfois Ledebronx ou L.A.-deberg), il y a d’autres règles. Et donc j’ai traversé la frontière vers le 9050, où la seule université, c’est l’université de la vie. Et là aussi, j’ai traîné dans les rues, les mains profondément enfoncées dans les poches, tout en observant minutieusement chaque voiture. De la collection de BMW bigarrées et de tas ferraille sur la place de Ledeberg aux voitures de classe moyenne garées autour du Colruyt local : aucun détail ne m’a échappé. Hormis quelques regards maussades de la population locale, dans lesquels j’ai constaté une critique à peine voilée de ma garde-robe, personne ne semblait faire attention à mon comportement pourtant hautement suspect.

I love Marina

Vous devriez voir tout ce que les gens laissent dans leur voiture. Restes de nourriture, grattoirs à glace, GPS, cannettes de sodas, cendriers qui débordent, sapins de Noël miniatures, housses de fauteuils en polaire rose : passe encore. Mais une planche à repasser ? Un caniche en verre ? Un siège arrière bourré de plantes vertes ? Une plaque minéralogique qui porte l’inscription ‘I love Marina’ ? Un panneau de la taille du siège arrière avec une publicité de saucisses Bifi ? Au vu de cet amas d’objets étonnants, j’ai eu l’impression de ne pas être le seul à adopter un comportement suspect.

Peut-être que j’étais trop suspect. Peut-être que vêtu de ma tenue sombre et de mon capuchon je passais trop inaperçu pour la police déjà surchargée. Comme je ne voulais pas compliquer inutilement la tâche des services de l’ordre, j’ai réitéré l’exercice avec un capuchon jaune canari. S’il y a avait eu un sapin de Noël sur la place de Ledeberg, ses illuminations auraient pâli par rapport à l’éclat de ma capuche jaune vif. À nouveau, j’ai traîné les pieds dans le quartier. Mais rien. Les agents de police de passage ne prêtent pas attention à un canari.

Pour être tout à fait sûr, je suis retourné hier soir. Il était onze heures à l’horloge de l’église Saint-Liévin lorsque je me suis mis à flâner dans les rues. Comme il faisait noir, il m’a fallu beaucoup de temps pour observer les voitures. À nouveau rien. Je me demande ce que j’ai fait de mal. Les services de police m’ont-ils observé à distance et conclu que je n’étais pas suspect? Et si oui, pourquoi ?

Entre-temps, j’ai abandonné la lutte. Après avoir observé plus de mille intérieurs de voitures, je ne peux plus voir de décorations de tableau de bord. Je me suis comporté de manière suspecte pendant des heures, et je n’ai même pas subi de réprimande. Pas de fouille, pas de prière de dégager, pas de chaussettes mouillées. Cette expérience m’a convaincu qu’on ne peut se montrer assez sévère avec les voyeurs de voitures. Un grand nombre de mes concitoyens semblent en effet avoir aménagé leur voiture comme une espèce de bastion transparent de leur intimité. Lorgner l’intérieur d’une voiture, c’est lorgner une vie humaine. En ces temps aussi dénués de vie privée, on n’est jamais assez sévère.

Évidemment, je dois admettre que j’ai un physique qui fait douloureusement classe moyenne. Mon capuchon et mon pantalon de training disent « chenapan » mais mon visage dit « carte de clients Delhaize ». Même non rasé, je n’atteins même pas le niveau de menace deux. Je suis le premier à avouer que ma silhouette fluette en training ne laisse pas une impression écrasante. Mais comme vous l’avez indiqué mardi dernier : l’apparence n’importe pas. Ce n’est donc pas ça le problème.

Voici ma conclusion impitoyable: il y a une brèche sérieuse dans votre politique de sécurité. Vous pouvez vous féliciter que le soussigné est un brave citoyen qui se dévoue bénévolement pour faire de sa ville un endroit plus sûr. Les intérieurs de voiture de cette ville sont hors-la-loi ! Dorénavant, je réfléchirai à deux fois avant de laisser mes pantoufles dans la voiture.

Pourriez-vous transmettre mes constatations aux responsables de la sécurité? Nul besoin de main armée, on n’est pas à Anvers, mais il me semble qu’une réprimande ferme soit indiquée. Et un mot de remerciement à monsieur Ben Chikha, si vous avez le temps. Sans ce contrôle inopiné, vous n’aurez probablement jamais eu ce feedback utile.

Veuillez croire, Monsieur, à mes sentiments distingués,

Jeroen Zuallaert

Un Gantois inquiet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire