Les dunes, la plage et l’art

De La Panne à Zeebrugge, les artistes européens réunis pour la quatrième édition de Beaufort, proposent des ouvres, souvent inédites, inspirées par nos paysages côtiers. Tour d’horizon.

GUY GILSOUL

La planète n’est jamais aussi belle que vue de très près. Et l’histoire des hommes n’est jamais aussi passionnante et universelle que localisée. D’où l’intérêt d’amener sur ces terrains de jeux des artistes venus parfois de très loin et de les confronter aux paysages de notre côte. La première édition de Beaufort, en 2003, avait été imaginée par Willy Van Den Bussche, le conservateur du PMMK, le musée ostendais d’art moderne inauguré en 1984 dans un ancien grand magasin. L’enthousiasme de l’homme, sa pugnacité et ses relations privilégiées avec le monde des artistes internationaux et des décideurs assurèrent le succès de cette manifestation éclatée sur 60 kilomètres. Si on y retrouvait beaucoup de grands noms de l’art belge comme Fabre, Delvoye, Braeckman, Charlier, Panamarenko, Sweetlove ou encore Tahon, on trouvait parmi les internationaux des £uvres signées Kapoor, Gormley, Mach ou Spoerri.

En quête de célébrités, la deuxième édition accueillait le Russe Kabakov, le Chinois Wei Wei ou encore la Franco-Américaine Louise Bourgeois. En 2009, le musée changeait de nom (Mu.ZEE) et de conservateur. Phillip Van den Bossche reprenait donc aussi le flambeau de Beaufort. Pour l’édition 2012, ce dernier a choisi de réunir exclusivement des artistes européens (dont seulement trois Belges) issus des différentes régions de l’est comme de l’ouest, du nord comme du sud. Chacun a choisi une plage, un coin de dunes ou de digue, une réserve naturelle, une villa ancienne, une chapelle, une ancienne poudrière ou encore un musée archéologique, mais jamais un lieu d’art contemporain, excepté la façade (peu convaincante) du Mu.ZEE. Ils ont donc été amenés à intégrer leur travail à une nature différente. Comment un Maltais, un Hongrois ou un Suisse perçoit-il l’appel de la mer du Nord et de ses marées, de ses ports ou encore le caractère architectural particulier à la côte belge ? Comment un Letton peut-il retrouver ici le même appel du large ? Voilà bien tout l’enjeu de ces mises en scène souvent spectaculaires qui vont ainsi à la rencontre de tous les publics. Car il s’agit de retenir l’attention, d’éveiller la curiosité, voire l’émotion. Pour ce faire, chaque £uvre porte en elle sa propre stratégie de communication. Certaines visent la participation. Elles invitent le curieux à entrer dans l’£uvre, y déambuler, la toucher, jouer avec elle en quelque sorte. D’autres optent pour le spectaculaire. La pièce est monumentale ou inattendue. Elle impressionne dès le premier regard. Le choc peut renvoyer à des questions graves. Parfois, la sculpture convoque l’humour, le non sense, l’ironie. En réalité, les £uvres peuvent se regrouper autour de quelques catégories qui constituent aujourd’hui l’essentiel de la production sculpturale.

1. LE VOLUME STATUAIRE

Les £uvres ont un parfum de tradition. Elles valorisent le matériau, la qualité formelle et la volumétrie. Si les  » Arcs  » du Français Bernar Venet (déposés dans la rotonde de la digue de Wenduine) relèvent d’une mathématique précise, ils éveillent un sentiment de plénitude bienvenu. On se souviendra que voici, quelques mois, l’artiste s’était mesuré avec un rare bonheur au paysage du parc de Versailles. Plantée dans un coin de la réserve naturelle du Hoge Blekker (Koksijde), l’£uvre du Lituanien Zilvanas Kempinas est constituée de longues tiges métalliques plantées qui oscillent au moindre souffle. Mais si ce langage abstrait fascine toujours, la sculpture d’aujourd’hui privilégie davantage la figuration.

L’Espagnol Jaume Plensa (dans la cour de l’abbaye des Dunes à Koksijde) a soclé un personnage hors mesure et hors d’atteinte, assis et méditatif comme dans l’art bouddhiste. Mais son corps n’est qu’une peau en claire-voie seulement constituée de lettres dessinées. Au-dedans, il n’y a que du vide. Ou, plus justement, la même lumière que celle du dehors. Dans le sable de la plage de Westende, la Polonaise Magdalena Abakanovicz propose deux immenses pièces en acier corten. Au premier abord, elles évoquent une machine militaire d’un futur de science-fiction. A mieux y regarder, ce sont deux têtes d’oiseau et, mieux encore, leur ossature, échouée.

2. LA SCULPTURE- ARCHITECTURE

Sans doute, la forme la plus interactive puisqu’ici il s’agit d’entrer dans l’£uvre comme on le ferait dans une demeure avec ses couloirs et ses alcôves. La plus fascinante de ces sculptures, couchée sur la plage de Wenduine (à la hauteur du chalet West-Heiden) est réalisée par le Finlandais Marco Casagrande. Les parois courbes et continues invitent à entrer et à expérimenter un parcours sans heurt, çà et là percé de trous (plutôt que de fenêtres) qui mène à la vue finale : la mer et le ciel. Comme dans toute son £uvre, l’artiste vise un bâtiment qui soit comme un fragment de la nature : sensible aux vents, à la lumière, aux bruits. Dans un autre registre, entre bunker et caillou géant lissé par le temps, les frères Chapuissat (France), à Nieuport ont imaginé un lieu caverne, rugueux et sombre alors que le Letton de Riga, Ivars Drulle, propose, à Middelkerke, d’écouter le cri des mouettes, les sirènes des bateaux, la musique des vagues et les mugissements du vent. Pour ce faire, il a repris, mais sur plus de dix mètres, la forme du topophone, ancêtre du cornet acoustique constitué de deux longs tubes grâce auxquels les marins du XIXe siècle pouvaient localiser l’origine des sons. Ici, un personnage en bronze a posé l’oreille contre l’orifice du premier. Le second attend la curiosité du visiteur.

3 . L’INSTALLATION

Beaucoup s’aventurent dans cette expérience née dans les sixties. Depuis quelque temps, des artistes en font le cadre d’une histoire que chacun se construit au fil de la visite. Un des créateurs les plus pertinents dans ce domaine est belge. Hans Op De Beeck s’est servi du cadre d’une ancienne poudrière (Nieuport) pour plonger le visiteur dans une ambiance sombre et inquiétante qui n’est pas sans évoquer le cinéma fantastique dans ses moments les plus silencieux, les plus inquiétants. Au centre d’une île à laquelle on accède par un long pont posé au-dessus d’une eau sombre, assis sur un des bancs posés en cercles, on fixe une grappe de bougies…

4. LA SCULPTURE SOCIOLOGIQUE

Le matériau est choisi parmi les objets qui nous entourent. Avec ironie (les caravanes emboîtées les unes aux autres par l’Allemand Stefan Sous à Zeebrugge-Admiraal Keyersplein) ou de manière plus agressive. Ainsi, imaginée par l’Italien Paolo Grassino à Bredene, cette meute de chiens en caoutchouc noir qui gardent des véhicules calcinés. L’idée des déplacements sous-tend souvent les £uvres de ce type. Ainsi le Suédois Michael Johansson superpose, non loin du Royal Sailing Club de Zeebrugge, trois conteneurs destinés aux déménagements transocéaniques. Particularité : la face de celui du milieu, véritable composition abstraite, est construite à partir du mobilier entassé avec grand soin à l’intérieur. Enfin, à Zeebrugge toujours (St George’s Day Promenade), l’Autrichien Erwin Wurm a posé un marcheur bien emmuré dans son costume de ville… rose.

GUY GILSOUL

Jusqu’au 30 septembre. Renseignements : www.beaufort04.be La plupart des £uvres sont accessibles tous les jours. Consulter le site afin de préparer au mieux votre visite.

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