Coupe Kuba Janus, République démocratique du Congo. Collection privée, Belgique. © VALENTIN DE CLAVAIROLLES

Les statues s’achètent aussi en ligne

La galerie Didier Claes, à Bruxelles, lance Young Collector, une plateforme permettant d’acquérir des pièces d’art africain en un clic. Explications.

Une coupe Kuba en bois aux lignes anthropomorphiques. La pièce, qui date du début du siècle dernier, provient de la République démocratique du Congo. La sérénité qu’elle dégage aimante le regard. Mais aussi un étrange masque Nafana, originaire du Burkina Faso, aux motifs géométriques, recouvert de kaolin et de poudre rouge. Tout en longueur, celui-ci fait valoir trois petits trous au centre d’un triangle retourné, soit autant d’ouvertures permettant à celui qui le porte de regarder vers l’extérieur. Sans oublier une canne cérémonielle de la Côte d’Ivoire, surmontée d’une figure féminine. Sa patine sombre ne dissimule rien du génie de la statuaire Senufo.  » Autrefois, elle était la récompense décernée aux champions des cultures de chaque nouvelle génération d’initiés du Poro (NDLR : un rituel permettant d’accéder au statut d’homme à part entière) « , apprend-on.

Voilà le genre d’objets que l’on découvre sur Young Collector, une plateforme en ligne lancée sous la bannière  » Didier Claes  » (1). Galeriste bruxellois réputé pour son expertise en matière d’arts africains, avec un intérêt tout particulier pour l’Afrique centrale, l’homme fait valoir une clientèle avertie : de nombreux collectionneurs américains et européens, ainsi que des institutions muséales internationales. Ce succès s’explique entre autres par l’aura sans cesse croissante de l’art africain , qui pousse certains à dépenser sans compter. Les grandes maisons de vente enregistrent des achats records pouvant atteindre plusieurs millions d’euros (12 millions de dollars chez Sotheby’s New York en 2014 pour une statue dite  » Kunin « ) et qui, dans le même temps, plongent les Africains dans l’incompréhension face à cette fascination pour des objets étrangers à la culture des acheteurs.

Toujours est-il que qui veut posséder de tels chefs-d’oeuvre, assortis de leur certificat d’authenticité, doit pousser la porte d’une intimidante galerie, se constituer un savoir et un réseau. Désormais, un simple clic de souris permet d’accéder à des pièces issues d’ethnies connues pour leur production abondante. On doit ce changement de paradigme, un rien iconoclaste, à Jessica Quarato (31 ans), une jeune femme occupant depuis quatre ans le rôle de manager de la galerie Didier Claes. Diplômée en art contemporain des Instituts Saint-Luc à Bruxelles, l’intéressée incarne un nouveau souffle au sein de la structure. Young Collector a vu le jour dans un contexte particulier, celui d’un marché qui évolue au ralenti. Faut-il imaginer que c’est à la crise sanitaire que l’on doit la création du site ? Pas du tout, si on en croit sa conceptrice :  » Il s’agit d’un projet qui était déjà en cours. La situation actuelle nous a permis d’enfin lui consacrer de l’énergie. Nous avons profité du temps qui s’est libéré.  »

Jessica Quarato et Didier Claes, à l'origine du projet Young Collector.
Jessica Quarato et Didier Claes, à l’origine du projet Young Collector.

Collectionneurs émergents

La cible visée a, quant à elle, bien été identifiée.  » Il s’agit d’un « jeune » public, précise Jessica Quarato. Quand je dis jeune, je ne fais pas référence à l’âge mais à une audience qui fait ses premiers pas dans l’art africain, une audience émergente en quelque sorte. Je me suis positionnée en tant qu’acheteuse. Mon premier constat était d’ordre budgétaire. Au-delà de 20 000 euros, je considère que les pièces sont hors de ma portée. J’ai donc établi une fourchette de prix entre 3 000 et 15 000 euros. Ce qui est inédit, c’est que le site affiche d’emblée les prix. On sait directement dans quelle cour on joue. Cela n’a l’air de rien mais c’est assez iconoclaste par rapport aux pratiques des galeries qui s’interdisent une telle transparence.  » Qu’on ne s’y trompe pas, cette  » mue  » témoigne aussi de l’accession d’une nouvelle génération aux décisions stratégiques d’une galerie. Une nouvelle façon d’aborder le métier pour laquelle une présence en ligne, autre que symbolique, semble désormais incontournable. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que la plateforme se prolonge également sur des réseaux sociaux comme Facebook et Instagram, nouvelle donne de visibilité oblige.

Afin de mettre en valeur la vingtaine de pièces, constamment renouvelées, que recèle Young Collector, Jessica Quarato a travaillé elle-même sur  » l’emballage « , comprendre un graphisme épuré, une présentation sobre et une grande lisibilité de l’offre. Le tout repose sur une complémentarité entre Didier Claes, qui trouve les pièces et en garantit l’origine, et Jessica Quarato qui en assure le suivi.  » Il est possible d’acheter directement, bien entendu, mais il est également envisageable de marquer son intérêt pour une pièce et d’adresser une demande pour la découvrir en galerie. Je pense que pour tout un public, c’est très important de découvrir d’abord par soi-même, sans que quelqu’un d’extérieur ne fasse l’article « , précise-t-elle. Importante est également la volonté du duo d’alimenter la plateforme en contenus didactiques. Chaque oeuvre est accompagnée d’une fiche détaillée mentionnant la provenance, la localisation spatiale et temporelle, les dimensions, les matériaux ainsi qu’une description permettant de prendre la mesure de la qualité esthétique et de la signification historique de la pièce.

En plus de ces informations, le site affiche d’autres ressources culturelles, dont des articles évoquant, par exemple, l’art Kuba ou les masques zoomorphes wanyugo connus pour permettre d’évacuer de la fumée, caractéristique qui leur a valu le nom de  » cracheurs de feu « . Reste la question qui fâche : cet accès facilité aux pièces du patrimoine africain, que l’on estime dispersé à 90 % hors de son continent d’origine, ne risque-t-il pas de heurter, à l’heure où de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer une restitution ?  » Nous entourons ce processus de vente en ligne d’un soin particulier, se défend Jessica Quarato. Rien n’est laissé au hasard, ni la transparence, ni l’authenticité, ni la contextualisation. Il s’agit d’oeuvres au-dessus de tout soupçon, dont nous assurons la transmission par le biais d’un réseau d’acheteurs passionnés et sensibilisés aux enjeux de conservation.  »

(1) youngcollector.art

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