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« A Fourons, on a eu de la chance de ne pas avoir de mort »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Septembre 1963 : les Fourons basculent en Flandre, la Belgique plonge en enfer communautaire. Sur les barricades : José Happart, chef de la résistance wallonne, a affronté Huub Broers, leader des intérêts flamands. Aujourd’hui, le hérisson fouronnais et le sénateur-maïeur N-VA de Fourons croisent exceptionnellement le fer pour Le Vif/L’Express.

Le Vif/L’Express : Sans José Happart, y aurait-il eu une « affaire fouronnaise ? »

H.B. : Non, j’en suis convaincu. Sans José Happart, les francophones auraient peut-être même obtenu plus d’avantages qu’ils n’en ont eu. La Flandre n’oublie pas Happart. Encore aujourd’hui, partout où je vais, on m’apostrophe : « Tu n’as pas pris José Happart avec toi ? » Ce n’est pas moi la vedette, c’est toujours lui ! Happart en Flandre, c’était l’ennemi. Entouré de ses troupes…
J.H. : Mais c’est toi qui manifestais aux côtés d’Eriksson (NDLR : leader de la formation paramilitaire d’extrême-droite VMO dans les années 1970, active dans les marches flamingantes sur Fourons). Aujourd’hui, tu parles encore de « promenades. »

Fourons a été le théâtre de violences, on y a souvent frôlé le drame. Avec le recul, vous avez conscience d’avoir joué avec le feu ?

H.B. : Oui, c’est vrai. Je me dis parfois, en revoyant des images, qu’on a eu de la chance de ne pas avoir eu de mort à Fourons. Que se serait-il passé à ce moment-là ? Je crois que tout se serait arrêté. On n’avait peur de rien alors, j’ai été blessé à plusieurs reprises.
J. H. : On m’a détruit quatre voitures, on a tiré sur ma mère. En 1979, le commando d’Eriksson, de retour d’un camp d’entraînement facho en Allemagne, est venu chez moi à Fourons pour me faire la peau. Ma maison était encerclée par des blindés de la Gendarmerie. Eriksson a été arrêté à 800 mètres.

Vous reconnaissez aussi avoir été parfois trop loin, José Happart ?

Non, pas du tout. A certains moments, on a le droit de défendre l’avenir et la liberté de ses enfants et petits-enfants. Je ne dis pas que tous les coups sont permis. Mais émotionnellement, je n’aurais pas pu aller plus loin : on n’a pas le droit de prendre la vie de quelqu’un. Politiquement en revanche, j’aurais pu être moins crédule face aux promesses faites par les partis.

C’est cela qui a fini par faire la différence à Fourons ? Le fait d’avoir été « lâché » par les partis francophones ?

Les partis francophones ont malheureusement développé un complexe, amplifié par la Flandre : celui d’avoir été autrefois méchants envers les Flamands. La Wallonie a fini par considérer que, puisqu’elle avait fait tellement de mal aux Flamands par le passé, elle pouvait bien leur céder Fourons.

Mais le PS vous a ouvert les bras ?

H.B. : Je n’ai jamais compris ce choix !
J.H. : Tous les partis me courtisaient. J’ai choisi de me mouiller avec le plus gros parti, le PS qui était alors dans l’opposition (NDLR, en 1984), pour le mouiller aussi. Mon but était de mettre du jaune autour de la rose du PS. Je ne regrette pas ce choix, même si depuis que je suis moins actif en politique et qu’Elio Di Rupo est Premier ministre, les coqs et les drapeaux wallons sont bannis des manifestations socialistes.
H.B. : Di Rupo n’est pas un Wallon, c’est un Belge…

Huub Broers, vous avez aussi choisi de vous mouiller avec le plus gros parti de Flandre. Un bourgmestre N-VA à Fourons, c’est symbolique ?

H. B. : Symbolique ou sympathique, c’est à voir…. Mais sans le combat pour Fourons, je ne serais pas devenu sénateur, c’est vrai.
J. H. : Que Huub Broers défende la Flandre, je le comprends. Qu’il la défende à Fourons, cela m’attriste. Je comprends très bien le combat flamand, je ne suis pas contre les flamingants. Sauf quand à Fourons, ils se conduisent en occupant et non en partenaire.
H.B. : Allez, allez ! Ce n’est tout de même pas une dictature à Fourons !
J.H. : Si. Chez nous, c’est ressenti comme cela. Mon neveu Gregory, conseiller communal à Fourons, n’a pas le droit de s’exprimer en français au conseil communal.
H.B. : Mais il a le droit d’apprendre un peu le néerlandais, ce qu’il refuse. J’accepte que chaque Fouronnais francophone s’adresse à moi en français, alors que je n’y suis pas obligé par la loi.
J.H. : Devoir apprendre le néerlandais, c’est accepter l’Occupation. Si les gens votaient pour moi, ce n’était pas pour que je devienne flamand, mais pour que je ne me soumette pas. Mais quand on a la force du pouvoir, on peut tout écraser, faire taire les gens.

(Exclamation de Huub Broers.)

José Happart, vous avez tout de même décidé de revenir vous installer à Fourons. En dictature…

Je suis effectivement revenu m’installer en territoire occupé. A 50 mètres de la zone libre, la Province de Liège. Mais je pouvais tout de même rentrer chez moi, non ?

Fallait-il, au nom du contentieux fouronnais, en arriver à faire tomber trois gouvernements, à paralyser la gestion politique de la Belgique en pleine crise économique ?

H.B. : Si tous les Belges non-fouronnais se sont posés cette question, il faudra qu’on m’explique les scores obtenus aux élections par José Happart (NDLR : 234 996 voix aux européennes de 1984, 308 117 voix aux européennes de 1989).
J.H. : La démocratie est-elle une histoire de nombre ou de principes ? Fallait-il paralyser la Belgique pour le sort de 4 000 paysans ? Mais pour un seul Fouronnais, il aurait fallu se mobiliser. C’est un combat contre le non-respect des droits des citoyens et des libertés individuelles.

Fourons en 2013 reste donc une affaire toujours non classée ?

J.H. : Oui, puisque les gens n’y ont pas le droit d’être ce qu’ils sont. On a raté une belle occasion de faire de Fourons un laboratoire de cohabitation pacifique entre deux communautés, après avoir été un fabuleux théâtre d’expérimentation pour la gendarmerie (éclat de rire de Huub Broers.) Personne ne peut prétendre à la paix si la victoire est unilatérale.

Et au milieu de tout ça, vous vous sentez Belges malgré tout ? Ou malgré vous ?

H.B. : Je me sens Flamand. Mais si je devais déménager à Liège, je serais Wallon. Et je me battrais pour la Wallonie. Ce qui ne veut pas dire que je me battrais contre la Flandre…
J.H. : Je me sens Européen, citoyen du monde. Et confédéraliste convaincu. Flandre, Wallonie, Bruxelles : le confédéralisme à trois en Belgique, c’est l’étape nécessaire en attendant l’Europe des peuples et des régions.
H.B. : Je vais te vendre une carte de la N-VA !

L’entretien intégral dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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