La révolution conservatrice de Ronald Reagan dans les années 1980 a accru les difficultés des Noirs au nom de l'égalité entre tous les Américains. © GETTY IMAGES

Racisme envers les Afro-Américains: le néolibéralisme coupable?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’injonction faite aux Noirs de s’engager dans une « responsabilisation libératrice » au nom de l’idéologie néolibérale a occulté les méfaits du « racisme systémique ».

Un  » racisme systémique « . Tel est le concept avancé par les experts pour dresser l’état des lieux de la question raciale aux Etats-Unis, à l’origine de la révolte actuelle. Que recouvre-t-il ? Comment s’est-il implanté ? Chercheuse associée aux universités d’Harvard (Massachusetts) et de Stanford (Californie) et professeure à Sciences Po Paris, Sylvie Laurent a publié en 2016, sous le titre La couleur du marché (1), le fruit de ses recherches sur l’impact du néolibéralisme sur la perpétuation du racisme aux Etats-Unis.  » C’est au nom de la liberté individuelle dont chacun peut bénéficier, Blanc comme Noir, et de la neutralité raciale du libre marché que le racisme systémique s’est incrusté dans le tissu social américain « , analyse-t-elle.

Après la conquête des droits civiques par les Noirs sous l’impulsion du pasteur Martin Luther King dans les années 1960, la classe ouvrière et la petite classe moyenne blanches vont progressivement attribuer la stagnation de leur niveau de vie aux privilèges sociaux et économiques prétendument accordés aux Noirs. La révolution conservatrice traduite par les deux mandats du républicain Ronald Reagan (1981-1989) change alors le regard porté sur les politiques de déségrégation raciale. Directeur de campagne du président américain sortant lors de sa réélection en 1984, Lee Atwater, cité par Sylvie Laurent, explique ce changement de stratégie :  » Vous commencez en 1954 par dire « nègre, nègre, nègre », mais en 1968, vous ne pouvez plus le dire, ça vous porte préjudice, ça se retourne contre vous. Alors vous dites des trucs comme « mixité forcée », « droit des Etats fédérés » et tout ce registre. Vous restez dans l’abstraction, vous parlez de baisser les impôts et tout ce que vous dites reste dans le registre économique, mais le résultat, c’est que les Noirs sont plus pénalisés que les Blancs.  »

« Laisser-faire  » égale  » laisser souffrir »

 » User du langage neutre de l’économie, refuser de reconnaître l’asymétrie des trajectoires sociales et nier la perpétuation des inégalités héritées ne tombe […] pas sous le coup de la loi ou de la morale « , décrypte Sylvie Laurent. Mais ce système qui vante la responsabilisation individuelle au nom de l’idéologie néolibérale va bien perpétuer les inégalités sociales aux dépens des Noirs. Le  » laisser-faire « , inscrit dans l’ADN des Américains et ravivé par les Républicains, va légitimer le  » laisser souffrir « .

Sylvie Laurent cite à l’appui de sa démonstration l’exemple éloquent de Ferguson. En vertu de l’idéologie néolibérale, les transferts publics aux collectivités locales ont été réduits, en l’occurrence de 10 % entre 2010 et 2012 pour cette ville du Missouri. Le manager de crise dépêché sur place pour y restructurer les finances somme les fonctionnaires municipaux de trouver des sources nouvelles de revenus. Ainsi est-il décidé d’accroître le nombre de contraventions dressées sur la voie publique.  » Le ciblage des Noirs, perçus comme davantage enclins aux actes délictueux par une administration héritière d’un long passé ségrégationniste, est (donc) organisé afin d’augmenter les rendements.  »

Au nom de l’égalité entre Noirs et Blancs dans une société où le racisme n’avait soi-disant plus cours, Sylvie Laurent en conclut que  » la domination du marché et de la grammaire néo- libérale dans tous les domaines de la vie civique (NDLR : éducation, logement, emploi, sécurité…) a opportunément reproduit et renforcé d’anciennes structures d’oppression « .

(1) La couleur du marché, racisme et néolibéralisme aux Etats-Unis, par Sylvie Laurent, Seuil, 2016, 192 p.

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