VLD, l’auberge espagnole

Pour  » des Jeux olympiques en Flandre  » et  » un référendum sur l’Europe « . Contre  » la fraude sociale  » et  » le droit de vote aux étrangers  » : à force de vouloir ratisser large, le parti libéral flamand devient de moins en moins crédible

A croire qu’ils attirent la poisse. Chaque fois que les libéraux flamands ont cru pouvoir engranger les dividendes de leurs mutations successives et de l’évolution sociologique de la Flandre, ils ont dû ravaler leur cri de victoire et la jouer modeste. Pourtant, la société flamande se sécularise et, de scrutin en scrutin, le CD&V (parti social-chrétien) confirme sa descente aux enfers. Quant à la Volksunie, elle a volé en éclats, et certains de ses anciens responsables sont venus grossir les rangs du VLD, de même que quelques-uns des anciens poids lourds du CD&V. Tout ceci aurait dû  » naturellement  » permettre aux bleus flamands de réaliser enfin leur rêve : supplanter résolument l’ex-CVP au palmarès des partis du nord du pays. Mais voilà : les choses ne sont pas si simples et l’électeur s’ingénie à les compliquer. Certes, le VLD occupe depuis peu la place enviée de première formation flamande. En 1999, au lendemain d’élections marquées par le recul social-chrétien, les libéraux flamands l’ont emporté d’extrême justesse sur le parti chrétien à la Chambre des représentants. En mai dernier, ils ont conforté leur avance sur leurs rivaux traditionnels : l’opposition ne réussit décidément pas au CD&V, plus à l’aise dans les allées du pouvoir que dans un rôle d’aiguillon auquel sa présence ininterrompue au gouvernement ne l’avait guère préparé. Mais, comme pour gâcher la fête des libéraux, voilà qu’un autre concurrent, le SP.A de Steve Stevaert, a réalisé en mai un bond inattendu, ravissant ainsi largement la vedette au VLD. Et les derniers sondages d’intentions de vote ne sont pas faits pour le rassurer : alors que les libéraux se contenteraient de consolider leurs scores, les socialistes poursuivraient leur ascension, au point de ravir aux premiers leur première place sur l’échiquier politique flamand ! De quoi provoquer des ulcères, à moins que ce soit la déprime, dans les rangs du parti du Premier ministre…

Les prochains scrutins – les élections régionales et européennes – se tiendront en juin 2004, c’est-à-dire dans huit mois à peine : rien d’étonnant, par conséquent, si les libéraux flamands s’échinent à faire parler d’eux, font preuve d’une transe vibrionnaire, déplacent beaucoup d’air. Le problème, c’est que cette agitation revêt parfois toutes les apparences de la cacophonie. Rik Daems, l’ancien ministre des Entreprises et Participations publiques du gouvernement arc-en-ciel et actuel chef de groupe, s’est récemment illustré par une sortie fracassante sur l’inclination à la fraude sociale de nombre de chômeurs, plus condamnable que la fraude fiscale : pas mal, pour celui que la commission parlementaire d’enquête sur la faillite de la Sabena avait épinglé en raison de ses agissements pas très  » moraux  » sous la précédente législature ! Quelque peu maladroit aussi – à moins qu’on se trouve dans le registre de la provocation pure – de tenir pareils propos en s’exhibant devant sa demeure digne de servir de décor à la série Dallas. Carrément embêtant, enfin, quand cette déclaration vient polluer l’esprit des partenaires de la fameuse Conférence nationale pour l’emploi, l’une des priorités du Premier ministre Guy Verhofstadt. Dur, après cela, pour ce dernier, d’amadouer des responsables syndicaux un brin excédés. Mais peut-être s’agit-il d’une subtile distribution des rôles au sein du parti…

Dans un autre registre, le débat sur l’octroi du droit de vote aux résidents non européens pour les élections communales agite également le VLD. C’est écrit noir sur blanc dans la déclaration gouvernementale : l’initiative, dans ce domaine, revient au Parlement. Qu’à cela ne tienne : vendredi dernier, les parlementaires libéraux flamands, réunis pour préparer la rentrée politique, ont décidé de déposer une proposition de loi visant à régionaliser la faculté d’octroyer ce droit de vote aux ressortissants étrangers. Farouche adversaire de ce droit de vote au prétexte qu’une majorité du  » peuple  » flamand y serait opposée, le VLD espérait ainsi reporter l’échéance à la prochaine législature : la régionalisation de cette matière exigerait, en effet, la révision d’un article constitutionnel qui ne figure pas à l’agenda de ce gouvernement. On ne prend pas de très grands risques à supputer que l’ambiance, au cours de cette réunion parlementaire, ne fut pas des plus sereines : le refus d’accorder ce droit de vote aux étrangers non européens ne fait pas l’unanimité au sein du parti libéral flamand, loin s’en faut. Le parlementaire bruxellois Sven Gatz et le sénateur Patrik Van Krunkelsven, tous deux anciens de la VU-ID21, ne sont-ils pas les auteurs d’un ouvrage récent sur  » le libéralisme de gauche « , prônant l’octroi du droit de vote, ainsi que l’avait fait, avant eux, Annemie Neyts, adjointe de Louis Michel aux Affaires étrangères dans le précédent gouvernement ?

 » Nous ne faisons que répéter les convictions que nous défendions avant de passer au VLD « , soulignent les intéressés. C’est bien là le problème : en se lançant dans la grande aventure de l' » élargissement  » et d’une  » refonda- tion  » du parti, susceptibles d’appâter des personnalités politiques en déshérence et d’élargir la base électorale libérale, le VLD est devenu un parti attrape-tout à l’américaine, dans le programme duquel  » tout le monde doit pouvoir se reconnaître « . Cet  » idéal « , évidemment inaccessible, a augmenté les risques de contradictions internes et compliqué considérablement la prise de positions claires et nettes. Bien sûr, les libéraux flamands ne sont pas les seuls dans ce cas : la recomposition du paysage politique flamand encourage chaque formation politique à ratisser large pour tenter de ramasser quelques beaux restes du CD&V et de la défunte VU, mais aussi pour attirer quelques-uns des électeurs du Vlaams Blok et freiner ainsi l’expansion de l’extrême droite. Ainsi, il y a parfois davantage que des nuances – lesquelles se renforceront sans doute encore à l’approche du prochain scrutin régional – entre le discours des responsables du SP.A et celui de la  » chapelle  » Spirit, qui reste un parti à part entière, malgré son alliance avec les socialistes. Et ne parlons pas du parti chrétien, déchiré par une véritable lutte des clans, larvée mais bien réelle…  » Au VLD, nous avons pris le parti de ne bâtir ni chapelle ni annexe, souligne Herman De Croo, le président de la Chambre des représentants. Les nouveaux venus ont été d’emblée cooptés au bureau exécutif du parti, où ils bénéficient du même droit à la parole que les membres plus anciens. Or ils ont leur propre sensibilité et entendent bien la faire valoir : normal, dès lors, que plusieurs voix fusent des coulisses. Parmi les membres ô anciens », d’ailleurs, il y a parfois aussi des divergences d’opinion. Personnellement, j’étais très réticent à l’idée de légiférer sur l’euthanasie et de libéraliser les drogues douces : cela ne m’a pas empêché, le moment venu, de faire allégeance à la majorité qui s’était dégagée à l’intérieur de mon groupe parlementaire.  »

Ce discours optimiste cache mal, cependant, les rivalités entre les  » conservateurs  » et les  » modernistes « , les  » anciens  » et les  » jeunes « , et la fragilité d’un parti contraint de réaliser le grand écart entre une doctrine économique résolument droitière, un nationalisme flamand prononcé et un libéralisme assez progressiste sur le plan éthique.  » Le VLD illustre à merveille l’évolution sociologique de la Flandre et ses multiples contradictions, observe un député. Ce parti doit opérer une synthèse presque impossible entre trois courants parfois antagonistes : le libéralisme traditionnel, encore fortement anticlérical (incarné notamment par Karel De Gucht, le président du parti, Herman De Croo et le vice-Premier ministre Patrick Dewael), le libéralisme moderne, progressiste, tentant de transcender les clivages traditionnels entre la gauche et la droite (Sven Gatz, Patrik Van Krunkelsven, Johan Van Hecke) et, enfin, un libéralisme de ôparvenus », de ônouveaux riches » décomplexés, en rupture idéologique avec la social-démocratie et rêvant d’importer chez nous le modèle américain (Rik Daems, Pierre Chevalier).  » A cette classification, il convient d’ajouter les  » jeunes « , simplement modernes et vaguement agitateurs, chez qui la  » fibre  » flamande tient lieu de doctrine idéologique. Tel Bart Somers qui, à quarante ans à peine, occupe le poste de ministre-président du gouvernement flamand et est passé maître dans l’art des déclarations aussi fracassantes (n’a-t-il pas appelé de ses v£ux l’organisation,  » par la Flandre « , des futurs Jeux olympiques ?) que sans lendemain. Le souhait du VLD de voir organiser un référendum sur l’Europe est sans doute à ranger également au rayon des accessoires nationalistes d’un parti soucieux de soigner son profil flamand dans la perspective des prochaines élections : si, comme on peut l’imaginer, les résultats devaient sensiblement diverger entre le Nord et le Sud, Karel De Gucht pourrait prophétiser, une fois de plus,  » l’évaporation de la Belgique « .

Dans pareil contexte, le risque est grand, pour le VLD – ainsi d’ailleurs que pour le SP.A, désormais son principal rival -, de se transformer en un grand ensemble aux contours particulièrement flous et aux positionnements idéologiques exclusivement inspirés du marketing politique, se contentant de surfer sur les sondages d’opinion et de coller de près aux désirs supposés, multiples et contradictoires, du corps électoral. Mais l’aimantation du stock de voix que représente le Vlaams Blok bride considérablement la créativité de la droite flamande, laquelle perd ainsi beaucoup de sa capacité sur le terrain de la pédagogie. Résultat, c’est l’extrême droite, sur laquelle on guigne, qui risque, une fois encore, de rafler la mise…

Isabelle Philippon

Le VLD incarne toutes les contradictions de la société flamande

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