Gaetan Van Goidsenhoven

Bruxelles et les risques d’une densification non-maîtrisée

Gaetan Van Goidsenhoven Chef de groupe MR au Sénat

S’inscrivant dans la continuité du précédent Gouvernement régional bruxellois, le nouveau Secrétaire d’État à l’Urbanisme Pascal Smet a affirmé son ambition d’ériger de nouvelles tours à Bruxelles. La question de la densité constituera donc plus que jamais un élément central de la politique du nouvel exécutif régional… au point qu’aucun grand projet d’aménagement ne risque d’y échapper.

La réforme actuelle du Règlement Régional d’Urbanisme (RRU) le confirme : l’objectif de densification est au coeur du projet porté par Pascal Smet et le Ministre-Président Rudi Vervoort. Cet objectif passe par une révision des prescrits relatifs aux gabarits du bâti neuf ou en rénovation. On construira donc plus et plus haut dans les grands projets urbains portés par la Région.

Alors que le précédent Gouvernement semblait plus frileux pour assumer sa volonté de construire systématiquement en hauteur, les dernières déclarations indiquent que le tabou sur les tours est levé. Les Bruxellois doivent s’attendre à voir le paysage se transformer et se verticaliser.

Il est dit que la densification sera maîtrisée, que la révision du RRU anticipe l’évolution démographique, les nouvelles pratiques urbanistiques et les nouveaux modes de vie en ville. Encore faut-il que cette augmentation de la population dans de nombreux quartiers soit encadrée et que le développement d’autres politiques comme la mobilité, la sécurité ou la propreté évolue en parallèle.

Ces transformations devront être accompagnées de l’élaboration d’espaces publics agréables incluant des équipements de proximité (écoles, crèches, locaux sportifs, culturels…) et d’espaces verts et aérés offrant une plus-value pour la qualité de vie. L’urbanisation galopante devra, quant à elle, s’inscrire dans un projet global, comprenant des infrastructures de transports en commun performantes et adaptées.

Or, on ne peut que constater le manque de vision intégrée de ces différentes composantes dans le développement des nouveaux quartiers stratégiques tels que Reyers, Josaphat, Heysel, Casernes d’Ixelles, Gare de l’Ouest… Les interactions additionnelles qu’ils susciteront dans le futur n’ont pas suffisamment été anticipées.

Un exemple parlant de l’actuelle inadéquation de l’offre de transports en commun dans le cadre de l’élaboration de ces nouveaux quartiers ? Le projet Mediapark à Reyers prévoit quelque 6.000 habitants de plus sans qu’une solution pour desservir la zone en transports en commun n’ait été trouvée.

Dans les villes qui ont réussi leur transformation urbaine ces dernières années (Strasbourg, Bordeaux, Grenoble…), les opérations de densification se sont structurées autour de nouvelles lignes de transports en commun performantes, avec des résultats probants. Mais, à Bruxelles, on programme d’abord la construction de quartiers sans intégrer correctement d’emblée la question de la mobilité !

Vu la lenteur des prises de décisions en matière de mobilité, le risque est de voir la maîtrise de la densité déraper. Ce qui impacterait gravement la qualité de vie des Bruxellois.

Se pose aussi la question du financement, dans une Région qui se paupérise dangereusement. L’avènement de quartiers urbains inaboutis et défaillants accélérera la disparition d’une classe moyenne qui a déjà déserté de nombreuses parties de la Région. Or, il est illusoire d’envisager le financement des aménagements urbains compensatoires nécessaires sans une classe moyenne contributive suffisamment représentée.

On peut douter que le renforcement de la densité se fasse équitablement et principalement dans les quartiers où il est le plus nécessaire. Il suffit de songer au même voeu pieux d’une répartition équitable du logement social dans un objectif de mixité sociale. Dans la réalité, le logement social s’est d’abord créé là où l’autorité disposait du foncier et où il était le moins cher. Actuellement, les sociétés de logement public accumulent encore leurs logements sur les mêmes communes, dans les mêmes périmètres. Effet d’aubaine et réalisme comptable mettent à mal les grands discours sur les objectifs de « mixité ».

Que dire, enfin, de la nécessité de convaincre la population du bien-fondé de ce renforcement de la hauteur des bâtiments ? Quel modèle de concertation sera mis en oeuvre pour éviter des tensions croissantes avec celles et ceux qui s’interrogent sur les choix parfois radicaux opérés dans leur environnement ? Comment blâmer l’émotion du citoyen qui voit s’élever à l’arrière de son jardin un immeuble d’une hauteur que rien ni personne ne permettait d’envisager ?

Le Gouvernement annonce que les tours à venir devront être « bien intégrées« , qu’elles présenteront une architecture de « qualité« . Sauf qu’on ne pourra pas refuser un permis pour «  médiocrité architecturale« . L’expérience des premières grandes tours apparues dans le paysage bruxellois n’est pas de nature à nous rassurer…

Il est indispensable de justifier cette augmentation de densité, de légitimer une verticalité à laquelle les Bruxellois ne sont pas habitués et de proposer des compensations à ce bouleversement du cadre de vie. Mais pour le moment, en dehors de propos généraux, la Région n’entend pas objectiver cette hausse de densité, pas plus qu’elle ne démontre l’intérêt réel d’autoriser la construction de bâtiments de grandes hauteurs à certains endroits.

Les Bruxellois doivent donc s’attendre au grand retour de tours iconiques dans le paysage : sur « Mediapark » à Reyers, sur la friche Josaphat, à la Porte de Ninove, sur la nouvelle Cité administrative à la colonne du Congrès, à Delta, etc. La gestion peu convaincante du dialogue avec les riverains à l’occasion de la planification de certains pôles stratégiques ne convainc pas de la volonté du Gouvernement bruxellois de promouvoir un modèle de ville concerté. De quoi susciter des craintes et résistances chez une part croissante de la population, qui voit dans les ambitions urbanistiques de la Région un rouleau compresseur que nul ne peut entraver.

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