L’un des trois centres berlinois – celui-ci est mobile – où les consommateurs de drogue peuvent faire tester leurs produits. © getty images

Le drug-checking en test à Berlin: comment éviter un mélange de la drogue avec des produits dangereux

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Berlin a ouvert trois points de tests. L’objectif est de limiter les risques, pour les consommateurs, de produits surdosés ou coupés.

Berlin. L’entrée d’un club branché, un samedi soir… De l’ecstasy à la cocaïne en passant par le cannabis, un petit groupe de visiteurs énumère la palette de ces drogues dites «festives» qu’ils consommeront ou verront circuler au cours de la soirée. En Allemagne, la ville est réputée pour son côté libertaire. Aux abords des clubs, les dealers ne se cachent plus depuis longtemps. Mais souvent surdosées ou coupées, les drogues vendues dans la rue ou sur Internet provoquent régulièrement des accidents.

Au cours des dernières semaines, plusieurs mineurs sont décédés dans le pays après avoir ingurgité des pilules d’ecstasy trop fortement dosées. Partant du principe qu’il serait illusoire de chercher à éradiquer la consommation, les différentes majorités qui se sont succédé à la tête de Berlin réfléchissaient depuis des décennies à une autre approche de la prévention, avec la mise en place d’un système dit de «drug-checking», une sorte de contrôle qualité pour les drogues illicites.

« Notre approche n’est pas moralisatrice. Mais elle ne prend pas non plus à la légère les risques liés aux drogues »

Conor Toomey, responsable du projet drug-checking dans un centre de Berlin

Après des années de bataille juridique, de négociations avec la police et le ministère public, trois points de consultation pour les usagers de drogue ont ouvert début juin dans la capitale, s’adressant à trois cibles différentes: les jeunes homosexuels à l’ouest de la ville, les personnes souffrant d’addiction aux opiacés dans le quartier populaire de Neuköln, et les consommateurs du week-end dans les quartiers branchés de Kreuzberg et Friedrichshain, où sont concentrés la plupart des clubs. Une fois par semaine, le mardi après-midi, les consommateurs réguliers ou occasionnels peuvent se rendre dans l’une de ces permanences et y déposer un échantillon des substances qu’ils comptent prendre dans les jours à venir.

Le service, anonyme et gratuit, est réservé aux adultes

A l’ouest de Berlin, dans le quartier de Charlottenburg, l’association d’aide aux personnes LGBTQIA+ Schwulenberatung propose depuis de longues années une grande palette de moyens d’assistance. Les murs du hall sont couverts d’affiches détaillant les différents services rendus par l’association. Une pile de Siegessäule, le magazine gay de Berlin, est à disposition dans un coin.

Conor Toomey mène le visiteur vers la bibliothèque, une petite pièce aux murs tapissés d’ouvrages de référence pour la communauté. La demande est élevée. Chaque semaine, une quarantaine d’échantillons collectés par les trois centres sont analysés. Mais une centaine d’autres ne peuvent l’être en raison des capacités limitées du laboratoire partenaire du projet. «Toutes les semaines, nous devons renvoyer des gens chez eux, regrette Conor Toomey, le responsable du projet drug-checking pour la Schwulenberatung. Chacun peut apporter une ou deux substances. Après un bref entretien, les échantillons sont photographiés, puis envoyés au laboratoire. Le service, anonyme et gratuit, est réservé aux adultes. Quelques jours plus tard, les usagers reçoivent le résultat de l’analyse, par téléphone

Un tiers des produits surdosés dans les centres de Berlin

Les mauvaises surprises sont légion: un tiers des substances analysées à Berlin sont surdosées, leur contenu ne correspond pas à ce qui était déclaré par le dealer, ou elles sont mélangées avec des pro- duits dangereux. «Il est arrivé que quelqu’un nous amène un échantillon de ce qu’il avait acheté comme étant de la cocaïne, alors que c’était de la kétamine, se souvient Conor Toomey. La différence est de taille. L’un est un stimulant, l’autre est un anesthésiant. Le dosage joue ici un rôle très important, avec un risque potentiellement mortel. Hier encore, nous avions dans la permanence quelqu’un qui a décidé de ne pas consommer ce qu’il avait acheté après avoir appris ce que la substance contenait.»

Mélanges toxiques, présence de vermifuges pour les chevaux, d’anesthésiants ou même de substances psychédéliques… Chaque produit dangereux fait l’objet de mentions spéciales très détaillées, photo à l’appui pour pilules et capsules, sur la page du projet drugchecking.berlin. En tête des alertes, les comprimés d’ecstasy, dont la teneur en MDMA peut atteindre le double ou le triple des doses tolérées.

Berlin fait l’expérience de la prévention

Avec ce projet, Berlin est précurseur en Allemagne. Mais d’autres pays sont plus avancés comme les Pays-Bas, l’Autriche ou la Suisse, qui proposent ce genre de service directement sur place, près du consommateur, devant les clubs ou lors des festivals les plus fréquentés.

En Allemagne, les choses pourraient aussi évoluer. «Le gouvernement fédéral vient d’adopter un texte qui rend le contrôle des drogues possible sur le principe mais en délègue la compétence aux Länder, précise Lars Behrends, de l’association Vista. Tous les Länder n’ont pas réfléchi à l’installation d’un système de drug-checking. Mais des régions comme le Bade-Wurtemberg et la Hesse travaillent déjà sur des projets de ce type. D’autres Länder suivront. Il y aura bientôt plus d’offres de contrôle de la qualité des drogues illicites en Allemagne.» Néanmoins, des régions conservatrices telles que la Bavière ou la Saxe, réputées pour leur politique restrictive à l’égard des stupéfiants, pourraient ne pas figurer sur la liste…

Le revers de la médaille

Car ce plan a aussi ses détracteurs. Comme le syndicat de la police, qui dénonce l’engagement pris par les partenaires du projet – dont la municipalité – que la police se tiendra à distance des centres de test. Le syndicat des policiers redoute déjà de voir l’activité des dealers augmenter à proximité.

D’autres voix dénoncent le risque d’un «label» accordé par l’Etat aux drogues illicites. Des critiques que les partenaires du drug-checking balaient d’un revers de la main. «Notre approche n’est pas moralisatrice, insiste Conor Toomey, mais elle ne prend pas non plus à la légère les risques liés aux drogues. Tous nos conseillers ont une grande expérience de la prévention et savent reconnaître les petits signaux qui permettent de détecter qu’un usager cherche de l’aide, qu’il est prêt à remettre sa consommation en question. Et là où les gens sont réceptifs, nous présentons nos programmes de sortie des drogues. Peut-être que l’idée fera son chemin, pas forcément le jour même mais à l’avenir.»

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