Jan Buelens

Bientôt des licenciements à la chaîne?

Jan Buelens Professeur en droit du travail collectif et avocat pour Progress Lawyers Network

Ce n’est pas parce que le travail à la chaîne ne ressemble plus tout à fait aux  » Temps modernes  » de Charlie Chaplin que les travailleurs ne le vivent pas comme épuisant.

On parle de seize travailleurs : quinze chez Volvo et un travailleur d’une société externe. La plupart ont de longues années d’expérience et un état de service irréprochable.

Licenciés cyniquement, après avoir arrêté le travail avec 200 de leurs collègues pour dénoncer une pression de travail trop élevée et une chaîne de montage trop rapide (De Standaard 07/02/2018). Oui, un cordon est prévu pour arrêter la chaîne, mais, dès qu’un travailleur le tire, la chaîne est immédiatement remise en marche à la même vitesse. Eh oui, la pression de travail fait l’objet de discussions dans des groupes de travail, mais à un certain moment cela dépasse les bornes.

Je prends la défense de travailleurs qui me disent, à juste titre, que si on n’a jamais fait de travail à la chaîne il est très difficile de s’imaginer ce que c’est en réalité : le stress constant d’un travail hyper concentré huit heures de suite, devoir effectuer un certain nombre d’actions dans la minute et plus de 300 fois par jour et pour lesquelles on n’a pas toujours le temps suffisant. Beaucoup de travailleurs à la chaîne tiennent le coup grâce à une combinaison de fitness et de médicaments. Une pression de travail élevée les touche directement.

Il faut lire la motivation de ce licenciement : « n’ont plus leur place dans l’organisation ». Argumentation sévère pour des personnes travaillant depuis plus de huit ans dans la société, sans absence pour maladie dans l’année, faisant des heures supplémentaires samedi et dimanche, livrant un travail de qualité supérieure et proposée pour une promotion interne. Quel genre d’organisation est-ce où l’on ne peut plus protester contre une pression de travail trop élevée ?

Faisons un retour cinquante ans en arrière.

En 1967, la Cour de cassation développait un raisonnement limpide : en faisant grève, l’employé ne poursuit pas la fin, mais seulement une suspension temporaire de son contrat de travail. Cette jurisprudence n’a vu le jour qu’après d’intenses actions sociales. Après une grève de six semaines dans le secteur pétrolier à Anvers, la Cour de cassation confirmait sa position une fois de plus en 1981.

Depuis un certain temps déjà, des signaux clairs de la part d’organisations des employeurs et du gouvernement annoncent des attaques contre cette jurisprudence et donc le droit de grève tel que constitué en Belgique. Des grèves sont présentées comme étant dépassées. Comme si aujourd’hui tout pouvait se faire par distribution de flyers avec émoticônes. Cette prise de position idéologique prend une traduction juridique. Récemment, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale le droit de grève a été restreint, notamment pour le personnel de la SNCB. L’objectif était clair : ouvrir la porte à de futures restrictions du droit de grève, dans le secteur privé également.

Volvo envoie un message sans ambiguïté à tous ses employés : réfléchissez bien avant d’entamer à nouveau une grève. Pas de vengeance, mais de l’intimidation : c’est pour l’entreprise une façon de créer un climat d’anxiété.

Renoncer à ses droits ou les défendre

Combien d’employés oseront encore un arrêt de travail sachant qu’ils peuvent perdre leur boulot ? De cette façon, les employés sont forcés de renoncer au seul droit fondamental dont ils disposent envers le pouvoir économique de l’employeur. Ce dernier possède ainsi un blanc-seing pour faire monter, selon son bon vouloir, la pression du travail sans possibilité de protestation.

Il est significatif que le Ministre de l’Emploi, Kris Peeters (CD&V) ne se soit pas encore prononcé sur ces licenciements. Et Maggy de Block (Open VLD, Santé publique) veut surtout contrôler les médecins qui prescrivent trop de médicaments, bien que ces derniers soient nécessaires pour tenir face à la pression du travail.

Il est flagrant que les agissements de Volvo vont à l’encontre du droit de grève. Si faire grève signifie la fin d’un contrat de travail, on ne peut plus parler de droit de grève. La sanction des violations du droit de grève est peu dissuasive en Belgique. Le Tribunal de Travail peut accorder un dédommagement limité aux employés concernés, pour Volvo ce sont des cacahuètes. Une telle violation d’un droit fondamental devrait être pénalisée par la réintégration immédiate des travailleurs concernés et d’autres sanctions pénales effectives, financières ou autres. La France et l’Italie l’appliquent et le droit international l’impose ainsi.

Ceux qui veulent défendre le droit de grève doivent protester avec acharnement contre les seize licenciements chez Volvo.

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