Ménopausées, une pièce pour libérer la parole autour d'un sujet encore tabou. © VERONIQUE VERCHEVAL

Au Théâtre de Poche, un spectacle nourri par une récolte de témoignages se penche sur la question de la vie après la ménopause

Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Aujourd’hui, un tiers de la vie de la femme occidentale se déroule après la ménopause. Mais le sujet a tendance à être évacué dans une société où il n’est pas bon de vieillir, certainement pas en tant que femme.

En 2016, en France, la commission baptisée  » Tunnel de la comédienne de 50 ans « , émanation de l’association Aafa (Actrices et acteurs de France associés), a commencé à faire parler d’elle dans les médias. A sa tête, la comédienne Marina Tomé dénonçait la sous-représentation voire l’invisibilité des femmes de plus de 50 ans dans les films, à la télévision et au théâtre. C’est la découverte de l’existence de cette commission qui a donné l’idée à Caroline Safarian, elle-même comédienne mais surtout auteure et metteuse en scène ( Papiers d’Arménie, Last Minute in Erevan), d’écrire un spectacle sur les femmes de cet âge et les tabous qui leur sont liés. Ménopausées (1) repose sur le dépouillement de textes scientifiques et sur une série de témoignages, une cinquantaine, récoltés par l’auteure et par la comédienne Dominique Pattuelli.

De ces paroles diverses – une majorité de femmes mais aussi des hommes, de cultures et de provenances diverses – est ressortie une première conclusion : la ménopause, on n’en parle guère, voire pas du tout.  » Beaucoup de femmes nous ont dit qu’elles n’osaient pas en parler, pas même à leurs copines et qu’elles ont vécu ça seules dans leur coin, en ne sachant pas dans un premier temps quelle était la cause de leurs troubles du sommeil, de leurs crises d’angoisse, de leurs bouffées de chaleur, etc. « , explique Caroline Safarian. On n’en parle pas, un peu comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse.  » Dans le processus d’écriture, nous sommes parties d’une question : la première fois qu’une jeune fille est réglée, on lui dit « maintenant, tu es une femme ! » Alors, quand on n’a plus de règles, qu’est-ce qu’on devient ?  »

Totems et tabous

Se produisant généralement vers la fin de la quarantaine, l' » interruption physiologique des cycles menstruels, due à la cessation de la sécrétion hormonale des ovaires (oestrogènes et progestérone) « , selon la définition du Larousse, est l’un des corollaires pour la femme d’une réalité que l’on préfère évacuer dans nos sociétés occidentales : le vieillissement. Alors, comme l’explique Anastasia Blanché dans son article Ruptures – passages : approches psychanalytiques du vieillissement (2),  » de profondes angoisses d’abandon émergent, placées sous le signe du  » lâchage  » corporel, social et identitaire. Le corps qui lâche rompt le serment de l’éternelle jeunesse que la génération de Mai 68 avait passé avec son époque. [… ] La femme de 30 ans intéresse publicitaires, télévisions et cinémas. La « ménagère de plus de 50 ans » manque d’intérêt et de représentations. Les modèles identificatoires promouvant la maturité vieillissante comme attractive sont quasi inexistants. Pour la presse féminine, la femme de plus de 50 ans est l’incarnation vivante d’une vérité du vieillissement qu’il vaut mieux dénier et tenir à distance.  »

Plus troublant encore, l’anthropologue québécoise Margaret Lock a mis en évidence (3) la manière dont, en Occident et particulièrement en Amérique du Nord, la littérature médicale avait tendance à placer le corps de la femme ménopausée dans une  » anormalité « . Et en premier lieu par le fait qu’à cause de l’allongement de l’espérance de vie, la femme ménopausée sera une sorte d' » artefact « , une exception récente aux lois du règne animal.  » Il s’agit là d’une image véritablement insidieuse et sinistre qui s’appuie sur une hypothèse pernicieuse et erronée, martèle Margaret Lock : jusqu’au tournant du (xxe) siècle, les femmes mouraient avant la ménopause. L’idée que la postménopause est contre la nature se greffe à cette image qui est renforcée par une description médicale d’organes reproducteurs « sénéscents » et privés d’oestrogènes (l’essence de la « féminité »). Une théorie à peine déguisée semble sous-tendre à tous ces raisonnements : la vie féminine n’a d’autre raison d’être que la reproduction de l’espèce. […] Dans la littérature médicale récente sur la sénéscence du corps, qui insiste sur les conséquences négatives que peut entraîner à long terme la ménopause, il apparaît clairement que la femme ne représente pas seulement « l’autre » face à un groupe indifférencié de mâles blancs, mais qu’elle est doublement marquée en tant qu' »autre » face à des femmes « normales » plus jeunes et en âge de se reproduire.  »

La ménopause est considérée comme une pathologie, et donc à soigner avec un traitement hormonal substitutif – un marché dans lequel l’industrie pharmaceutique s’est avidement engouffrée. Alors que, comme le souligne le National Women’s Health Network de Washington (D.C.), il existe  » des formes de prévention moins coûteuses, plus sûres et  » plus naturelles  » contre les maladies du coeur, l’ostéoporose et le cancer, telles des modifications de l’alimentation, l’habitude de ne pas fumer et de ne pas boire avec excès, la prévention des chutes, etc.  »

Continuité

Apportant sur scène les témoignages récoltés par la voix de trois créatures étranges et anonymes (Marie-Paule Kumps, Serge Demoulin et Dominique Pattuelli , masqués par Laurence Hermant), Ménopausées veut avant tout libérer la parole autour de ce sujet, à la manière dont Les Monologues du vagin d’Eve Ensler ont rendu prononçable un mot qui ne l’était pas jusque-là.  » Notre envie, c’est que les gens en parlent, avance Dominique Pattuelli. Ce ne sont que des cas individuels, il y a autant de ménopauses que de femmes. On ne s’érige ni en justicières, ni en savantes, ni en biologistes ou en médecins. On essaie de ne pas juger, mais juste de poser des questions.  »

En tout cas, après leurs recherches, leurs deux auteures envisagent leur future ménopause différemment.  » Le souhait que j’ai à présent, déclare Caroline Safarian, c’est de vivre ce moment non pas comme l’arrêt de quelque chose, mais comme une continuité. Plutôt que de faire semblant que ça n’existe pas, célébrons ! « 

(1) Ménopausées : du 8 janvier au 2 février au Théâtre de Poche à Bruxelles (la représentation du 17 janvier sera suivie d’un débat avec le docteur Serge Rozenberg, gynécologue), le 8 février au centre culturel de Huy, le 16 février au centre culturel de Gembloux, le 1er mars à Wolubilis à Woluwe-Saint-Lambert, du 7 au 9 mars à La Vénerie, à Watermael-Boitsfort.

(2) Dans la revue Gérontologie et société de la Fondation nationale de gérontologie, juin 2007.

(3) Dans Culture politique et vécu du vieillissement des femmes au Japon et en Amérique, Presses de l’université de Montréal, 1996.

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