Carte blanche

« Après les balles et la famine, le négationnisme climatique donnera-t-il le coup de grâce à l’ours blanc? »

Eric Domb, président-fondateur de Pairi Daiza et ambassadeur du WWF, réagit à la carte blanche de Catherine Khalil. En remettant notamment en question sa qualité d' »experte » en conservation de la faune sauvage auprès du parti vegan DierAnimal.

Madame Khalil,

Vous vous êtes adressée par deux fois aux lecteurs du Vif/L’Express pour vous élever contre l’accueil par Pairi Daiza de jeunes ours blancs.

En vous faisant expressément passer pour « experte en faune sauvage », vous avez pris tous les risques. Le lecteur jugera si en fin de compte vous avez gagné ou perdu à la roulette russe. Rappelons pour commencer que les jeunes ours que nous allons accueillir au cours de cette année n’ont pas été capturés dans la Nature, qu’ils sont nés dans d’autres jardins zoologiques ou ont été recueillis orphelins dans le cadre d’un programme de sauvetage. Sauf à les euthanasier, ce que vous et moi ne pouvons admettre, il n’est donc d’autre solution que de les confier à un autre jardin zoologique ou parc animalier, tel que Pairi Daiza. En effet, l’ours blanc est un animal solitaire qui, une fois sevré, ne peut vivre en groupe et donc demeurer dans le centre où il est né. Elu meilleur jardin zoologique d’Europe en 2018, Pairi Daiza construit actuellement un espace d’accueil qui constituera probablement l’une des références mondiales en termes de bien-être pour des ours blancs nés parmi les hommes ou sauvés orphelins d’une mort certaine.

Venons-en maintenant à votre « article ».

Observons tout d’abord que vous vous présentez au lecteur comme « experte en faune sauvage et conservation de la faune sauvage ». Étonnamment, aucun moteur de recherche ne mentionne la moindre de vos publications. Sur le réseau social Linkedin, vous nous apprenez que vous avez exercé le métier de mannequin pendant 26 ans, outre divers boulots et bénévolats de courte durée, notamment chez un dresseur de fauves sud-africain. Sur le plan académique, vous suivez depuis 2017 un master en sciences à l’université Napier d’Edimbourg.

En revanche, pas la moindre trace dans vos états de service d’un quelconque travail de recherche, digne de ce nom, dans le domaine de la conservation de la faune sauvage en général et arctique en particulier. Dès lors, vous prétendre experte en ce domaine relève de la mythomanie. Un travers anodin si vous vous contentiez de vous exprimer dans la sphère privée. Mais une imposture lorsque, comme dans le cas présent, vous usurpez le titre d’expert pour donner plus crédit aux attaques que vous lancez publiquement contre notre parc, notamment dans ce magazine.

Les lectrices et lecteurs du Vif/L’Express seront par ailleurs certainement intéressés d’apprendre que pour rédiger « l’article » que vous leur avez donné à lire, vous plagiez sans vergogne des chercheurs qui, eux, sont effectivement titulaires de ces diplômes qui manquent encore et toujours sur vos murs. Ainsi vous vous attribuez les propos suivants : « Il y a donc clairement deux façons de présenter les choses. La première consiste à présenter les données et l’analyse d’une manière si convaincante que tout le monde en est convaincu. L’autre façon est d’exclure quiconque qui n’est pas d’accord. La science s’est subordonnée aux gouvernements, aux ONG, aux revues et aux scientifiques qui croient que la fin justifie les moyens. »(Catherine Khalil, levif.be, mars 2019)

Ce texte est au mot près, mais en français, celui qu’un scientifique canadien, le Dr. Mitchell Taylor écrivait en 2018 : « There are two ways to get a scientific consensus. One is to present the data and the analysis in a manner that is so persuasive that everyone is convinced. The other way is to exclude or marginalize anyone who does not agree. This occurs so commonly now that it has become an accepted practice. The practice of science has become secondary to governments, NGOs, journals, and scientists who feel that the ends justify the means.  » (Mitchell Taylor, https://polarbearscience.com/2018/04/15/

polar-bear-specialist-mitch-taylor-on-accountability-in-polar-bear-science/amp/, avril 2018)

Vous ne pouvez ignorer que le tout premier devoir pour qui cherche une reconnaissance scientifique est de ne pas voler le travail de ceux dont on veut suivre la voie. L’une des devises de l’université où vous suivez des cours n’est-elle pas justement : « Be wise, don’t plagiarise » ?

Les ours polaires ne seraient pas en danger ?Votre muse au ban de la communauté scientifique

En vous appuyant sur les déclarations du Dr Mitchell Taylor, vous prétendez que les populations d’ours polaires ne sont pas en déclin. Il ne servirait donc à rien de les accueillir et encore moins, de les reproduire à Pairi Daiza. Avec des amis qui tiennent ce genre de discours, les ours n’ont plus besoin d’ennemis, Madame Khalil. Les lecteurs du Vif/L’Express doivent savoir que votre muse a été mise au ban de la communauté scientifique il y a plus de dix ans déjà. Biologiste universitaire à qui le monde reconnaissait jusqu’alors une connaissance des ours polaires, le Dr Mitchell Taylor s’est vu fermer les portes de l’Union internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et de son Polar Bears Specialist Group (PBSG) pour des propos et attitudes ouvertement… climato-sceptiques.

Monsieur Taylor a ainsi été exclu de ces instances internationales pour avoir notamment signé, en mars 2008, la « Déclaration de Manhattan » par laquelle les négationnistes de l’influence de l’activité humaine sur le changement climatique demandent aux gouvernements du monde entier de cesser de vouloir réguler les émissions de CO2.

En signant cette Déclaration, le Dr Taylor affirme entre autres propos que :

• « There is no convincing evidence that CO2 emissions from modern industrial activity has in the past,

is now, or will in the future cause catastrophic climate change. « 

• « That attempts by governments to inflict taxes and costly regulations on industry and individual citizens with the aim of reducing emissions of CO2 will pointlessly curtail the prosperity of the West and progress of developing nations without affecting climate. « 

• « Human-caused climate change is not a global crisis. « 

Et de demander dans la foulée :

• « That all taxes, regulations, and other interventions intended to reduce emissions of CO2 be abandoned forthwith.  » (Source: Manatthan Declaration: https://www.climatescienceinternational.org/ index.php?option=com_content&task=view&id=37&Itemid=1)

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le lobby de l’énergie fossile n’aurait pas pu mieux écrire cette « Déclaration de Manatthan ». Ni trouver de meilleur défenseur du droit d’augmenter sans limites les gaz à effet de serre que le Dr Mitchell Taylor. Que vous vous appuyiez sur Mitchell Taylor et ses déclarations niant l’influence humaine sur l’évolution du climat et la fonte de la banquise est incompréhensible. Et criminel pour ces ours polaires que vous prétendez vouloir défendre.

Face à ces théories fumeuses, on rappellera que le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, nous promet dans son dernier rapport (https://www.ipcc.ch/sr15/) un été sans banquise en Arctique par siècle si la hausse de la température moyenne mondiale se poursuit pour atteindre +1,5°. Et deux étés par siècle si la hausse atteint +2°. Le même Giec ne fait pas mystère des mesures à prendre pour éviter cette catastrophe : pour contenir la hausse à +1,5°, il faut, à l’échelle de la planète, diminuer de 45% les émissions de CO2 (par rapport à celles enregistrées en 2010) d’ici 2030, pour arriver à une « neutralité CO2 » en 2050.

La vérité est que le réchauffement climatique, en provoquant la fonte de la banquise au Pôle Nord, réduit de facto le territoire de chasse des ours polaires, entraînant famine, décès prématurés et déplacements de groupes d’animaux vers des terres où ils sont chassés et au mieux, repoussés. Dans une dernière « évaluation mondiale » présentée à l’automne 2015, l’UICN, par les voix de sa Directrice générale Inger Andersen et du Président du groupe de spécialistes des ours polaires de l’UICN, Dag Vongraven, déclare même redouter un déclin de… 30% de la population de l’ours polaire à un horizon de trente ou quarante ans. « Cette nouvelle évaluation de l’ours polaire (Ursus maritimus) a eu recours aux données les plus récentes sur la banquise et les sous-populations, ainsi que des simulations informatiques et des modèles statistiques qui permettent d’anticiper les modifications des effectifs d’ours polaires, en fonction des changements de la banquise. Il s’agit de l’évaluation la plus complète réalisée jusqu’à présent.. Les résultats indiquent une forte probabilité d’un déclin de plus de 30% dans la population d’ours polaires dans les 35-40 années à venir. L’étude confirme le statut actuel (Vulnérable) de l’ours polaire sur la Liste rouge de l’UICN. Sur la base des données scientifiques les plus récentes et les plus solides, cette évaluation montre que le changement climatique continuera d’être une grave menace pour la survie des ours polaires à l’avenir. (…) Des études récentes montrent que la perte de la banquise arctique a progressé plus vite que ce que la plupart des modèles climatiques laissaient suggérer ; ainsi, l’étendue des glaces au mois de septembre a subi un déclin linéaire de 14% par décennie entre 1979 et 2011. Or, les ours polaires dépendent directement de la banquise pour accéder à leurs proies. Par conséquent, une période de cinq mois ou plus sans glace entraînera un jeûne prolongé pour l’espèce, ce qui est susceptible de causer des problèmes d’infertilité accrue ou de famine dans certaines régions. D’après des prévisions récentes, des étendues importantes de l’archipel arctique canadien seront libres de glace pendant plus de cinq mois par an à la fin du 21e siècle ; dans d’autres parties de l’Arctique, ce seuil de cinq mois pourrait être atteint vers le milieu du 21e siècle. Le réchauffement des températures dans la région peut aussi porter atteinte aux habitats et accroître l’incidence de maladies chez des espèces proies telles que les phoques, aggravant ainsi les risques pour les ours polaires. (…)  » (Source : https://www.iucn.org/content/new-assessment-highlightsclimate- change-most-serious-threat-polar-bear-survival-iucn-red)

Madame Khalil, face à l’extinction fulgurante des espèces sauvages, plusieurs attitudes sont possibles: l’indifférence, la négation du problème (en contestant notamment, comme vous le faites, le caractère anthropique du réchauffement climatique et l’impact de la fonte des glaces sur l’avenir de l’ours blanc), l’imposture, qui comme dans le cas présent, consiste à se faire passer à tort pour un expert et à tenter de briller aux yeux du public en chapardant le travail d’autrui, mais aussi et heureusement, le travail acharné de personnes ayant pour vocation la protection de l’environnement, qu’elles s’investissent dans la recherche scientifique, dans la pédagogie de la nature ou dans des actions très concrètes de sauvegarde sur le terrain.

A Pairi Daiza, nous nous efforçons, nous aussi, de jouer notre rôle, qu’il s’agisse d’actions de sensibilisation, de la reproduction au sein du parc d’espèces gravement menacées, ou encore, de notre contribution (plusieurs millions d’euros au cours des dernières années) au financement de divers projets de sauvegarde de la faune et de la flore, que ce soit en Wallonie, en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud.

Pouvons-nous, devons-nous faire davantage encore ? Certainement ! Nous nous y engageons ! Qunt à vous, Madame Khalil, je vous souhaite de réussir vos études, de mieux choisir vos maître à penser et de devenir un jour ce qu’actuellement vous tentez de faire croire à nos dépens : une véritable experte en faune sauvage, prête à consacrer sa passion, son énergie et ses talents à la préservation de l’ours blanc.

Par Eric Domb, président-fondateur de Pairi Daiza

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