Le confinement a tout changé. Fini les calicots, les grimages, la rue... © BELGA IMAGE

Des jeunes KO debout: toujours engagés mais moins visibles

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les jeunes regorgent-ils d’énergie pour retourner battre le pavé, calicots en main? Apparemment, oui. Avec des opinions sans doute aiguisées par la Covid.

La dernière Marche pour le climat rassemblant des milliers de jeunes a déferlé sur la capitale fin février 2020. Puis, la Covid a brutalement mis fin à cette mobilisation durable qui avait attiré les regards, ceux admiratifs des parents, ceux aussi des politiques, impressionnés par ces rassemblements à répétition, festifs mais déterminés. Le confinement a tout changé. Fini les calicots, les grimages, la rue… En septembre dernier, entre deux vagues pandémiques, les jeunes du monde entier ont voulu battre à nouveau le pavé. Mais ce n’était plus ça. A Bruxelles, dans le respect des règles sanitaires, quelques dizaines de manifestants se sont retrouvés pour un sit-in devant la Monnaie.

Dire aux jeunes qu’il est dangereux de manifester ou même d’aller voter peut avoir un impact sur leur comportement collectif futur.

« Les envies d’engagement n’ont pas diminué, assure Adélaïde Charlier, la leader souriante de Youth for Climate. Les jeunes qui veulent rejoindre nos réunions virtuelles sont de plus en plus nombreux. On ressent énormément d’énergie pour défendre la planète et aussi une série de droits humains. Mais cette énergie reste difficile à exploiter pour le moment… » La mobilisation est en train de se réinventer. Rendez-vous pour une nouvelle action « climat » le 19 mars prochain, avec des rues bloquées. Pas par des manifestants, mais des milliers de chaussures, des calicots, des oeuvres artistiques…

La présidente des Jeunes CDH, Opaline Meunier, est moins optimiste. Pour elle, et cela ne date pas de la Covid, la mobilisation des jeunes se concentre sur des thématiques consensuelles, comme l’avenir de la planète. « Lors d’une manif syndicale, on voit très peu de jeunes, constate-t-elle. Ils perdent de leur capacité à faire pression sur les gouvernants. Ils ne se rendent pas compte de l’impact qu’ils peuvent avoir. » Ils manquent de modèles appartenant à leur génération. Adélaïde Charlier est une exception. Surtout, le débat est complexe en Belgique. « Pour dénoncer un problème dans une haute école bruxelloise, il faut se rassembler devant la Cocof, LOL quoi! », grimace l’humaniste de 27 ans.

Mobilisation Par Vagues

Désengagés, les jeunes? « Je ne le crois pas du tout, affirme Geoffrey Pleyers, prof à l’UCLouvain et vice-président de l’Association internationale de sociologie. Leur engagement est moins visible parce que beaucoup de choses se passent sur les réseaux sociaux, a fortiori durant le confinement. Hors crise sanitaire, les manifestations sont plus sporadiques qu’auparavant, c’est vrai, et on s’étonne, à ces occasions, de voir que les jeunes sont politisés. Mais leur engagement, lui, n’a rien de sporadique. Il prend des formes diverses, est à la fois individuel, quotidien, avec la pratique du zéro déchet par exemple, et collectif, via des associations locales ou des mouvements internationaux comme Extinction Rebellion. »

Le politologue Jean-Benoît Pilet, professeur à l’ULB, partage ce constat: « Depuis plusieurs décennies, on observe un déclin de l’intérêt pour la politique traditionnelle, à tous les âges, dit-il. Néanmoins, les jeunes de 2021 sont capables de se mobiliser autant que les générations précédentes pour des causes politiques au sens large, telles que l’environnement ou l’antiracisme. Leur participation se fait davantage par vagues, lors d’élections à enjeu majeur, à l’instar des présidentielles en France ou aux Etats-Unis. » Cela n’a plus rien à voir avec l’époque où tout était divisé en piliers, socialiste, libéral, chrétien. « Il y avait alors un engagement total, souvent familial, au niveau du syndicat, de la mutuelle, etc., relève le professeur Pleyers. Aujourd’hui, les engagements sont décloisonnés. »

Notre gouvernement préconise un retour à la normale le plus rapide possible, alors que cette pseudo-normalité apparaissait déjà, pour moi, comme une crise immense. Ne nous attendons pas à ce que nos responsables initient un changement de cap. Si nous voulons aller vers un monde plus juste, plus solidaire, il faudra se battre.

Esmu0026#xE9;ralda, 27 ans, Verviers, le 15 mai 2020.

Reste que ne plus pouvoir descendre en masse dans la rue depuis onze mois est très problématique, car c’est entre 15 et 20 ans que la mobilisation à travers des manifestations structure l’engagement. Dire aux jeunes qu’il est dangereux de manifester ou même d’aller voter peut avoir un impact sur leur comportement collectif, si la crise sanitaire dure encore longtemps. » Les rapports de force dans la société pourraient s’en trouver altérés. Il est plus facile pour un gouvernement de résister à une vague de clics qu’à de grosses manifs.

D’un extrême à l’autre

Les situations de crise ayant un fort ressort émotionnel sont aussi des opportunités pour susciter des engagements. Certains partis parviennent plus que d’autres à capter ces émotions chez les jeunes. Dans le sud du pays, le PTB profite de ce rôle de réceptacle, via le Comac, le mouvement étudiant du parti. « Nous arrivons à un millier de membres et l’année académique est loin d’être terminée, annonce Max Vancauwenberge, le président du Comac. L’année précédente, nous avons terminé avec 600 membres. On sent qu’il se passe quelque chose. Nos vidéos concernant les problèmes des étudiants ont beaucoup de succès. Y compris en Flandre. »

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Mais, dans le nord du pays, c’est surtout le Vlaams Belang qui capte l’adhésion des jeunes. Nous avons tenté d’interroger le président des jeunes VB pour savoir si la Covid leur avait amené davantage de membres, comme c’est le cas en Autriche avec la droite radicale. Pas de réponse. L’engagement des jeunes précarisés, lui, semble plus compliqué. Leur environnement familial se caractérise par un rejet général des partis. Ce n’est pas nouveau: dans les quartiers « à l’abandon », où aucun parti, même radical, joue le rôle de réceptacle de la colère des jeunes, ce sont les leaders religieux islamistes qui prennent le relais. Avec les risques qu’on connaît.

Tout cela augure-t-il d’une radicalisation de la génération 18-25? « L’attrait des jeunes pour des postures radicales de remise en cause du système fait partie de leur construction, analyse Jean-Benoit Pilet. Cela ne dure généralement qu’un temps. » Pour Geoffrey Pleyers, la Covid pourrait renforcer les convictions qu’ils avaient avant la crise, qu’elles soient écologistes ou identitaires. « Les écologistes se confortent dans l’idée que les virus émergent à cause de la destruction de la nature, les identitaires dans celle de la nécessité de fermer les frontières », pointe le sociologue. Dangereux? Sans doute moins en Belgique – où la culture du consensus reste fort ancrée – qu’en France ou aux Etats-Unis. Mais à ne pas sous-estimer.

Raison de plus pour écouter les jeunes. Et les responsabiliser en leur accordant, pourquoi pas, le droit de vote à 16 ans. « Voilà une bonne idée, pourvu que ce soit encadré par le cour de citoyenneté à l’école, commente le professeur Pilet. Mais la Belgique n’aime pas toucher à son code électoral. » Ce serait pourtant un bon signal donné aux jeunes.

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