Jacques Wels

À qui bénéficie la mise à l’emploi des prépensionnés ?

Jacques Wels Sociologue - University of Cambridge Université libre de Bruxelles

Le système de prépension conventionnelle, qui a bénéficié à un nombre important de travailleurs depuis les années 1970, a disparu en 2012 pour être remplacé par un système de chômage avec complément d’entreprise.

Que le Gouvernement Michel se décide à mettre fin à ce dispositif est dans la droite lignée de ce qui avait été entamé par les gouvernements précédents et ne constitue pas, comme je l’ai dit précédemment, une réelle innovation.

La prépension conventionnelle, dans la forme qu’on lui a connue, a vu le jour en 1974. Elle portait le double objectif de réguler le marché du travail en permettant aux entreprises de se débarrasser d’un excédent de main d’oeuvre en partant du sommet de la pyramide des âges (considéré comme une masse salariale plus chère et moins prompte à s’adapter aux évolutions des postes de travail), d’une part, et d’autre part, d’intégrer à l’emploi les jeunes générations touchées alors par un chômage de masse. Régulation du marché du travail et intégration des jeunes étaient les deux principales ambitions du dispositif. L’intégration n’a cependant pas porté les fruits escomptés, le chômage des jeunes est resté important et le « transfert d’emploi » entre les âges s’est révélé être un mécanisme bien plus complexe qu’il n’y paraissait initialement. Dans les années 1990, ce principe a été progressivement abandonné.

Mais c’est à ce moment-là que la prépension s’est imposée comme un droit généralisé à un large ensemble de travailleurs ; partir de façon anticipée est, à l’époque, devenu la norme. Dans le même temps, l’usage des prépensions pour réguler le marché du travail est resté important. Là encore, les pouvoirs publics ont tenté de restreindre son usage. Ce fut le cas, notamment, en imposant aux entreprises de contribuer aux prestations sociales versées par l’État (1). Alors que les allocations avaient toujours été prises en charge par l’assurance-chômage, on voit alors une répartition des coûts entre les entreprises et la collectivité.

À ce stade, la prépension pose un double problème. D’une part, elle s’est imposée comme une coutume belge, la sortie anticipée étant devenue la norme. D’autre part, les entreprises ont bénéficié de cette tendance en régulant sans trop de difficulté leur masse de travailleurs. Il est, en ce sens, important de rappeler que la prépension a bénéficié de la même façon aux travailleurs et aux entreprises. Si l’on doit se résoudre à chercher une responsabilité quelconque dans les hauts taux de départ anticipé en Belgique, hormis à l’État, c’est aux entreprises et aux travailleurs qu’il faut imputer conjointement le nombre élevé de prépensionnés. Tous deux ont joué un rôle identique.

À l’heure où les sorties anticipées définitives de l’emploi disparaissent et alors que les anciens travailleurs sont les seuls à payer le prix d’un mécanisme dont les usages ont été pluriels, il est nécessaire de développer une réflexion sur qui supportera le coût – économique et social – de l’arrêt du chômage avec complément d’entreprise.

De deux choses, l’une. Soit la remise à l’emploi d’un travailleur âgé annule les prestations sociales payées par l’entreprise qui a licencié le travailleur et, dans ce cas de figure, la réforme peut être considérée comme un « cadeau » aux entreprises et c’est au travailleur de prendre en charge le coût que la prépension engendre. Soit, l’implication sociale des entreprises est reconnue à sa juste mesure et la responsabilité individuelle relativisée et, dans ce cas, il faut prévoir des mesures transitoires destinées à protéger les individus qui ont bénéficié du système. Au regard de l’histoire des prépensions, il me semble que les implications sont multiples et que faire supporter aux individus à eux seuls le coût des prépensions est pour le moins injuste. Dans cette optique, la responsabilité devrait être partagée entre l’État qui a implémenté le dispositif, les travailleurs qui en ont bénéficié et les entreprises qui s’en sont servi.

(1) En 1990, une intervention des entreprises est demandée en cas de prépension (sauf dérogation).

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