Florence Hainaut

Confiné.e.s, épisode 2

Florence Hainaut Journaliste

L’un dans dans l’autre, ça fait presqu’une semaine, là. Finalement vous n’avez pas vraiment pris le temps de réfléchir au sens de la vie. Vous recevez une notification sur votre smartphone : votre temps d’écran a augmenté de 227%. C’est marrant, dans votre plan d’attaque pour le confinement, vous vous voyiez plutôt faire de la méditation et des cannelés bordelais.

Vous vous étiez aussi promis de jardiner. En vérité, vous n’avez jamais été capable de faire la différence entre de l’herbe à chat et un rhododendron. Aucune raison que le virus vous y aide. Vous concentrez tous vos efforts sur votre pot de basilic : et si vous arriviez à ne pas le tuer en quatre jours ? Quelle belle revanche sur la vie ça serait. Au pire, vous irez en racheter, ça vous fera une occupation.

Vous communiquez beaucoup via whatsapp. Tous les jours vous rappelez à vos parents de ne pas sortir parce qu’ils sont à risque. Ils ont compris, ça va, ils sont a priori bien placés pour savoir qu’ils ont plus de septante ans. A force, vous commencerez à les saouler. Mais à ce stade, ils trouvent encore ça mignon. Ils vous bloqueront bientôt pour avoir la paix, après que vous leur avez envoyé trois jours d’affilées les chiffres des septuagénaires morts des suites du virus. Mais ça, vous ne le savez pas encore.

Sur Facebook et Instagram, les gens font plein de vidéos pour montrer qu’il ne font rien. Ca n’a aucun sens. Vous les regardez quand même.

Vous regardez aussi beaucoup la télé. Les chaines s’autocongratulent sur leurs audiences. Vous vous dites que c’est un peu comme si le service blanchisserie d’une prison remerciait les détenus pour la confiance qu’ils placent dans le service.

Vous partagez abondamment sur les réseaux sociaux toutes ces chouettes initiatives, culturelles, comme ces maisons d’éditions pointues qui mettent une partie de leur catalogue en ligne, gratuitement. Vous téléchargez « L’anthropocène contre l’histoire » (Ed. La Fabrique), un livre sur le réchauffement climatique à l’ère du capital. Ca vous tend. Vous lisez plutôt « Le thon c’est bon » (ed Marabout).

Partout dans le monde, des institutions musicales majeures mettent en ligne des opéras. La belle idée que voilà ! Vous vous êtes toujours juré.e d’y aller plus souvent. Finalement, vous regardez « Mariés au premier regard  » en mangeant des rillettes de thon. Vous en faites une vidéo que vous postez sur Facebook.

Le soir, vous vous retournez dans votre lit en vous posant cette philosophique question : quel est le sens d’aller faire des reportages sur des familles confinées qui ne voient plus personne si on y introduit une équipe de télévision qui passe ses journées à rencontrer des gens potentiellement infectés ? Vous dormez mal.

Heureusement, vous avez arrêté de mettre votre réveil à 6h45 pour envoyer des mails professionnels depuis que vous avez découvert la fonction « programmer un envoi  » sur Gmail. De toute façon plus personne ne répond à vos mails. Vous commencez à vous demander si votre travail a vraiment un sens. Vous arrêtez de répondre aux mails de vos collègues. Personne ne semble le remarquer. Vous googlez « changement de carrière« .

Et si vous écriviez ce roman que vous avez toujours rêvé d’écrire ? C’est l’occasion ou jamais ! Dans trois mois, les maisons d’éditions seront submergées de manuscrits tous plus chiants les uns que les autres. Vous n’aurez jamais de réponse. Vous l’auto éditerez. Vos parents vous en achèteront un exemplaire. Vous ne saurez jamais ce qu’ils en ont pensé.

Vous apprenez à connaître vos voisin.e.s. Vous ne savez toujours pas à quoi ressemble la plupart de ces gens mais vous savez que la petite voisine de gauche fait du violon. Probablement avec des gants de boxe. Dans la cour intérieure, juste derrière chez vous, quelqu’un passe à fond et en boucle « Qui a du caca kaki collé au cucul« . Vous googlez « isolation acoustique« .

Bono fait une chanson sur le virus. C’est rarement bon signe, ça.

Ca fait une semaine complète. Jusqu’ici, ça va encore.

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