Bernard De Vos © Belga

Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant: « Les jeunes, on leur doit des excuses »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le délégué général aux droits de l’enfant ne mâche pas ses mots. Pour lui, depuis le début du covid, on a eu tout faux avec les jeunes qui, plutôt que d’avoir de la reconnaissance, ont été injustement oubliés et stigmatisés. Il est encore temps de réagir. Mais il y a urgence.

Le 27 janvier dernier, un Comité de concertation « Jeunesse » était enfin annoncé, mais il a été annulé à la dernière minute. Maladroit ?

Surréaliste, oui ! Au niveau symbolique, impossible de faire pire. Cela montre à quel point la communication du gouvernement n’a vraiment pas été à la hauteur des jeunes. Depuis le mois de mars 2020, je dis qu’il faut y être attentif. On a incroyablement manqué de vigilance par rapport à leur malaise, malgré les messages venus du milieu scolaire et de celui de l’aide à la jeunesse. Lors du dernier comité, je suis interrogé en direct par la RTBF avant d’être interrompu parce qu’Elio Di Rupo sort de la réunion. Un journaliste lui demande ce qui a été décidé pour les jeunes. Il répond : « On va créer des groupes de travail. » De qui se moque-t-on ? Onze mois après le début du Covid, on en est à créer des groupes de travail…

Certains parlent de « Génération Covid ». C’est le bon terme ?

Pas du tout. « Génération Covid » ou « génération sacrifiée », c’est insupportable. Pour beaucoup de gens, la « génération Covid », ce sont des tricheurs, qui auront obtenu leur diplôme dans une boîte à chiques, des profiteurs, qui sont restés au lit, des instables, en souffrance psychologique, des inciviques, qui ne respectent pas les règles sanitaires… On a stigmatisé les jeunes et sali leur image, de manière très injuste. Oui, le Covid sera un marqueur générationnel. C’est évident. Mais je préfère parler de « génération résiliente », car les jeunes ont été globalement résistants et respectueux des règles, avec le souci responsable de protéger les aînés, leurs grands-parents, leurs parents. On ne le dira pas assez.

On le dit davantage aujourd’hui, tout de même…

Oui, mais ces jeunes ont non seulement été stigmatisés, pendant onze mois, mais ils ont aussi manqué de reconnaissance pour ce qu’ils endurent, à leur âge, à cause du confinement et pour les efforts qu’ils ont fait, malgré tout. C’est long onze mois. Si on veut accepter que cette génération se reconstruise, il faut accepter de dire qu’on s’est planté, qu’on est désolé. On leur doit des excuses. Et des compensations aussi. Comme pour les secteurs économiques impactés par la crise. Des jeunes connaissent des problèmes financiers énormes. Beaucoup se sont saignés pour payer un minerval et un kot et se retrouvent depuis près d’un an chez leurs parents. Qui va compenser tout cela ?

Beaucoup de jeunes vont mal ? Cela vous inquiète ?

Ils ne sont pas spécialement dépressifs, mais ils expriment des sentiments dépressifs. Il faut pouvoir les entendre. C’est essentiel. Jusqu’ici, ils n’ont jamais été associés à une réflexion quelconque, même pas sur ce qui les concernent directement. Comment voulez-vous qu’ils n’aillent pas mal ? Il existe pourtant des représentations bien organisées, comme la FEF ou le Forum Jeunesse, mais ces acteurs ne sont pas consultés. On les informe, deux heures avant, des décisions des comités de concertation. En réalité, le Covid révèle, à ce niveau-là aussi, des failles qui ont toujours existé.

Désormais, on parle beaucoup des jeunes. Trop tard ?

Très tard, en tout cas. Le déclencheur de l’intérêt pour les jeunes n’a été le ramdam du secteur jeunesse, mais la carte blanche des pédopsychiatres dans les médias, qui disaient que leurs salles d’attente débordent. C’est la même logique qu’avec les unités de soins intensifs : c’est quand elles commencé à déborder qu’on a pris la contamination au Covid très au sérieux. Mais, en terme de prévention, on n’a rien fait.

Quelle génération tout cela prépare-t-il pour demain ?

Je ne suis pas Madame Soleil. Je crois que cela dépendra des capacités de résilience de chacun et de l’attitude des adultes envers eux. Certains ne s’en remettront pas, d’autres parviendront à se construire sur cette expérience traumatisante qu’aura été le Covid. On peut imaginer que cette crise engendrera trois figures possibles. Certains jeunes se découvriront des ambitions politiques au sens noble du terme, en se disant « on s’est bien fait marcher sur les pieds, maintenant on va montrer de quoi on est capable ». D’autres risquent de verser dans la révolte non réfléchie. D’autres encore vont sans doute se laisser glisser.

Il y a un risque de révolte ?

Oui, bien sûr, il ne faut pas l’écarter, même si la Belgique a une tradition de consensus plus forte qu’en France, par exemple. Heureusement, les chiffres du Covid sont plutôt bons pour l’instant, en Belgique, ce qui montre que les efforts consentis, y compris par les jeunes, ne sont pas vains. Si les chiffres étaient mauvais, le découragement et l’exaspération seraient bien plus grands. Je pense qu’il y a surtout un risque de défiance profond vis-à-vis des institutions qui auront été défaillantes avec les jeunes, à savoir la police et l’école qui sont celles qu’ils rencontrent en premier et qui ne se sont pas montrée à la hauteur de ce qu’on attendait d’elles depuis le début de la pandémie. D’où la nécessité urgente d’avoir un discours de reconnaissance. Vous savez, les excuses n’ont jamais tué personne. On en sortirait tous grandis.

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