© ANTHONY DEHEZ

Florence Mendez, humoriste bruxelloise: « La maladie mentale a un impact physique »

La Bruxelloise Florence Mendez a pour vocation de faire rire les autres. Mais quand on a fait face au harcèlement, au rejet et au trouble panique, on a aussi des prédispositions pour émouvoir et inspirer.

Florence Mendez n’a pas perdu le sens de l’accent. Logique, pour quelqu’un qui pense et rêve souvent en néerlandais – « cette fille très très moche mais qui a de la conversation » – et en anglais, son dialecte principal sur Tinder. Installée dans le canapé d’un appartement bruxellois, elle raconte comment sa relation avec les langues a rythmé plusieurs étapes importantes de sa vie. Comme en secondaire, alors qu’elle est une étudiante quasi bilingue qui lit le National Geographic quand elle a fini ses tâches. Une jeune fille qui souffre, aussi, et depuis longtemps. « Dès les primaires, c’était assez évident, rembobine la trentenaire. Je sentais un énorme décalage avec les autres enfants: ils disaient tous « zézette » quand je disais « vagin », ils jouaient à la Barbie quand je lui fixais un parachute d’Action Man ou que je la mettais dans le micro- ondes… » Avant ses 10 ans, Florence se passionne pour la mythologie grecque, la Seconde Guerre mondiale, elle lit Le Journal d’Anne Frank, qui devient une de ses héroïnes. « On ne s’intéressait pas mutuellement: moi, j’étais la fille bizarre, l’intello. Eux, ils étaient les méchants avec des centres d’intérêt débiles. » Quand elle se sent vraiment trop seule, Florence fait semblant. Mais elle se trouve un peu misérable de se faire passer pour quelqu’un d’autre pour ne pas être rejetée. Incomprise, harcelée, elle change cinq fois d’école entre la première et la quatrième secondaire.

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Son échappatoire? Un coin de la cour bien planqué et les volumes de la saga d’Harry Potter. « C’est l’histoire d’un antihéros qui naît dans un monde dans lequel il ne doit pas du tout être et qui le fait souffrir, puis qui d’un coup se retrouve dans un univers dans lequel il a sa place, qui lui appartient. Il y avait une part de moi qui espérait tellement que ce monde existe. » A 16 ans, isolée, flanquée d’un passif d’exclusion et de violence, Florence se crée un personnage de « meuf intelligente qui rejette les cons avec agressivité. » Lorsque ses seins poussent, elle cherche à se sexualiser, voyant la séduction comme un moyen d’être acceptée. Au moment où elle est diagnostiquée haut potentiel (HP), elle est complètement bousculée. Une psy spécialiste lui propose alors de l’accompagner entre les cours. « Elle m’a aidé à comprendre qu’il n’y avait pas que deux camps, mais une multitude de gens très bien qui étaient prêts à m’accueillir si, de mon côté, j’étais prête à faire le pas. » Florence s’y essaie, devient déléguée des rhétos, se sent un peu mieux.

Son plus gros risque

« On dit que pour arrêter les crises de panique, il faut se réexposer aux situations qui suscitent cette panique. J’ai très vite repris la voiture, d’abord accompagnée, puis seule. C’est ce qui m’a permis de remonter sur scène. »

Les langues reviennent quelques années plus tard. La jeune femme sort d’une expérience de vendeuse dans un magasin de figurines fantastiques et reprend des études de prof. Elles la mèneront dans plusieurs écoles de la périphérie bruxelloise. Où elle s’épanouit au contact des élèves – à qui elle fait écouter du rap flamand -, moins de certains professeurs aux discours et méthodes discriminants. Elle se lasse, aussi, d’un système pédagogique qui « fait répéter « Ik ben de vriendin van Piet » alors qu’on sait pas du tout qui c’est et que son histoire est nulle. » Dans le même temps, Florence continue d’écrire. L’héritage, entre autres, d’heures passées sur des forums « Harry Potter » à camper un personnage et à imaginer par écrit avec d’autres fans des scènes de l’univers. « J’y trouvais ma place, il y avait une vraie connexion entre les utilisateurs. A tel point qu’il y a quelques années, j’ai rencontré à Paris celle qui incarnait la meilleure amie de mon personnage.  »

Le déclic Gagnon

C’est comme ça: Florence ne s’embarrasse pas trop des codes. Surtout pas ce jour où elle lance la conversation sur Facebook avec l’humoriste Dan Gagnon. Le duo s’envoie des vannes et après quelques mois, le Québécois propose à la prof de langues de devenir autrice pour son émission. « Dan est la première personne avec laquelle je n’ai pas dû porter de masque et qui ne m’a pas sexualisée non plus. Je me suis sentie seule et à part tout le temps. Tout le temps! Avec Dan, ce fut la fin de la solitude. » L’esprit de Florence s’éclaircit: le retour en arrière n’est plus possible. Elle n’est plus à sa place dans son couple, dans son métier, dans son univers « ultra- normatif où je dois tout le temps faire semblant ». Alors elle bosse. Le passage du papier à la scène se fait dans la terreur, « plus que dans le trac, même si ça disparaissait un peu aux premiers rires ». Puis vient la première scène, en mars 2016 au Kings of Comedy Club d’Ixelles. « Un carton », suivi, d’une première partie de Guillermo Guiz et Laurence Bibot et des apparitions dans l’émission C’est presque sérieux sur La Première (RTBF).  » Soudain, je comprends que je suis drôle spontanément. D’ailleurs, énormément de répliques sont tirées de conversations privées, comme celle où je raconte à un collègue qu’une élève a voulu se suicider dans ma classe et que je lui demande, ironiquement, si j’aurais dû lui dire: « Ja Nadia, maar zeg het in het Nederlands! » »

« Je suis carrément fière d’être la personne que je suis aujourd’hui », confie Florence Mendez.© ANTHONY DEHEZ

2017, année chaotique

Juin 2017, la prof-humoriste jongle entre ses cours, la scène et une tentative de PMA (procréation médicalement assistée). « Je ne le vois pas encore, mais je suis déjà à bout mentalement. » Puis viennent les deux jours qui font tout basculer. Le 15, Florence reçoit un message de La Première qui l’invite à faire des remplacements pour Le Café serré. Le 17, elle fait sa première crise de panique. Seule, « comme une conne », dans sa Yaris, entre Liège et Bruxelles, avec un coeur qui bat à une vitesse folle et cette impression de mort imminente. La jeune femme parvient à se traîner jusqu’à l’hôpital de Huy où on lui intime de se calmer. « Mon ex, à qui je demande de venir me chercher, contacte les médecins qui lui répondent que c’est psychologique, ce mot qui décrédibilise tellement ce que vous avez alors que rien n’est strictement psychologique, il y a toujours un impact physique. » Son compagnon refuse de venir jusqu’à Huy pour ne pas céder à ses caprices. Florence reçoit « cinq milligrammes » de Témesta, un tranquillisant, mais ne lâche prise que lorsque son meilleur ami vient la récupérer. Les quarante-huit heures qui suivent, elle les a complètement oubliées. Pas la suite de l’été, qui devient un véritable enfer ponctué de trois ou quatre crises quotidiennes durant lesquelles elle se dit qu’elle va mourir. Même lorsqu’elle enregistre son premier Café serré.

Son mantra

« La stupidité est la même chose que le mal si l’on en juge par les résultats. » (Margaret Atwood)

Florence quitte l’école, enchaîne les examens médicaux, mais les médecins ne décèlent rien d’autre que du « stress ». « Moins on trouve, plus je pense que je deviens folle. » En juillet, son compagnon part en vacances, Florence se retrouve seule dans leur appartement, au quatrième étage. « A un moment donné, je me dis que ma vie est finie. » L’instant qui suit, elle est de l’autre côté du balcon. « Je ne veux pas mourir, je veux voir mon fils grandir, je veux écrire des choses, mais là il n’y a plus rien d’autre que de la souffrance, du mépris, de la solitude. Je ne veux plus vivre cela. » Puis elle entend les gamins du rez-de-chaussée jouer dans le jardin. « Je ne peux pas imposer cette vision-là à des gosses. » Dans sa poche arrière, son téléphone vibre. C’est son fils de 7 ans, « qui veut certainement me raconter une aventure à laquelle je ne vais rien comprendre… » Florence décroche, puis fait demi-tour. « J’avais toujours vu le suicide comme une échappatoire. Qui a disparu à 23 ans, quand j’ai mis Raphaël au monde. » Son fils la maintient en vie, mais les crises ne cessent pas. La plus violente survient fin août. Toujours en voiture, à hauteur de la sortie 18 de l’E19, à Drogenbos. Florence bondit hors de sa voiture et court entre les bandes pour demander de l’aide aux automobilistes, qui la frôlent sans s’arrêter, sauf un chauffeur de la Stib qui lui envoie les secours. Le lendemain, elle décide d’aller voir un psychiatre.

Faire rire et se sentir utile

La route vers la renaissance passe par le diagnostic d’un léger syndrome d’Asperger, la consommation d’antidépresseurs et le soutien d’une « armée » d’amis qui l’aident à se remettre sur pied quand elle se retrouve au début de l’automne sans mec, sans appartement, sans boulot et, surtout, sans fils, dont la garde lui est momentanément retirée. Florence commence d’abord par revivre: elle prend soin d’elle, mange enfin du solide, se remet à conduire. Puis elle écrit, encouragée notamment par Myriam Leroy, Florence Hainaut et l’éternel Dan Gagnon. Le retour sur scène se fait la même année, mais il manque quelque chose. « Je faisais comme toutes les femmes humoristes: je parlais de sexe et de maternité. » Sa rencontre avec l’attachée de presse parisienne Léo Domboy change tout. Celle-ci convainc l’humoriste de raconter sur scène ce qui lui est arrivé. « La maladie mentale, c’est pas un caprice ou une fragilité, c’est un vrai truc, c’est une vraie implication physique », glisse celle qui ne veut pas uniquement « faire rire », mais aussi se sentir « un peu » utile et « convaincre les gens de se soigner, de prendre soin de leur tête ». Le public adhère. Le Kings of Comedy Club se remplit, tout comme son agenda, qui l’emmène entre autres à Montreux et, depuis quelques mois, dans les studios de la chaîne française Teva, où elle participe au talk-show 100% féminin Piquantes, animé par Nicole Ferroni. La Bruxelloise vient également de faire ses débuts dans La Bande originale sur France Inter. « Je suis carrément fière d’être la personne que je suis aujourd’hui, ce qui ne m’était jamais arrivé. Les gens m’aiment enfin parce que je suis moi-même. » En néerlandais, on pourrait dire « Achter de wolken schijnt de zon ». Mais ce serait un peu réducteur.

Sa plus grosse claque

« Ma plus grosse crise de panique en plein milieu de la E19. C’est le déclic pour comprendre que mon mal était aussi causé par un dérèglement biochimique: je manquais de sérotonine. Les médicaments m’ont sauvé la vie. »

Ses 5 dates clés

  • 2012 : « J’entame mes études de prof, pour lesquelles on m’avait dit que je n’étais pas faite. J’ai obtenu la plus grande distinction. »
  • 2016: « Je monte sur scène pour la première fois. Il y a mes amis, leurs rires et leur regard qui semblent montrer qu’ils sont contents de me voir comme ça. »
  • 2017 : « L’année de mon trouble panique. Qu’est-ce que j’étais seule! On n’a pas de complaisance pour un « fou », on essaie de l’éviter. »
  • 2019 : « La vidéo de mon sketch Parler aux cons à Montreux suscite des commentaires sexistes violents, mais donne surtout une impulsion à ma carrière. »
  • 2021 : « Après le talk-show Piquantes sur Teva, je fais mes débuts dans La Bande originale de France Inter. »

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