Quel Pandy ment?

Agnes Pandy accuse son père, le pasteur hongrois Andras Pandy, d’avoir « dissous » les corps de six proches dans du déboucheur liquide. Lui jure qu’elle est folle. Plongée au coeur de l’épouvante

Dans le box des accusés, ils ne se parlent pas, n’échangent même pas un regard. Agnes-aux-yeux-embués, frêle petite personne de 42 ans, raide comme une morte, paraît tétanisée par la proximité de « P », ce père prédateur qu’elle a chargé de crimes sordides, en admettant sa propre complicité: la liquidation pure et simple ou, pour mieux dire, la « liquéfaction » de six membres de leur famille… Lui, Andras, le patriarche, affiche la nonchalance, l’impatience d’une star offensée. A 74 ans, derrière ses verres fumés, sous sa toison moutonneuse grisonnante, il ressemble à un crooner trapu. Crânait-il un peu, le 18 février, devant la cour d’assises de l’arrondissement de Bruxelles-capitale, à l’ouverture d’un procès largement médiatisé? Ses rictus fréquents ajoutent au mystère d’un homme narcissique et paranoïaque qui, dit-on, n’a jamais souffert la critique de la part de son entourage. Mais, cette fois, le maître absolu joue gros. Car, en dépit d’un faisceau d’éléments confondants, le pasteur hongrois continue de nier en bloc ce que la justice belge lui reproche. A savoir, les meurtres, à Bruxelles, entre 1986 et 1989, d’Ilona Sores et d’Edit Fintor, ses première et seconde épouses, ainsi que de quatre de ses huit enfants ( voir le tableau). Plus une tentative d’assassinat perpétrée en 1985 sur Timea, la fille aînée d’Edit. Et, enfin, des abus sexuels commis pendant une dizaine d’années sur trois de ses filles et belles-filles. L’un de ces rapports sera d’ailleurs fécondant, puisqu’en 1984 Timea mettra au monde un fils incestueux, Mark. Bien qu’une analyse d’ADN, réalisée par le Pr Jean-Jacques Cassiman (KUL) avec une précision d’horloger, lui attribue la paternité de l’enfant à 99,9989 %, Pandy persiste à contester qu’il s’agisse là du produit d’un viol. La justification qu’il avance, pour cette grossesse non désirée et savamment camouflée (pour donner le change, son épouse portera un coussin sur le ventre jusqu’à l’accouchement), relève du vaudeville: en honorant sa femme, Pandy affirme avoir éjaculé dans une serviette. C’est Timée qui, frottant le bout de ce tissu entre ses jambes, se serait mise enceinte… Les experts, il va sans dire, estiment cette explication « totalement irréaliste ».

Pour se retrouver dans les méandres de cette famille recomposée (et presque frappée de consanguinité), il faut sans doute, comme les 12 jurés néerlandophones, disposer d’un tableau généalogique du clan Pandy. Andras naît à Csap, en Hongrie, en 1927. Marié à Ilona Sores, il s’installe trente ans plus tard à Bruxelles, où il prétend devoir prendre en charge une communauté protestante hongroise. Après la naissance d’Agnes (1958) et de Daniel (1961), celle de Zoltan, en 1966, met de l’eau dans le gaz. Pandy pense qu’Ilona a entretenu une relation avec un certain Robert (jamais identifié par la police) et qu’il n’est pas le géniteur du gamin. Le divorce est prononcé l’année suivante. En 1979, Pandy épouse Edit Fintor, une divorcée rencontrée par petites annonces. Il adopte ses trois filles, Timea, Aniko et Szuzsanna, en rebaptisant les deux plus jeunes Tünde et Andrea. Le ménage accueille ensuite deux enfants, Andras Aron (en 1980) et Marianna Reka (en 1981).

Difficile de savoir ce qui, dans les années qui suivent, déclenche la démence familiale. Mais, en janvier 1992, sa fille Agnes alerte la police judiciaire de Bruxelles. Elle signale la disparition de six membres de sa famille et dénonce les abus sexuels dont elle et ses soeurs, Timea et Tünde, auraient été victimes. Deux dossiers sont ouverts. Il faudra néanmoins du temps avant que l’étau se resserre sur Pandy. Notamment parce que l’homme met les déclarations de sa fille sur le compte d’une « dépression » et d’un « embrigadement dans la secte des  » Onsterfelijken«  » (les « Immortels »), inconnus au bataillon. Mais aussi parce qu’il produit des témoignages crédibles (dont celui de son fils mineur Andras Aron) qui affirment avoir vu les « absents » en Hongrie. En réalité, le pasteur a payé des acteurs, afin qu’ils jouent, là-bas, le rôle des disparus. Andras junior le confirme: ces « lettres de Hongrie » ont bien été écrites sous la contrainte de son père. Le 17 octobre 1997, Pandy est arrêté. Le 20 novembre, lors d’une nouvelle audition, Agnes craque et prend à son tour le chemin de la prison.

C’est elle, pourtant, qui a révélé les détails atroces. Mais, au premier jour du procès, le récit par le ministère public des circonstances des meurtres lui a arraché des bouillons de larmes. Selon l’accusée, la série macabre débute le 31 juillet 1986: Edit est frappée à mort, après avoir rédigé sous la menace une prétendue lettre de rupture, dont Pandy se servira plus tard pour porter plainte contre son épouse, « pour abandon de foyer »… C’est ensuite au tour de la jeune Andrea de recevoir les coups de marteau fatals. Mère et fille sont traînées à la cave, pour subir le sort d’animaux de boucherie. Découpées au couteau de cuisine, des parties de leurs corps sont abandonnées dans des sacs en plastique aux abattoirs d’Anderlecht. D’autres restes sont plongés dans des poubelles emplies de « Cleanest », un nettoyeur sanitaire puissant, capable de dissoudre entièrement les matières organiques. Par sécurité, le duo diabolique a préalablement testé son efficacité sur des cuisses de poulet. Agnes affirme que Pandy contrôle régulièrement le processus de décomposition, et qu' »en une petite semaine » l’affaire est réglée: d’Edit et d’Andrea, il ne reste bientôt qu’un liquide épais, qui sera déversé dans la rigole.

En mars et en avril 1988, Ilona, Daniel et Zoltan sont abattus à la carabine. L’acte d’accusation, qui ne fait pas dans la dentelle, précise que le père et la fille les ont ensuité « hachés en petits morceaux ». Tünde, qui disparaît en juin 1989, a vraisemblablement subi le même sort: elle est la seule victime dont Agnes, absente aux moments des faits, ne s’accuse pas du meurtre. Quant à Timea, présentée comme témoin clé dans le procès, elle a sans doute eu le flair de fuir à temps. Il est vrai qu’en 1985 Agnes a tenté de l’assommer à coups de barre de fer. Seulement blessée à la tête, son bébé sous le bras, elle a fui au Canada, où son beau-père et sa belle-soeur, comme dans un film d’horreur, tentent de la rejoindre par deux fois. « Pour l’éliminer, assure Agnes. Et récupérer Mark, que P a toujours considéré comme son fils. » Et pour cause…

Les mobiles?

En dépit des pièces à conviction mises au jour lors des perquisitions effectuées dans les trois maisons de Pandy (sept armes, des dizaines de litres de Cleanest et… des ossements humains, sans lien avec les disparus mais dont la provenance n’a pu être établie), Pandy nie. D’après lui, « les six résident quelque part, mais ne veulent pas se faire connaître… »

En continuant d’affirmer contre vents et marées que ses proches sont vivants au sein de sectes (elles ont décidément bon dos), Pandy s’isole incontestablement d’une opinion publique convaincue par avance qu’il a commis des crimes. Mais, pour autant que le jury tranche en ce sens, qui pourra jamais en cerner les mobiles? Sans doute, les uns et les autres représentaient-ils des périls potentiels pour Pandy. Selon Agnes, Edit, qui avait découvert les relations incestueuses du pasteur avec ses filles, projetait de divorcer. Ilona, de son côté, menait la vie rude à son ex-mari. Tünde et Andrea risquaient peut-être de dénoncer les turpitudes d’un beau-père abusif. Quant aux premiers fils de Pandy, l’énigme reste entière. De Daniel, le pasteur écrit, dans des carnets intimes que les enquêteurs ont disséqués, qu’il n’est qu’un  » rotte vrucht » (un « fruit pourri »), un fils ingrat et sans respect. Zoltan s’est-il montré trop inquiet de la disparition de ses frère et de sa mère? Et Agnes a-t-elle senti que son tour ne manquerait pas de venir? Trop jeunes pour constituer une menace à l’époque du carnage (ils avaient 6 et 5 ans lors de la disparition de leur mère), Andras Aron et Marianna Reka sont, apparemment, les seuls avoir été « épargnés ». Leur comparution devant la cour est très attendue: l’un et l’autre se sont constitués partie civile contre le tyran.

Valérie Colin

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