Jan Loos et Marc Van Ranst

Marc Van Ranst: « Tous les virologues ont déjà été menacés de mort »

Marc Van Ranst, virologue, et Jan Loos, protecteur de loups, s’habituent à en prendre pour leur grade. Ce qui les dérange, c’est que des erreurs flagrantes soient vendues comme des « opinions ». « Tout le monde est expert en tout ».

Quiconque connaît un peu le virologue Marc Van Ranst et Jan Loos de l’association Welkom Wolf (Bienvenu au loup) ne peut s’empêcher de remarquer les similitudes entre les deux hommes. Ils sont compétents, motivés, n’ont pas peur des déclarations fortes et ne se laissent pas décontenancer. Ils sont tous deux en première ligne d’une bataille socialement chargée, le premier contre le coronavirus, le second pour le loup. Knack les a réunis pour la première fois pour une interview.

À quelle fréquence êtes-vous victimes de menaces de mort?

Jan Loos : Régulièrement. Heureusement, rarement par téléphone, mais souvent par le biais de sites web des chasseurs.

Marc Van Ranst : Oh là là, ils ont tous un fusil!

Loos : (imperturbable) Puis il y a des groupes Facebook comme « Vous êtes de Hechtel-Eksel si vous… ». Après le meurtre du loup Naya, un bénévole de Welkom Wolf a imprimé toutes les menaces à mon adresse. C’était une grosse pile. Il s’agit surtout de héros anonymes du clavier qui vous font savoir qu’ils vous « trouveront ».

Van Ranst : Avec une recherche ciblée sur Google, on trouve souvent le nom de ce genre de héros. Quand ça vraiment trop loin, je porte plainte auprès de la police.

Ces plaintes aboutissent-elles à quelque chose ?

Van Ranst : Ils sont au moins invités à raconter leur histoire. Puis ils avancent des affirmations telles que « les vaccins sont dangereux », après quoi ils en concluent que je devrais être abattu. Heureusement, cela impressionne rarement la police. Mais à part ça, il ne se passe pas grand-chose.

Y a-t-il eu des poursuites judiciaires ?

Van Ranst : Oui, et certains ont été sanctionnés, mais toujours avec sursis.

Loos : Une fois, j’ai fait entendre une menace de mort qu’on avait laissée sur mon répondeur dans l’émission De Zevende Dag de la VRT. Cela a certainement eu un effet dissuasif. Mais les plus stupides continuent à le faire, surtout quand ils ont bu.

Van Ranst : J’ai également changé mon système. Avant, je supprimais le nom de ces individus quand je publiais leurs messages, maintenant quand ils viennent de Twitter ou Facebook je les lâche simplement dans le domaine public.

On s’habitue aux menaces de mort ?

Van Ranst : On s’y habitue, mais au fond, c’est une erreur. Dans ces groupes, il y en a toujours un qui est un peu plus stupide que les autres. D’abord, ils vous qualifient de dangereux, puis vous devenez un pédophile et un peu plus tard, vous devez être abattu. Il suffit d’un qui pense qu’il doit joindre l’acte à la parole.

Loos : Je me place au-dessus de ça. On ne peut pas rendre ce genre de personnes plus intelligentes qu’elles ne le sont. Il en va de même pour la propagation des fake news. C’est difficile à éviter, mais tant que la société ne les écoute pas trop, c’est moins dangereux qu’il n’y paraît.

La thèse, c’est qu’autrefois les gens étaient stupides par manque d’informations, aujourd’hui par excès d’informations.

Loos : Les gens ont tous accès aux bonnes informations, mais ils sont souvent trop paresseux pour lire. Ils ne lisent même pas un texte court, ils réagissent simplement à un titre.

Van Ranst : Ils sont constamment attirés dans un piège à lapin et confirmés dans leur vision erronée.

Subissez-vous également des menaces physiques dans la rue ?

Van Ranst : C’est arrivé quelques fois. Un jour, je me suis fait engueuler dans le train par un type qui hurlait que j’étais un rat de gauche et qu’il allait me tuer. Il a cependant commis l’erreur d’ajouter quelques saluts hitlériens devant les caméras de la gare, pour lesquels il a été condamné.

Cela en dit long sur le type de personnes qui agissent de la sorte.

Van Ranst : En effet. Ils sont stupides.

Avez-vous déjà été poursuivi en justice ?

Van Ranst : J’ai reçu deux citations directes, deux fois de la part de l’organisation néerlandaise Viruswaarheid. Elle a perdu deux fois.

Loos : J’ai été interrogé par la police suite à une plainte du chasseur qui était le président de l’unité de gestion de la faune dans la région où la louve Naya a été tuée. Il a prétendu que je l’avais identifié comme le tueur, mais ce n’était pas le cas. Je crois qu’il est en partie responsable de l’atmosphère dans laquelle Naya a été tuée et qu’il sait qui est le coupable. Mais ce n’est évidemment pas un crime.

La menace d’une action en justice pèse-t-elle sur vos activités ?

Van Ranst : Une citation directe est avant tout un vol de temps, ce qui peut m’énerver. Mais je me suis assuré que c’était intéressant en jouant moi-même l’avocat. J’étais complètement dans ce rôle.

Loos : C’est ce que je ferais aussi.

Puis, il y a l’affaire du militaire d’extrême droite Jürgen Conings, qui visait directement Marc.

Van Ranst : Ah, ma « coningskwestie ». (rires) (NDLR: en néerlandais, koningskwestie signifie question royale). C’était surréaliste. Je n’y ai pas prêté attention au début, jusqu’à ce que surgisse le mot « lance-roquettes ». Avec ça, il ne faut même pas savoir viser pour faire sauter une façade.

Loos : Le lendemain de la disparition de Conings, j’étais par hasard à la base militaire de Kleine Brogel pour une réunion sur les loups. On sentait la tension parmi les militaires.

La recherche de Conings a eu lieu sur le territoire des loups. Était-ce préjudiciable aux animaux ?

Loos : Non. Ils l’ont finalement trouvé à la limite de la zone des loups. Les loups vivent souvent dans des zones où se déroulent des exercices militaires.

Vous avez dû vous cacher pendant un mois, monsieur Van Ranst, protégé par la police.

Van Ranst : C’était désagréable. Surtout au début, c’était un peu comme des vacances ratées. On ne peut pas sortir parce qu’il pleut, alors on joue des jeux de société. Pour la première fois, j’ai regardé le concours Eurovision.

Loos : J’ai trouvé amusant qu’après coup, on ait dit que Marc était un superpropagateur, parce que pendant qu’il se cachait, les chiffres du coronavirus ont chuté de façon spectaculaire. (rires)

Van Ranst: C’est vrai que les chiffres ont baissé à ce moment-là.

Selon Nature, 15 % des experts spécialisés en coronavirus dans le monde sont victimes de menaces de mort. Anthony Fauci, la version américaine de notre Steven Van Gucht, a fait l’objet d’une surveillance policière permanente, le Britannique Chris Whitty a été agressé dans la rue. C’est hallucinant.

Van Ranst : Tous les experts du coronavirus en Belgique ont reçu des menaces de mort, souvent de la part des mêmes personnes. Le premier congrès corona dans notre pays, en septembre 2020, était sous surveillance policière.

Cette pression permanente pèse-t-elle sur les scientifiques ?

Van Ranst : Cela dépend de votre caractère et de votre expérience avec les médias. Il est utile de savoir ce que c’est que d’avoir des adversaires.

Même la militante pour le climat Greta Thunberg est victime de menaces de mort.

Van Ranst : Alors que cette jeune femme ne fait rien d’autre qu’oeuvrer à un avenir viable. Mais apparemment, pour certaines personnes, ce n’est plus possible. De nombreuses personnes dans notre société actuelle pensent qu’elles ont le droit d’intervenir. Tout le monde est un expert en tout. Je suis d’accord avec l’idée que tout le monde a une valeur égale, mais il n’est pas correct d’étendre cette idée à la proposition selon laquelle chaque opinion est également « vraie ».

Loos : Les erreurs flagrantes sont vendues comme « c’est mon opinion » pour les justifier. Cela ne rime à rien, non?

Van Ranst : On ne peut même plus dire que quelque chose est idiot. Il faut être compréhensif et entamer un dialogue, même si cela n’a généralement aucun sens.

Loos : J’ai plus de trente ans d’expérience dans les campagnes de promotion pour les associations de protection de la nature. J’ai appris qu’il ne faut jamais caresser l’illusion de convaincre tout le monde. En outre, vous devez veiller à ne pas perdre vos propres partisans en essayant d’en convaincre d’autres. Par exemple, Vera Dua, la ministre Groen de l’Agriculture et de l’Environnement, a perdu une partie de sa base de soutien en faisant trop de concessions aux agriculteurs.

La crise du coronavirus risque de durer encore un certain temps, ce qui signifie que les virologues devront faire face à une partie de la société pendant un certain temps encore.

Van Ranst : Oui, c’est quelque chose qu’on ne maîtrise pas. Mais ce n’est pas dans ma nature de me cacher dans mon laboratoire. Cela ne fait pas partie du job, mais cela vient s’y ajouter.

Est-ce dérangeant ?

Van Ranst : Quelqu’un comme moi aura toujours des adversaires.

Ceux qui s’opposent aux mesures sanitaires sont minoritaires.

Van Ranst : Cependant, cette minorité n’est pas assez petite pour n’avoir aucun effet, de sorte qu’elle est tout de même un peu pénible. Heureusement, elle ne réalise pas grand-chose. Chez nous, les gens sont prompts à se faire vacciner.

Ne serait-il pas plus facile de protéger la société sans cette minorité qui crie fort ?

Van Ranst : Il est frappant que les opposants aux mesures sanitaires sont aussi ceux qui crient que tout cela prend trop de temps. C’est l’un ou l’autre, évidemment. Dans des pays comme les États-Unis, le coronavirus est très politisé. Aux Pays-Bas, le Forum pour la démocratie, parti d’extrême droite, s’oppose à ces mesures. Ici, ce n’est pas si mal. Officiellement, le Vlaams Belang n’a pas d’opinion sur la crise du coronavirus, mais il s’enrichit en dormant.

Jan Loos, comprenez-vous que les gens aient peur du loup ?

Loos : Bien sûr. Je comprends surtout les craintes d’éleveurs de bétails, beaucoup moins celles des personnes qui n’osent plus se promener dans les bois.

Van Ranst : Les éleveurs de bétail ne sont-ils pas indemnisés pour les dommages causés par les loups?

Loos : Oui, même si parfois il y a une composante émotionnelle, surtout pour les particuliers qui perdent des moutons ou des poneys. Mais il faut oser voir la réalité. Je dis souvent, en riant, que j’ai été contre la gravité toute ma vie, mais qu’il ne sert à rien de la combattre car il n’y a rien à faire. Il en va de même pour le loup. Il ne partira plus jamais, alors on ferait mieux d’accepter sa présence. Après quatre ans, je n’ai plus d’empathie pour les personnes qui ne veulent pas prendre de mesures pour protéger leur bétail. Crier que le loup n’a rien à faire ici ne sert à rien. On pourrait tout aussi bien dire que le coronavirus n’a pas sa place ici et ne rien faire.

Le loup est visible, le coronavirus ne l’est pas. Cela crée-t-il une différence de perception ?

Van Ranst : La peur du grand méchant loup nous a été martelée dans la tête depuis l’enfance. À l’inverse, de nombreuses personnes pensent que quelque chose qu’elles ne peuvent pas voir est inoffensif. Si chaque particule de coronavirus avait la taille d’un ver, les mesures anti-coronavirus seraient suivies de manière beaucoup plus rigoureuse.

N’est-ce pas surtout la peur de perdre le contrôle qui joue un rôle ?

Van Ranst : Beaucoup de gens souffrent de l’orgueil démesuré du contrôle maximal. Heureusement, il y a moyen d’agir contre le coronavirus, avec des vaccins, des masques et d’autres mesures, mais cela a un prix. Cela fait maintenant un an que nous n’avons pas de circulation importante de virus du rhume, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Mais personne ne voudra rien de semblable à l’avenir si cela implique à nouveau une restriction de notre liberté.

Dans l’histoire du loup aussi, l’orgueil joue un rôle : nous sommes le patron.

Loos : En vertu d’une ancienne morale chrétienne, de nombreuses personnes se considèrent encore comme le chef de la création, qui déterminera ce qui est autorisé à vivre. J’espère une évolution démographique autonome, où la génération de ceux qui détestent les loups disparaîtra d’elle-même et sera remplacée par une génération qui a grandi avec les loups. Avec un peu de chance, certains enfants du Limbourg verront passer un loup dans leur jardin, tout comme un hérisson ou un écureuil.

Y a-t-il un risque qu’il y a ait trop de loups en Flandre ?

Loos : Pas du tout. La meute du Limbourg vit désormais à grande échelle, avec un territoire deux fois plus grand que celui de la meute de loups moyenne. Il y aura probablement une deuxième meute à cet endroit, pour lequel la première fera de la place. En outre, il y a tout au plus de la place pour deux ou trois meutes au nord des provinces d’Anvers et du Limbourg, qui opéreront principalement du côté néerlandais de la frontière. En Wallonie, où la nature est abondante, le loup deviendra probablement un phénomène régional.

Le coronavirus risque également de s’installer définitivement dans notre système.

Van Ranst : Il se transformera en virus du rhume, comme tant d’autres. Un autre exemple d’hubris est que les gens attendent trop des experts et des politiciens. Ils attendent de nous que nous résolvions le problème, et rapidement. Mais le problème ne peut être résolu, au mieux il peut être maîtrisé. Vous ne pouvez pas non plus « résoudre » les inondations, mais vous pouvez essayer d’en limiter les conséquences. Malheureusement, il y a maintenant un sentiment croissant que vous êtes un idiot incompétent si vous ne le résolvez pas. On ne s’est jamais débarrassé d’une épidémie autrement que par un confinement strict. Grâce aux mesures Corona, la grippe est sous contrôle depuis deux ans. Mais dès qu’on relâchera, elle reviendra.

Dans quelle mesure les hommes politiques acceptent-ils facilement le discours des scientifiques ?

Van Ranst : Ils en tiennent compte. Au début de la crise du coronavirus, bien sûr, c’était facile, car personne ne prétendait connaître la réponse. Sinon, un confinement aurait été impossible. Les politiciens et les scientifiques ont fait de grands efforts pour être accessibles les uns aux autres. Les politiciens ont même dévoilé les coulisses lorsqu’ils négocient, même si elles ne sont pas toujours très belles. Je pense que les compromis qui ont été faits ne sont pas déshonorants.

Sont-ils scientifiquement défendables ?

Van Ranst : Ce n’est pas toujours facile, mais c’est normal. La science et la politique ne doivent pas être copines. Il peut y avoir une couche de glace sur la relation. Cela rend le patinage plus facile.

Avez-vous été indemnisé par le gouvernement pour votre travail de virologue public lors de la crise du coronavirus?

Van Ranst : J’ai refusé. Si la politique vous paie, vous devez défendre loyalement les décisions du gouvernement, a déclaré le président du MR, Georges-Louis Bouchez. Alors, ce n’est pas la peine, même si nous avons souvent défendu les décisions du gouvernement. Mais quand on travaille avec des politiciens, il faut plus que jamais rester indépendant.

Certains affirment que le loup et le coronavirus ont tous deux été lâchés par l’homme.

Van Ranst : Mon hypothèse personnelle, c’est que le loup a apporté le coronavirus. (rires)

Les adversaires du loup mettent déjà en garde contre le risque qu’il apporte la rage.

Loos : Si un loup était infecté dans un pays comme la Pologne, où la rage existe encore, il ne nous atteindrait jamais. Le virus de la rage est un tueur rapide. Une éventuelle propagation de la rage serait très lente et serait probablement facilitée par d’autres animaux, comme les chiens.

D’où viennent ces histoires?

Van Ranst : On veut une explication pour des choses apparemment inexplicables. Pour certains, le péril jaune chinois est un élément explicatif. Dans leur logique, les Chinois ont lâché le virus.

Loos : Si vous ne regardez jamais les informations et que vous fondez votre opinion uniquement sur les discussions de bar des copains du club de tir ou du club de pêche, voilà ce que vous obtenez. Parfois, je trouve effrayant de voir à quel point il est facile de faire gober quelque chose aux gens.

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