Quand l’histoire se répète

Les rébellions au Congo se suivent et se ressemblent. Et se renouvelleront tant que Kinshasa ne sera pas en mesure d’asseoir son autorité sur l’ensemble du pays. Décryptage en huit étapes.

1. Qui sont les acteurs de cette guerre ?

Le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et l’armée régulière (FARDC) font face au Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), mouvement politico-militaire dirigé par le général déchu Laurent Nkunda, un Tutsi congolais. Mais d’autres acteurs participent au conflit, notamment les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé composé en grande partie de Hutu rwandais, dont certains ont participé au génocide au Rwanda. Nkunda accuse Kinshasa de collaborer avec eux. De son côté, Kinshasa accuse le Rwanda de soutenir Nkunda pour mieux piller les ressources de l’est du Congo. Cela sans compter plusieurs autres milices (notamment les groupes Maï-Maï), dont la composition et les alliances changent en fonction des intérêts du moment.

2. Quelle est l’origine du conflit ?

Après le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, des milliers de Hutu se sont retrouvés au Congo. Parmi eux, de nombreux tueurs, bien décidés à  » terminer le travail  » au Rwanda, dirigé désormais par les anciens rebelles tutsi de Paul Kagame. Culpabilisés par leur inaction durant le génocide, les pays occidentaux ont laissé Kagame régler le problème par la force. En 1996, une première rébellion téléguidée par Kigali mènera à la chute du régime Mobutu, remplacé par Laurent-Désiré Kabila. Son ingratitude à l’égard de ses maîtres rwandais conduira à une deuxième rébellion, en 1998. Les pays voisins s’en sont mêlés et le conflit tourna à la guerre régionale. Il se terminera par les accords de Lusaka, en 1999, entre le pouvoir de Kinshasa et les principaux groupes armés, et le retrait progressif des troupes rwandaises. L’élection démocratique de Joseph Kabila en 2006 n’a pas empêché Laurent Nkunda de lancer une nouvelle rébellion, fortement inspirée des précédentes.

3. Quels en sont les enjeux ?

Principal enjeu, les FDLR. Nkunda et les Rwandais les considèrent comme une menace pour les Tutsi. Or ils combattent aux côtés des FARDC, ce qui explique le regain du conflit. La plupart d’entre eux se sont toutefois intégrés au sein de la population congolaise et ne veulent donc pas retourner au Rwanda. Autre enjeu : la lutte pour le pouvoir. Si Nkunda ne défend que les Tutsi, il prend le risque de s’attirer l’hostilité des autres groupes. Il veut donc élargir son assise avec d’autres mécontents, d’où ses appels à renverser le pouvoir à Kinshasa. En toile de fond : la convoitise sur les ressources du Congo : cassitérite, coltan, or, mais aussi les recettes douanières. Au poste frontière de Rumagana, les forces de Nkunda perçoivent jusqu’à 1 million de dollars par mois sur les camions de marchandises en provenance des pays voisins. Armes et matières premières se croisent par le même circuit.

4. Quelle est la situation sur le terrain ?

Un cessez-le-feu est intervenu et les rebelles se sont arrêtés aux abords de Goma. La Monuc leur a interdit d’entrer dans la ville, mais elle n’aura pas forcément les moyens de les en empêcher. La situation humanitaire dans le Nord-Kivu est considérée comme pire qu’au Darfour. Aujourd’hui, près de 1,6 million de Congolais seraient pris au piège de la crise. L’aide humanitaire s’organise toutefois. Une autre conséquence est le regain de ressentiment à l’égard des Tutsi. Or Nkunda se bat pour l’effet contraire…

5. Le Rwanda est-il impliqué ?

A tout le moins, Kigali laisse faire. Nkunda passe la frontière à sa guise pour recruter ou pour se faire soigner, car il serait malade du sida. Comme de nombreuses matières premières transitent par Kigali, le Rwanda a intérêt à être en bons termes avec ceux qui contrôlent l’est du Congo. Le Kivu est plus proche de Kigali que de Kinshasa, et peuplé de nombreux rwandophones. Pour le reste, le Rwanda est devenu le bouc émissaire de nombreux Congolais prompts à blâmer les Tutsi pour tout ce qui ne va pas au Congo. Or le pillage de l’est du pays ne peut se faire qu’avec la complicité de Congolais. Même au sein du pouvoir à Kinshasa, certains ont intérêt à ce que la guerre se poursuive.

6. Que fait la Monuc ?

Forte de 17 000 hommes, la mission de l’ONU (Monuc) est souvent accusée de passivité, si ce n’est de couardise. Mais le contingent de la Monuc est peu étoffé en regard de la taille du pays (équivalente à l’Europe occidentale) et des multiples fronts auxquels il doit faire face : Sud-Kivu, Ituri (nord-est), rébellion ougandaise de la LRA (nord). Ensuite, son mandat n’est pas d’écraser la rébellion mais d’appuyer l’armée nationale et de protéger la population, ce qui tend parfois à la schizophrénie. Enfin, la Monuc ne peut raisonnablement se substituer aux FARDC si celles-ci se dérobent face à la rébellion, sauf en cas de menace imminente sur la population. Des pilotes d’hélicoptères indiens n’ont pas hésité à faire feu sur les troupes de Nkunda.

7. Comment réagissent les pays occidentaux ?

Le chassé-croisé de ministres et de diplomates montre que les bailleurs de fonds réagissent plus rapidement, au-delà du simple  » sparadrap humanitaire « . Sans réaction durant le génocide, et d’une passivité tout aussi criminelle lorsque les guerres de 1996 et 1998 ont éclaté, ils ont fini par largement investir en faveur de la paix au Congo : financement de la Monuc, des élections, de l’opération Artemis… Principal point d’achoppement : l’interminable réforme de l’armée congolaise. A se demander où est passé tout l’argent des donateurs. Après avoir évoqué une force européenne, le sujet n’est plus à l’ordre du jour. Les Occidentaux privilégient la négociation entre les protagonistes.

8. Comment sortir du bourbier congolais ?

Les possibilités de solution sont bien connues : désarmement des FDLR et incorporation des forces de Nkunda dans l’armée nationale. Parallèlement, Kinshasa doit accélérer la professionnalisation de l’armée républicaine, afin qu’elle puisse sécuriser les frontières et protéger l’ensemble des citoyens, y compris les Tutsi. Une nouvelle conférence devra réaffirmer ces principes à Nairobi (Kenya), et jeter les fondements d’une normalisation des relations entre le Congo et le Rwanda. Au-delà, le gouvernement congolais n’a d’autre choix que s’attaquer à la pauvreté,  » qui est aussi à l’origine de la violence dans la sous-région « , rappellent des députés du parti de Kabila.

François Janne d’Othée

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