Andrea Riccardi © Reuters

Andrea Riccardi, le bâtisseur de paix

Une rencontre interreligieuse pour la paix a lieu à Anvers à l’initiative de la Communauté Sant’Egidio. L’occasion de revenir sur ce mouvement international de laïcs chrétiens au travers d’une interview de son créateur Andrea Riccardi.

La rencontre interreligieuse pour la paix qui se déroule chaque année dans une ville différente à l’initiative de la Communauté Sant’Egidio s’est ouverte à Anvers dimanche. De nombreux représentants religieux et leaders politiques ont assisté à la cérémonie d’ouverture du colloque. Des thèmes liés à l’actualité comme les conflits en Irak et en Syrie seront abordés lors de dizaines de rencontres. Le colloque se clôturera mardi sur le discours du président du Parlement européen, Martin Schulz.

La communauté Sant’Egidio est un mouvement international de laïcs chrétiens qui se trouve dans 70 pays, dont la Belgique (présence à Anvers, Liège et Bruxelles), et compte près de 60 000 membres. Sant’Egidio est aussi réputée pour sa promotion du dialogue interreligieux et surtout pour ses médiations dans les conflits internationaux. L’année dernière nous rencontrions Andrea Riccardi qui a lancé en 1968 la communauté Sant’Egidio, qui continue aujourd’hui de s’engager en faveur des personnes précarisées : sans-abri, personnes âgées, nomades, malades… Tour d’horizon avec ce bâtisseur de paix.

D’où vous est venue cette intuition que pour diminuer la pauvreté, il faut résoudre les conflits ?

Andrea Riccardi : Je ne dirais pas que c’est l’intuition du début. Avec quelques amis de mon lycée Virgilio à Rome, on a lancé en 1968 la communauté Sant’Egidio dans le but de venir en aide aux plus pauvres, par la distribution des repas, l’alphabétisation, l’hébergement, etc. Nous avons fait l’expérience que plus on approfondit la spiritualité, plus on s’approche des pauvres. Cela nous a mené à nous intéresser aux conflits, car la guerre est la mère de toutes les pauvretés. Dans les années 1980, j’ai découvert le Liban, les massacres de Sabra et Chatila, le centre de Beyrouth détruit, je n’avais jamais vu cela. Je n’avais jamais vu la guerre, en fait. Cela prouve au moins que notre génération, contrairement à celle de nos parents, a été épargnée par ces horreurs. Après, nous avons découvert l’Afrique, avec à nouveau ses guerres et donc ses pauvres.

C’est quoi, votre « art de la paix », pour reprendre le titre d’un ouvrage consacré à votre communauté ?

Il n’y a pas de technique. Peut-être une approche. Il faut provoquer la rencontre entre les gens, les faire parler. Et trouver ce qu’il y a en commun entre eux, en mettant de côté ce qui les divise. C’est ce que nous avons fait en Algérie, au Burundi, au Mozambique, ou en Casamance (Sénégal). L’art de la paix, ce sont des expériences petites et grandes, notamment en faveur de la libération de personnes kidnappées.

Quand on parle de diplomatie secrète du Vatican, cela vous amuse ou vous irrite ?

Plutôt sourire. Car d’abord le Vatican ne nous a rien demandé. Ensuite ce n’est pas une diplomatie secrète. Enfin, si le Vatican nous demande d’intervenir, pourquoi ne pas le faire ? Chaque communauté qui s’ouvre sur le monde contribue à la paix. Mais notre époque est handicapée par ce manque d’audace à regarder vers les horizons du monde. On préfère rester dans la modestie, la petitesse. Or, quand on regarde vers les horizons du monde avec toutes nos limites, on peut exercer une grande force, une sorte de puissance d’humanité.

Vous êtes considéré comme un apôtre de la non-violence. Mais de l’Afghanistan à la Syrie, on ne cesse de privilégier les solutions militaires. N’est-ce pas une défaite de la diplomatie de type Sant’Egidio ?

Si je suis un apôtre avec plusieurs guillemets, je serais d’abord celui de la paix. Et surtout de la paix préventive. A 63 ans, j’en ai vu des guerres. Quand je vois comment elles s’enkystent, je constate que ce sont des maladies difficiles à soigner. Regardez Israël et Palestine, c’est la chronique d’une paix impossible. En Syrie, il y avait une protestation civile non violente, modérée, laïque. On a fait tout tomber. Tout est pourri à présent. C’est désormais la lutte entre un extrémisme militaire et un extrémisme fondamentaliste.

Faut-il parfois intervenir militairement ?

En Libye, on a fait la guerre pour défendre l’opposition. Mais les expériences de guerre ne sont jamais des victoires de la paix. L’intervention en Libye, je ne la blâme pas. Mais je ne l’exalte pas non plus. Elle n’a pas résolu le conflit et, de plus, elle a apporté la guerre au Mali. Et regardez la guerre en Irak pour abattre Saddam Hussein, elle a en même temps détruit le pays, la communauté chrétienne, etc. La guerre est-elle utile ? En Syrie, il y a des chrétiens qui portent les armes contre le régime, d’autres qui défendent Bachar al Assad. Que faire face à une telle complexité ?

Vous êtes un Européen convaincu. L’Europe d’aujourd’hui vous enchante-t-elle encore ?

J’ai eu l’honneur d’avoir le prix Charlemagne (NDLR : prix international Charlemagne d’Aix-la-Chapelle décerné à des personnalités remarquables qui se sont engagées pour l’unification européenne), qui est un prix important qu’un Alcide De Gasperi (NDLR : 1881-1954, considéré comme l’un des pères de l’Europe) a reçu en son temps. J’étais ému quand j’ai prononcé ma profession de foi dans une Europe de la coexistence en tant que réponse aux fondamentalismes. Mais l’Europe politique tarde à se bâtir. On ne la regarde plus que comme une banque. Il faut agir vite car notre continent est en perte de vitesse.

« Le mal de l’Europe, c’est la peur de l’autre », avez-vous déclaré. Est-ce ainsi que vous définiriez cette perte de vitesse ?

Peur de l’autre et peur du futur. Nous n’avons plus d’espérance. Nous avons perdu le sens de l’histoire, et on perd le sens du futur. C’est cela, notre problème. Il faut redonner aux jeunes générations le goût de l’avenir et celui du sacrifice. On a fait la lutte des classes, on a lutté pour la justice, pour la démocratie, pour un avenir économique meilleur, et nous voilà aujourd’hui dans une posture de victimes où le « moi-je » l’emporte. Il faut sortir de cette egolâtrie pour aller vers le « nous », le nous de la nation, le nous de l’Europe, le nous de la famille… Il y a plusieurs nous qui façonnent notre vie !

Y compris le « nous » d’une communauté !

Oui, et j’en suis fier. En 1968, « communauté » était un mot à la mode. Aujourd’hui, c’est plutôt perçu comme rétro, dans le sens où ce mot représente sans doute un « nous » un peu trop fort.

La globalisation : un mot porteur ou menaçant ?

C’est un mot neutre, comme nation, catholicisme, islam… A cela près que la globalisation conduit à la mort du proche. Il y a plusieurs paradoxes. L’homme de la globalisation est un homme individuel. Dans une même ville, plusieurs mondes différents peuvent coexister sans avoir de liens. Il faut donc réinventer les liens de proximité. Nous en avons besoin comme de pain. Sinon, on n’a pas accès aux chances qu’offre la globalisation. Les chrétiens devraient d’ailleurs plus s’intéresser à la globalisation que se préoccuper de sécularisation.

Propos recueillis par François Janne d’Othée en juillet 2013

ANDREA RICCADI EN 6 DATES

1950 Naît le 16 janvier à Rome.

1968 Fonde la communauté Sant’Egidio.

1981 Début d’une carrière académique (professeur d’histoire contemporaine, notamment).

1982 Première action de médiation menée au Liban.

2004 Docteur honoris causa de l’UCL pour sa recherche de la paix, de la réconciliation et du dialogue.

2011 Ministre de la Coopération internationale et de l’Intégration dans le gouvernement Monti.

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