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Albert II, faiseur de nobles

Le Roi règne sur près de 300 comtes, barons ou chevaliers, anoblis selon son bon plaisir. Et selon les intérêts du Palais. Comment Albert II use du seul véritable pouvoir qui lui reste pour tenter de s’attacher la fidélité des élites du Royaume.

15 comtes et vicomtes, 204 barons, 68 chevaliers et quelques anoblis non titrés à l’actif du Roi, depuis le début de son règne en 1993. Albert II aime s’entourer. Cette compagnie ne peut que lui être agréable. C’est lui qui la choisit. « En matière d’anoblissement, les droits du souverain sont absolus. Il s’agit du seul domaine où le Roi dispose d’un pouvoir régalien total », souligne la sociologue Valérie d’Alkemade (1). « L’octroi de concessions nobiliaires est incontestablement un domaine où le Roi peut imprimer sa marque personnelle et se distinguer de ses prédécesseurs », précise Pierre-Yves Monette, ex-conseiller au Palais. (2).

Tout qui fait rayonner la Belgique sur la scène internationale ou qui fait le bien autour de soi peut ainsi espérer bénéficier de la « touche Albert II. » Mais le Roi connaît ses limites. Le ministre des Affaires étrangères ouvre l’oeil : sans contreseing ministériel, pas de faveurs nobiliaires. Le Palais doit aussi s’accommoder du travail d’une Commission d’avis, chargée de jouer aux têtes chercheuses. Un cadeau des Flamands : dans les années 1970, ils ont rué dans les brancards, parce qu’ils s’estimaient mal lotis à chaque distribution des faveurs royales.

Le système s’est sophistiqué. Il n’a rien gagné en transparence. Le « fait du Prince » garde tout son sens. En portant sur les fonts baptismaux la commission d’avis sur les faveurs nobiliaires, en 1978, le ministre des Affaires étrangères Henri Simonet (PS) a cet accès de lucidité : « Les mérites acquis personnellement par le bénéficiaire devraient constituer le critère essentiel d’un octroi. » « Devraient » : opportun conditionnel. Il ménage une zone grise où se glissent les exceptions à la règle.

Où est le mal ?

L’anoblissement, ce côté « vieille France » à la sauce belge, prête surtout à sourire puisqu’il ne prête pas à conséquences : en survivant à la révolution de 1830, la noblesse belge y a perdu tous ses privilèges. Tout au plus cette fierté de mentionner son titre de noblesse sur la carte d’identité, voire de posséder « un passeport diplomatique » selon le professeur en administration publique Herman Matthijs (VUB.)

Les anoblis sont presque partout, mais surtout là où il y a du pouvoir économique et financier. Des CV trahissent des fortunes considérables, des intérêts puissants, des influences à soigner. Si mérites exceptionnels il y a, c’est parfois d’avoir su frapper aux bonnes portes. D’avoir le bras assez long pour y arriver ou d’avoir les moyens d’un mécène. Un don à la Fondation Roi Baudouin ou à d’autres oeuvres royales est un petit plus fort apprécié.

« L’objectif de l’anoblissement, s’il est largement rencontré, n’est pas systématiquement atteint », concède ce patron anobli . Le Palais ne s’en formalise pas. La main royale qui anoblit n’est jamais totalement innocente. Anoblis et connaisseurs de la matière, les nombreux interlocuteurs sondés par Le Vif/ L’Express convergent sur un point : « La faveur nobiliaire ne se demande pas, le Roi n’a pas à expliquer ses choix. » C’est tout ce qui fait le sel de l’anoblissement. Les élites ne sont pas de bois. « Quand les puissants ont l’argent et le pouvoir, il ne leur reste plus que les honneurs à conquérir », soupire un homme politique.

Or, les temps sont incertains. Le pays et sa monarchie redoutent que le sol ne se dérobe sous leurs pieds. Tous ces bâtons de maréchal à distribuer peuvent faire tourner des têtes. Le Palais ne va pas jusqu’à en attendre un vulgaire renvoi d’ascenseur. Il espère simplement ne pas avoir affaire à des ingrats et des goujats. « Sans exagérer son importance, l’anoblissement reste un moyen d’essayer de perpétuer un certain patriotisme économique », admet cet industriel baronifié. « Une possibilité d’amadouer des milieux qui ne veulent pas nécessairement que du bien au Palais », confirme ce familier de la Cour. Suivez les regards : ce remuant patronat flamand, à l’automne dernier plutôt remonté contre le modèle belge, et dont Albert II n’oublie pas d’anoblir ses représentants. Si cela peut aider à tempérer certaines ardeurs….

Pari un peu fou. Il est d’usage d’attendre d’un anobli qu’il se comporte noblement en toute occasion. Président de l’Association de la noblesse du Royaume de Belgique, le baron Bernard Snoy rappelle le cahier de charges : « L’aristocratie est exigence. L’espoir au bout de l’anoblissement, c’est qu’il s’adresse à des personnes de haute valeur morale. »

Cela implique modération, souci de ne pas soulever de polémiques stériles et déstabilisatrices pour le pays. Simple souhait. Fin septembre 2012, deux grands patrons flamands anoblis n’ont pas vraiment fait dans la dentelle. Di Rupo Ier ? « Politique marxiste ! » La société belge ? Bientôt « néo-communiste ! » Haro sur la Wallonie toujours à la traîne, et sur l’Etat-PS destructeur.

Les barons Luc Bertrand et Julien De Wilde ont eu le sens de l’anathème et de la formule-choc. Le premier présidait la commission d’avis sur les faveurs nobiliaires, le second venait tout juste d’être baronifié. L’état de noblesse ne doit certes pas empêcher d’avoir des opinions ni de les exprimer haut et fort. Avant d’être anobli, l’ex-CEO de Bekaert Julien De Wilde ne cachait pas à la presse un faible pour le séparatiste Bart De Wever : « J’admire ce qu’il fait. »

Pierre Havaux

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