Luckas Vander Taelen

« Aujourd’hui, quand on part en city trip, on reçoit la guerre en prime »

Luckas Vander Taelen Journaliste, historien et ancien politique (Groen)

Luckas Vander Taelen ne supporte plus notre réserve face au terrorisme islamique. « Nous ne voulons pas passer pour supérieurs, pas même contre des barbares. »

Quand j’ai entendu qu’il y avait eu des attentats en Espagne, j’ai immédiatement pensé à ma fille qui part à Malaga dans quelques jours.

« Inch Allah », a dit ma femme d’un ton résigné, « ou préférerais-tu qu’elle aille à Ispahan ? »

C’est une plaisanterie familiale, qui signifie que l’on ne peut échapper à son sort. Le personnage principal du poème « De tuinman en de dood » (Le jardinier et la mort) fuit à Ispahan en Iran pour échapper à la mort, alors que c’est justement là qu’elle l’attend.

Les fondamentalistes nous font adopter une philosophie de vie sinistre. L’insouciance n’existe plus. Ils peuvent frapper partout, avec des bonbonnes de gaz, un couteau affûté ou simplement une voiture qui ne freine pas.

Autrefois, on regardait la guerre de loin, maintenant, quand on voit les images du sang sur la Ramblas, on se dit que cela peut être la corollaire d’un city trip.

Tous les jours, on commet bien un attentat quelque part. Aucun pays ou continent n’est épargné. Et la foule politiquement correcte ajoute sur un ton moralisateur que c’est la punition méritée de nos crimes coloniaux. Ou de l’invasion américaine en Irak. Ou de la politique israélienne. Pour, au fond, ce que nous sommes.

Plus gros blocs de béton

Ce genre d’analyses, dictées par ceux qui pensent détenir la vérité, ne nous mène pas très loin. Le mobile de terroristes qui prennent une voiture pour faucher d’innocents touristes n’a rien à voir avec l’indignation, quelle qu’elle soit. Même si tous les foyers de l’injustice dans le monde étaient éteints, les recrues autoproclamées de l’EI poursuivraient leurs courses mortelles. Des croisés fanatiques qui veulent purifier le monde des incroyants.

Aussi devient-il un peu trop répétitif de proclamer la gorge serrée qu’ils ne changeront pas notre mode de vie, une bougie à la main contre les bombes et les grenades. Et des oursons en peluche pour nos enfants morts.

Il semble que nous ne pensons qu’à la prévention: plus de patrouilles militaires sur nos places et de plus gros blocs de béton dans nos rues commerçantes. La défense est la pire attaque.

Nous sommes aussi gâtés que naïfs. Nous sommes des moutons de Panurge paralysés qui ne savent pas comment gérer des fanatiques prêts à sacrifier leur vie pour leur foi et conviction. Les salafistes ressemblent à des religieux nazis, mais quand quelqu’un affirme que c’est la guerre, nous prenons peur et nous nous enfuyons. Churchill n’arrête pas de se retourner dans sa tombe. Combien de « sang, de sueur et de larmes » pouvons-nous encore supporter ?

Le mot en i

Arrêtons de nous retenir. Et disons haut et fort ce que même Obama n’arrivait pas à faire passer par ses lèvres politiquement correctes : que toute cette calamité vient d’une religion qui s’est emballée. Pourquoi nous raidissons-nous pour ne pas brusquer les sensibilités religieuses ? La laïcité, l’athéisme et les Lumières se sont peu à peu transformés en insultes. Nous préférons nous qualifier d’agnostiques que d’oser dire que Dieu n’est qu’une invention humaine. Les journalistes taisent délibérément l’adjectif islamique auprès du substantif terroriste; un faiseur d’opinions affirme que les terroristes ne sont que des suicidaires dépressifs. Ou des amateurs, des psychopathes, des loups solitaires… n’importe quoi. Tout pour ne pas devoir utiliser le mot en i. Je me demande ce que vont inventer tous ces penseurs importants à présent qu’il s’avère que les attentats d’Espagne ont été commis par une bande bien organisée de fondamentalistes islamistes.

Nous ne voulons pas passer pour supérieurs, même face aux barbares. Une culpabilité imprécise nous pousse à nous châtier nous-mêmes. Les assassins islamiques des Ramblas nous méprisent pour tant de faiblesse stupide et aveugle. Notre ambiguïté leur laisse le champ libre de récupérer encore plus d’esprits juvéniles confus.

« As-tu une meilleure idée? » me demande ma femme. Ai-je vraiment envie de voir partir ma fille dans un pays où il y a eu deux attentats en une journée ? « Peut-être qu’en ce moment la situation à Ispahan est plus sûre… », dis-je.

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