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Case prison, quel intérêt pour les courtes peines? «Elles n’ont pas d’effet dissuasif»

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Depuis le 1er septembre, l’emprisonnement est obligatoire pour les condamnés à des peines de deux à trois ans. Marc Nève, avocat spécialisé en droit de l’exécution des peines et président du Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP), redoute le surcroît de pression que vont subir les établissements pénitentiaires déjà surpeuplés et qui vont être confrontés à l’accueil de détenus supplémentaires.

Imposer le passage en prison aux condamnés à des peines de deux ou trois ans, n’est-ce que justice?

Il est en tout cas judicieux que l’ exécution des courtes peines privatives de liberté ne soit plus réglée par des dispositions administratives, par voie de circulaire ministérielle, mais relève enfin entièrement du pouvoir judiciaire. La personne condamnée purgera effectivement sa peine de prison de trois ans ou moins, dans l’attente d’une éventuelle modalité d’exécution de la peine sur laquelle statuera le juge de l’application des peines (NDLR: surveillance électronique, libération conditionnelle, détention limitée). On ne peut que se réjouir de ce changement de paradigme, de cette légalisation de l’exécution des peines.

Tout se passe encore comme si une punition n’était valable que si elle mène en prison.

Le message à faire passer est-il d’en finir avec un sentiment d’impunité?

Politiquement, il est toujours facile d’affirmer qu’on sera ferme, qu’on ne laissera rien passer. Mais le postulat de départ selon lequel les peines d’emprisonnement inférieures à trois ans ne sont pas exécutées est inexact et doit être nuancé. Aujourd’hui, près de six cents personnes dont le cumul de plusieurs courtes peines dépasse les trois ans d’emprisonnement sont effectivement détenues. La tendance est à alourdir les peines plutôt qu’à les diminuer ou à utiliser plus souvent et rapidement la détention préventive pour priver de liberté le futur condamné pendant un certain temps. N’oublions pas non plus que la surveillance électronique est aussi une peine réelle, concrète. Le courage politique, ce serait plutôt de s’interroger sur le rapport coût-bénéfice pour la société d’une exécution des courtes peines de prison.

Pour accueillir des prisonniers, encore faut-il commencer par avoir des places en prison…

Ce qui pose effectivement problème, c’est que cette mesure s’applique dans le contexte extrêmement difficile d’une surpopulation carcérale très inquiétante depuis trente ans et qui ne fait qu’empirer, avec un personnel pénitentiaire en sous-effectif et des infrastructures qui font totalement défaut dans nombre d’établissements anciens. Les directeurs de prison ont raison d’alerter sur la situation intenable qui risque de se profiler. On estime que l’exécution des courtes peines nécessitera progressivement quelque sept cents places supplémentaires, ce qui ne fera qu’augmenter la pression sur les prisons et exacerber les problèmes auxquels est confronté le système pénitentiaire belge.

Marc Nève, avocat spécialisé en droit de l’exécution des peines et président du CCSP.
Marc Nève, avocat spécialisé en droit de l’exécution des peines et président du CCSP. © belga image

Les dispositions d’une loi datant de 2006 sont mises en œuvre au bout de onze reports, sans la moindre garantie qu’elles seront applicables aujourd’hui plus qu’avant. N’est-ce pas l’aveu flagrant que l’on fait fausse route depuis longtemps?

L’ entrée en vigueur intervenue le 1er septembre n’est qu’une conséquence logique de l’adoption, voici une quinzaine d’années déjà, de la loi relative au statut juridique externe. Un tel nombre de reports aurait dû pousser le législateur à s’interroger sur le bien-fondé de la loi. Mais on ne s’est pas donné les moyens de procéder à une telle mise à plat. On opère de manière fragmentée, on agit de façon désordonnée. La détention à petite échelle, dans de petits établissements, qui offrirait une meilleure prise en charge des détenus et augmenterait les chances d’une réinsertion réussie, serait un pas dans la bonne direction. Le ministre de la Justice voit dans les maisons de détention (NDLR: quinze ouvertures prévues d’ici à la fin de la législature, trois effectives), la solution pour maîtriser la population carcérale croissante mais, là encore, les projets d’implantation sont mal vendus alors qu’ils se heurtent à la résistance des résidents et des administrations communales. La communication reste vague et la justice ne s’implique pas dans les initiatives pour sensibiliser la communauté locale.

Les juges ont-ils leur part de responsabilité dans cette situation problématique?

Ils ne connaissent que trop peu l’exécution des peines, ils s’en font trop souvent une fausse idée. Selon le code d’instruction criminelle en vigueur depuis un siècle, un juge d’instruction est tenu de se rendre en prison une fois par mois, pour en prendre, en quelque sorte, le pouls. Rares sont ceux qui le font. Il y a chez les juges d’instruction, les magistrats du parquet, les juges qui prononcent les peines, un manque de sensibilisation. Une discussion est en cours pour que soit dispensée à l’intention des magistrats une formation sur l’univers carcéral au sein de l’Institut de formation judiciaire.

La voie de l’emprisonnement pour de courtes peines garde visiblement la cote. Pour le meilleur ou pour le pire?

Tout se passe encore comme si une sanction qui n’est pas ferme ne serait pas sérieuse, comme si une punition n’était valable que si elle mène en prison. Le Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP) a rappellé que, selon la recherche scientifique, les courtes peines privatives de liberté n’ont pas d’effet dissuasif mais peuvent, par contre, contribuer aux effets préjudiciables de la détention comme la perte d’un emploi ou d’un logement, la dilution des relations sociales ou l’accumulation de dettes, sans parler de la stigmatisation associée à une incarcération dans un établissement pénitentiaire. Les courtes peines d’emprisonnement ne contribuent donc pas à un retour réussi du détenu dans la société. En revanche, les peines alternatives, telles que les travaux d’intérêt général ou la surveillance électronique, limitent davantage les chances de récidive.

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